Dans la nouvelle série signée Paramount+, Jean Dujardin incarne un Zorro qui, après 20 ans, remet le masque. Mais cette fois, le héros est tiraillé entre ses deux personnalités : le justicier de la nuit et Don Diego, l’homme idéaliste. Scénariste du show, Benjamin Charbit nous dévoile sa vision unique et les coulisses de la réinvention de ce personnage culte, entre hommage et modernité.
Le personnage fictif créé en 1919 par l’auteur américain Johnston McCulley a fait l’objet de nombreuses adaptations au fil des décennies. Quel a été le principal défi pour réinventer cette figure emblématique ?
Se réapproprier un héros aussi légendaire était véritablement le plus grand défi de ce projet. Il s’agissait, d’une part, de rendre hommage à ce personnage iconique ainsi qu’aux générations de fans qui s’y sont attachées ; et d’autre part, de le moderniser, de le dépoussiérer sans tomber dans la caricature ni ternir son image. Je ne suis pas encore totalement tranquille quant à la réception de la série, car il y a toujours une certaine pression lorsqu’on touche à une telle icône.
La série originale se déroule dans la ville de Los Angeles au début du XIXe siècle, soit un cadre historique bien défini. Quel a été votre fil conducteur pour actualiser cette œuvre et la rendre pertinente pour le public d’aujourd’hui ?
Pour moderniser l’œuvre tout en restant fidèle à son contexte historique, nous avons pris soin de poser les bases de la société de l’époque : la Nouvelle Espagne des années 1820, coloniale, inégalitaire et marquée par un système de castes rigide. Le principal écart que nous avons fait par rapport aux versions précédentes est l’absence de l’Église, pourtant omniprésente dans les autres adaptations de Zorro.
C’est un anachronisme que nous assumons pleinement. Plutôt que la question cléricale, nous nous sommes concentrés sur le capitalisme, en mettant en lumière la manière dont il influence et érode le pouvoir politique. C’était une manière de faire écho aux préoccupations contemporaines, tout en maintenant une cohérence avec le cadre historique.
En tant qu’auteur, je ne cherche pas à donner de leçons ou de sermons politiques. En revanche, je pense que la fiction peut nous pousser à réfléchir sur de telles questions. Le projet de la série est né en 2018, lors de l’élection de Donald Trump aux États-Unis, une période marquée par l’essor du populisme, de figures charismatiques proposant des réponses simplistes, stigmatisantes et violentes à des enjeux complexes. Le show interroge justement cela, avec d’une part un Don Diego démocrate, compétent et pourtant impuissant, qui fait face à un double de lui-même, Zorro, qui – il faut le dire – est en réalité un tyran, certes éclairé, mais autoritaire.
Dans votre Zorro, c’est Jean Dujardin qui endosse le rôle de Don Diego, et donc du héros masqué. Était-ce du sur-mesure ?
Au départ, Jean n’était pas associé au projet. Il a lu le script et ça lui a plu. Mais je dois avouer que j’ai imaginé et écrit ce rôle pour lui. À tel point que s’il n’avait pas accepté, le projet n’aurait probablement jamais vu le jour…
Pourquoi fait-il un bon Zorro à vos yeux ?
Quand j’en ai parlé à Marc Dujardin [le producteur, ndlr], il a plaisanté en disant que c’est parce qu’il est Gémeaux, qu’il a naturellement deux visages [rires] ! Mais, plus sérieusement, Jean a cette qualité unique que l’on retrouve chez les grands acteurs américains des années 1950, comme Cary Grant. Il incarne à la fois l’intelligence, la bonté, mais aussi un côté clownesque et comique, ce qui correspond parfaitement à ce personnage. Il y a une sorte de charme suranné chez lui, qui s’intègre merveilleusement bien dans cet univers.
Il y a un risque que certains spectateurs associent Zorro à d’autres personnages emblématiques joués par Jean Dujardin, comme Brice de Nice ou Hubert Bonisseur de La Bath dans OSS 117. Comment êtes-vous parvenu à distinguer clairement Diego de ces figures ?
C’était un vrai défi, car Jean est très associé à ces personnages, surtout dans leur dimension comique. Mais, à mes yeux, Diego n’a rien à voir avec eux. Il est le frère inversé d’Hubert, un personnage qui ne comprend pas le monde autour de lui, centré sur lui-même, et qui manque de vie intérieure ou d’émotions.
Diego, au contraire, est très intelligent, profondément bon, même si certains pourraient confondre sa gentillesse avec de la naïveté. Personnellement, je le vois surtout comme un idéaliste. C’était important de faire un personnage différent, mais qui continuerait de servir la cinégénie de Jean.
Des rapprochements ont été faits entre Zorro et des figures comme Batman ou James Bond, notamment pour leur côté “super-héros à la retraite”. Pourtant, vos inspirations semblent se diriger ailleurs…
Batman et James Bond appartiennent à des univers très sombres, où la violence occupe une place centrale. Ce n’était pas ce que je recherchais. À la limite, ce qui m’a inspiré dans ce périmètre, c’est La Rose et la Flèche de Richard Lester, avec Sean Connery en Robin des Bois vieillissant. Ce film est un bijou, car il mélange un humour à la Monty Python avec une grande tendresse. Il y a de tout : du drame, de la comédie, de l’émotion. C’est ce genre de richesse que je voulais insuffler à la série.
Quelles ont été vos principales influences ?
J’ai été très inspiré par les comédies américaines des années 1950, notamment celles de remariage, un thème qui se retrouve dans la relation entre Diego et Gabriella. Ernst Lubitsch m’a profondément marqué, surtout avec des films comme Haute Pègre, où il laisse une grande place à l’intelligence du spectateur pour comprendre les différents niveaux d’ironie. En France, les comédies des années 1970 comme La Folie des grandeurs de Rappeneau m’ont influencé par leur rythme effréné et leur énergie.
Et quel est votre personnage secondaire préféré ?
J’ai adoré écrire le sergent [jadis le sergent Garcia, ndlr]. Dans la série des années 1950, c’était un personnage tragique, coincé entre un supérieur tyrannique et un Zorro qui ne cessait de le ridiculiser. Il me faisait de la peine. J’ai donc voulu le réécrire avec plus de profondeur, en en faisant un personnage touchant, qui m’émeut beaucoup.
Quels sont vos pires et meilleurs souvenirs de cette expérience ?
Le pire moment, c’est sans doute pendant l’écriture. Après deux ans, je me suis retrouvé bloqué, incapable de trouver l’amplitude dramatique nécessaire pour tenir huit épisodes. Je revenais chaque soir avec une nouvelle version en tête, pensant que je n’y arriverais jamais. J’ai vraiment cru devenir fou.
Le meilleur, c’est quand j’ai compris que le vaudeville allait structurer l’histoire et que le personnage de Gabriella a pris de l’ampleur. À partir de là, tout a pris forme, et c’était une véritable bouffée d’air frais.