Entretien

Entre les lignes avec Louis Vendel : “Écrire sur la bipolarité de Solal m’a permis de faire ma propre introspection”

22 juin 2024
Par Léonard Desbrières
Louis Vendel.
Louis Vendel. ©Astrid di Crollalanza

Sixième épisode d’une série d’entretiens au long cours avec les écrivains. Pour parler écriture et littérature, mais aussi pour percer la carapace de ces raconteurs d’histoire.

Dans Solal ou la chute des corps, Louis Vendel part sur les traces son ami d’enfance atteint de bipolarité. En questionnant le rapport à l’existence et au monde de cette personnalité hors du commun, il tend un miroir à tous ceux qui se demandent encore comment vivre leur vie.

Comment ce livre est-il né ?

Je me suis réveillé en pleine nuit, j’ai eu une sorte de révélation. Après un accident qui aurait pu être mortel, mon pote Solal, diagnostiqué bipolaire de type 2, était parti faire le tour du monde à pied, mais, d’un coup, j’ai pensé à lui et je me suis dit qu’il fallait que je lui consacre un livre. Il m’est soudainement apparu comme le parfait personnage de roman, avec sa personnalité hors norme et sa manière de s’emparer de la vie.

Avant cela, étiez-vous traversé par un quelconque désir d’écriture ?

Pas vraiment, justement. J’ai d’abord travaillé sur différents projets de médias. Au départ, mes velléités d’écriture concernaient plus la forme journalistique. J’avais un langage analytique qui cherchait à convaincre. Finalement, mon propre désir d’écrire a été façonné par mon évolution professionnelle, quand je me suis tourné vers l’édition plutôt que le journalisme. Mon écriture a commencé à changer, à s’imprégner de la littérature. Pas forcément de fiction, d’ailleurs, parce que j’ai tout de suite eu une appétence particulière pour la littérature du réel.

« Je tenais à ce que ça ne soit pas qu’un témoignage ou une enquête journalistique, mais bien une interprétation mise en roman, une proposition artistique avant tout. »

Louis Vendel

Parlez-nous justement de votre autre projet, La Lettre Zola. De quoi s’agit-il ?

Avec Manor, mon acolyte de toujours, on a conduit une réflexion autour des médias capable de raconter le réel. C’était la grande époque de la revue XXI, de Feuilleton d’Adrien Bosc. On était baignés dans le journalisme narratif, la non-fiction à l’américaine, mais on avait l’impression que le curseur n’était pas encore assez poussé vers la littérature. On voulait aller le plus loin possible dans l’idée de prendre une matière brute – le réel – et de la convertir en une œuvre qui a la même qualité d’écriture, de style et de ton qu’un roman pur. On a donc lancé un mensuel papier par abonnement, La Lettre Zola.

La Lettre de Zola a été créé par Louis Vendel.©La Lettre de Zola

Chaque mois, les abonnés reçoivent dans leur boîte aux lettres un objet un peu spécial qu’on appelle livre-enveloppe, une enveloppe qui se déplie et forme un petit livre qui contient une histoire vraie sur un sujet de société française, mise en roman par un écrivain de la nouvelle génération. Des auteurs comme Blandine Rinkel, Victor Dumiot ou Abigail Assor éclairent le monde avec des textes courts, hybrides, à la croisée de l’enquête et du roman. Ce média et mon roman se répondent. Le livre est l’autre face du travail qu’on entreprend depuis plusieurs mois avec La Lettre Zola. C’est ma propre interprétation de ce qu’on essaie de faire faire aux auteurs.

Comment Solal a-t-il réagi à l’annonce de votre projet d’écrire sur lui ?

Solal, c’est un mec qui n’a aucune pudeur, il n’a aucune barrière à aucun niveau. C’est impressionnant, d’ailleurs. S’il n’avait pas été comme ça, on n’aurait pas pu faire le livre. Ses parents aussi sont comme ça. Sa mère, Laurence, s’est beaucoup livrée, elle m’a raconté l’histoire très dure de son frère, l’oncle de Solal, atteint du même mal. Ils m’ont dit d’utiliser les vrais prénoms parce que c’était important pour eux. Il y avait une mise à nu radicale, tout s’est fait naturellement. Je tenais à ce que ça ne soit pas qu’un témoignage ou une enquête journalistique, mais bien une interprétation mise en roman, une proposition artistique avant tout.

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Vous êtes-vous permis de combler certains vides, certaines énigmes avec de la fiction ?

