Après la réussite retentissante de son premier tome en 2017, l’illustratrice américaine Emil Ferris revient avec un second volet de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Toujours ancré dans les sombres profondeurs de Chicago, ce roman graphique poursuit l’histoire de Karen Reyes, adolescente en quête d’identité et témoin des bouleversements d’un monde en mutation.
Sept ans après la parution du premier tome, Moi ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris fait enfin son retour dans les librairies avec un second volume, attendu comme une révélation. Véritable OVNI dans le paysage de la bande dessinée, cette œuvre, qui marie la puissance visuelle d’un carnet de croquis et la profondeur d’un roman graphique, s’est imposée comme un classique en 2017. Ce 8 novembre, l’attente prend fin et le public retrouve (enfin) Karen Reyes, jeune héroïne aussi fascinante que vulnérable, prête à nous replonger dans les bas-fonds d’un Chicago sombre et magnétique.
Une naissance dans la douleur et l’obsession des monstres
S’il est rare qu’un roman graphique attire autant l’attention, chacun s’accordera à dire que Moi ce que j’aime, c’est les monstres n’est pas une œuvre ordinaire, tout comme le parcours de son autrice. Dans une interview récente accordée à La Tribune, Emil Ferris explique que c’est sa vie, marquée par la résilience, qui a façonné cette histoire. Au début des années 2000, elle contracte une méningo-encéphalite, une infection qui la laisse paralysée et contrainte de renoncer temporairement à son métier d’illustratrice.
Pourtant, elle persévère : elle réapprend à dessiner en scotchant un stylo à sa main. C’est au cours de cette période sombre que naît Karen Reyes, la protagoniste de sa BD, une jeune fille se percevant comme un loup-garou, fascinée par les créatures des pulp magazines et déterminée à voir au-delà des apparences.
Une bande dessinée atypique
Publié en 2017, le premier tome nous plonge dans un Chicago de la fin des années 1960, à travers le regard curieux de Karen. Sans père, vivant dans un sous-sol, cette petite fille de dix ans fanatique de monstres mène une enquête personnelle autour du meurtre de sa voisine, Anka Silverberg, survivante de la Shoah.
Avec ses illustrations au stylo à bille et son esthétique unique, ce premier volume a été couronné par le Fauve d’or au Festival d’Angoulême, s’attirant les louanges de figures majeures de la bande dessinée, comme Art Spiegelman (auteur de Maus), qui a affirmé que Ferris était « l’une des plus grandes artistes BD de notre temps ». Ce premier volume, hybride d’horreur, de drame social et de questionnements existentiels, avait déjà marqué par son originalité.
Un second tome comme le miroir d’une quête identitaire
Dans ce second tome, Emil Ferris poursuit la quête de vérité de Karen Reyes, qui s’interroge toujours sur le meurtre de sa voisine Anka Silverberg. La jeune fille a grandi. Devenue adolescente, elle s’interroge sur sa propre identité, poursuit son enquête autour du meurtre d’Anka Silverberg et affronte un monde en proie à des grands bouleversements.
En effet, la révolte des années 1960 bat son plein à Chicago, et Ferris en fait le décor d’un chaos organisé qui devient presque un personnage en soi. Karen tente de s’y frayer un chemin, cherchant des réponses à ses questions, dans un monde qui lui-même bascule, des manifestations contre la guerre du Vietnam aux luttes pour les droits civiques. Les monstres qui peuplent son esprit trouvent alors des échos dans les parias, les marginaux que la société rejette.
La critique séduite
Si les suites sont autant attendues qu’appréhendées, car souvent décevantes, celle-ci est parvenue à séduire les critiques. « Ce second tome s’inscrit parfaitement dans la continuité du premier, tout en ajoutant de nouvelles couches à la complexité des personnages et à la richesse de l’univers graphique d’Emil Ferris », note Livre Hebdo. Le site spécialisé dans la critique littéraire salue également cette histoire plus introspective, où Karen approche l’âge adulte avec ses doutes et sa curiosité.
Du côté de France Culture, François Angelier décrit cette suite comme « un récit bouleversant qui est presque de l’ordre du témoignage », une œuvre d’art brute et sincère où la complexité des personnages rejoint la virtuosité visuelle d’Emil Ferris. En refermant ce tome, le lecteur ressent la puissance d’une œuvre qui ne cherche pas seulement à raconter une histoire, mais à explorer ce qui nous rend humains, monstres et magnifiques à la fois.