The Sopranos, la célèbre série de David Chase, a 25 ans. Retour sur le phénomène de la « Peak TV », l’âge d’or des feuilletons télévisés haut de gamme qui, selon le showrunner, aurait définitivement pris fin.
Les Soprano, coup d’envoi d’une télé haut de gamme ?
À la fin des années 1990, la multiplication des chaînes câblées aux États-Unis impose une concurrence sévère pour capter les abonnements et le temps de visionnage disponible des téléspectateurs. Une nouvelle génération de créateurs, élevée avec l’idée que la télévision pouvait proposer des choses aussi brillantes que le cinéma, est alors recrutée par des chaînes payantes comme HBO.
En quelques années, à compter de 1999, vont ainsi être diffusées Les Soprano de David Chase, Six Feet Under d’Alan Ball, Battlestar Galactica de Ronald D. Moore ou encore The Wire de David Simon. Autant de séries qui proposent des pistes narratives, des thématiques et des esthétiques sans commune mesure avec le reste de la production sérielle, et déclenchent un nouvel âge d’or de la télévision.
Des succès critiques et publics qui vont également se traduire par de fortes retombées commerciales : à mesure que l’ensemble de la planète commence à se passionner pour les séries à gros budget, les réseaux de diffusion prospèrent, et de nouveaux services apparaissent dans le sillage des offres câblées et satellitaires. L’arrivée des services de streaming par abonnement, de Netflix à Hulu, en passant par Disney+ ou Apple TV+, conduisent à la création de catalogues de séries titanesques… Et d’une véritable crise de surproduction.
Une surproduction sur fond d’éparpillement du public.
En effet, le nombre de séries télévisées produites annuellement pour la télévision passe d’environ 250 par an en 2011 à… plus de 1 300 en 2021. Une multiplication par plus de cinq qui, de plus, ne tient même pas compte des programmes jeunesse ou des séries d’animation japonaise qui se sont pareillement multipliées et agrégées au sein de catalogues de SVOD comme la plateforme Crynchyroll.
Une des conséquences immédiates de ce phénomène est la réduction continue du nombre d’épisodes moyen par séries (moins de temps disponible par téléspectateur), ainsi que la multiplication des échecs commerciaux. Plus il y a de séries, plus les feuilletons, même les plus prestigieux et les plus coûteux, risquent de passer à côté de leur public. On pense ainsi aux échecs du coûteux The Get Down de Baz Luhrmann (Netflix, 2017), du laborieux Terra Nova produit par Steven Spielberg pour la Fox en 2011, ou encore à l’annulation avant même sa diffusion de Demimonde par HBO en 2022, un projet signé J.J Abrams à 200 millions de dollars.
Et c’est précisément ce qui a fini par causer un tassement du phénomène de Peak TV : trop d’offres coûtant trop cher et peinant à rassembler le public ou les abonnés nécessaires. Prédite depuis des années par David Chase ou Francis Ford Coppola, l’ère d’une croissance infinie de quelques grosses plateformes proposant des feuilletons toujours plus chers et toujours plus visionnés est désormais révolue. Un phénomène très bien décrypté par une très longue enquête du magazine Vulture parue l’an dernier.
Un monde désormais multipolaire
Les conséquences de ce tassement du nombre d’abonnés des plateformes (ou au moins de leur éparpillement sur davantage de services), alors que les coûts de production ont continué d’exploser, ont conduit à une vague sans précédent de licenciements… Et de hausse des tarifs d’abonnement de quasiment toutes les plateformes, pendant que nombre de séries sont brutalement annulées, voire retirées des plateformes à jamais pour des raisons fiscales.
Un constat partagé par nombre de journalistes du secteur qui ont déclaré que « l’ère de la peak TV » avait vraisemblablement pris fin.
Et même si de très nombreuses séries télévisées de très grande qualité continuent de sortir quasiment toutes les semaines, difficile de ne pas broyer du noir dans cette ambiance mêlant difficultés sociales, économiques et créatives. Essayons tout de même de voir le verre à moitié plein : d’une part, moins de shows, cela sera peut-être à terme la promesse de meilleurs shows et de moins d’émissions passant complètement sous le radar. D’autre part, cette diminution des productions américaines et britanniques révèle aussi la montée en puissance d’autres secteurs de la production.
Le succès international récent de séries comme Squid Game (Corée du Sud), Dix pour cent (France) ou encore de la sulfureuse The Naked Director (Japon) nous montre ainsi que cette « crise » de la production anglo-saxonne ouvre un chemin pour la reconnaissance internationale d’autres scènes créatives en matière de production sérielle.
Des créations qui connaissent leur propre lot de crises et de contraintes de distribution, certes, mais qui contribuent davantage qu’il y a 20 ans à la sériemania mondiale.