Il n’y a absolument aucun élément de fiction. Tout ce qui est raconté est strictement vrai. Aucun personnage ou situation n’a été inventé. Je dirais qu’il y a seulement par moments des interprétations, mais ce n’est pas la même chose. En partant de ses états d’âme, j’ai fait des conjectures et tiré certains fils. Je suis un protagoniste du livre, je me mets en scène, mais je voulais être le plus juste possible, ne pas en faire trop. Les seuls moments où je dévie de l’histoire de Solal, c’est pour être une sorte d’observateur sensible qui s’interroge sur lui et sur moi.

Comment s’est déroulée votre rencontre ?

On a fait la même école après le bac. On s’est rencontrés le premier jour de cours. J’ai un souvenir très clair de ce moment. C’est la personne qui m’a le plus marqué à la première rencontre. Le type avait une telle aisance, une telle confiance en lui, quelque chose de solaire. On ne pouvait pas ne pas le voir. Surtout, ça a résonné pour moi parce que j’étais dans un moment de ma vie où j’étais très peu sociable. J’ai compris plus tard que cette aisance-là venait aussi de sa bipolarité. Au moment où j’ai croisé sa route, il était dans une phase haute qui le rendait plus vivant que les autres.

Ce n’est que trois ans plus tard qu’il a été diagnostiqué. Quelle a été sa première réaction ?

Il a refusé presque immédiatement le traitement, comme s’il était dans une forme de déni. Il disait lui-même que c’était une défaite d’accepter de prendre des médicaments. Alors, il a voulu occulter le truc. Il se disait : “Certes, je traverse le monde avec une intensité qui n’est pas la même que tout le monde, mais ça ne veut pas dire pour autant que j’ai un problème, au point d’être soigné.” Il était persuadé de pouvoir vivre une vie normale en faisant quand même attention à l’alcool et à la fête, qui facilitent les crises.

Derrière le refus des médicaments, il y a l’envie de profiter au maximum de la vie, même si ça veut dire gérer les hauts et les bas, avec quelle intensité vivre. C’est aussi ça la question de votre livre, non ?

D’une certaine façon, ce livre m’a aussi recentré sur moi-même. Cette question de l’intensité me hante depuis longtemps. J’ai l’impression, comme Solal, de traverser la vie avec une intensité un peu plus grande que les autres. Alors, pourquoi lui est considéré comme un fou et moi j’appartiens à la normalité ? Je me suis rendu compte à la sortie du livre que beaucoup de gens étaient travaillés par la même interrogation. On connaît tous des hauts et des bas. On se demande tous comment investir sa vie. C’est un sujet universel.

En quoi ce livre a-t-il changé quelque chose en vous ?

Écrire sur Solal m’a permis de faire ma propre introspection. Le livre a fait naître chez moi une forme de prudence sur la variation de mes états. Je vois désormais venir mes changements d’humeur, ils sont d’ailleurs souvent en lien avec les moments de fête ou de calme. J’essaie de faire attention, ce qui n’était pas le cas avant. C’est un gros changement dans ma façon d’être au monde.

Quels retours Solal vous a-t-il faits sur le livre ?

Il savait à quoi s’attendre. Au fur et à mesure de l’écriture, je lui ai beaucoup envoyé mon travail. Mais s’il relisait, ce n’était pas pour vérifier si j’étais trop dur avec lui, c’était pour s’assurer que j’étais au plus près de ses sensations. Un jour, alors qu’on tournait une vidéo pour le Seuil, il m’a dit qu’il était fier de moi et ça m’a surpris. Il n’avait jamais fait de retour avant cela. Étrangement, il n’a mis aucun ego dans ce livre, c’est comme s’il lisait un pur roman.

Vous souvenez-vous de votre premier choc littéraire ?

Fictions de Jorge Luis Borgès. Je me suis pris une claque par ce livre qui fourmille d’imagination et d’inventivité, alors que j’ai orienté toute mon énergie vers la littérature du réel. Je me rends compte que c’est assez paradoxal.

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Quel est l’auteur de la nouvelle génération qui vous inspire et que vous aimeriez avoir dans La Lettre Zola ?

Il a déjà écrit pour nous. C’est Mathieu Palain. On se connaît depuis plusieurs années, on est devenus copains, on joue au foot ensemble, mais surtout il nous a beaucoup aiguillés pour façonner ce qu’allait devenir notre projet. Il m’a aussi donné de précieux conseils sur mon livre, parce que Ne t’arrête pas de courir, l’un de ses livres, a beaucoup de résonances avec La Chute des corps. C’est la relève de la littérature du réel.

Quel est votre dernier coup de cœur culturel ?

J’ai une obsession pour les yakuzas en ce moment. J’ai dévoré le documentaire Arte, je viens de me lancer dans la série Tokyo Vice. C’est un univers tellement fantasmatique.

Bande-annonce de la série Tokyo Vice.

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