Dans son nouveau livre, Quelques Fleurs, Colette Fellous poursuit son travail autobiographique entre texte et image. Un livre délicat, à savourer par touches.
Depuis une trentaine d’années, Colette Fellous taille le matériau autobiographique comme personne. On la connaît peut-être comme femme de radio, mais la femme de lettres poursuit son travail avec Quelques Fleurs (Gallimard), dont le titre est à lui seul une promesse. Il faut dire que son autrice y réfléchit depuis des années : une vie cachée dans les fleurs qui ont jalonné son passé. Effectivement, l’idée ne manque pas de panache. De délicatesse, non plus.
La mémoire et les sens
Dans cette perspective, au fil des pages, Colette Fellous va dans les interstices de sa vie, comme ces plantes qui poussent entre deux dalles. On la croise depuis Tunis, sa ville natale, jusque dans le Paris des années 1960. Et, puisqu’il est question de fleurs, il faut parler des odeurs, qui déploient en kaléidoscope des souvenirs, des émotions. Dans ce livre d’une infinie distinction, on observe comme si nous étions ces fragments de pensées. Les souvenirs se déploient de page en page. C’est beau, parfois dur à lire. Car, en travaillant la mémoire, Colette Fellous travaille l’oubli.
« Je ne sais toujours pas quoi faire de cet instant qui se faufile en moi régulièrement, sans prévenir, m’encombre, me questionne. »
Colette FellousQuelques Fleurs
Parmi les souvenirs, on passe de Ribibi, le magicien qui venait au lycée Carnot, à l’avant-première de La Chinoise de Godard, en passant par la foire de Carpentras, le manteau bleu marine créé pour Françoise Hardy, l’amour des livres, ou le statut de « petite dernière » parmi quatre frères. Et le statut de celle qui reste, aujourd’hui. Au milieu de ce flot de souvenirs, il y a, aussi, des révélations comme des petites bombes. Filons la métaphore : comme des pétales que l’on arrache.
Et s’il y a bien un élément qui rassemble ces quelques fleurs, ce sont les images, dont Colette Fellous est coutumière.
Des images qui parlent
Oui, Colette Fellous aime faire entrer en résonance le texte et l’image. Et quoi de plus approprié que des fleurs, dont on célèbre souvent la beauté, pour les mettre en lumière ? Cette espèce de collection de photos en tous genres inonde ce livre, de façon évidemment réfléchie. C’est comme si l’autrice avait une attention particulière pour chaque moment de vie. Quelque chose qui se rapprocherait presque d’un mode de pensée. D’une philosophie.
Pourtant, chacune d’entre elles n’est pas spécialement travaillée. Le cliché est pris comme il est pris, au débotté, comme sans enjeu, presque sans démarche. La photo pour saisir le temps qui passe, celui-là même dont Colette Fellous constate la disparition au fil des pages. Essaie-t-elle de le récupérer, quelque part ? De laquer le passé comme on laque un bouquet pour le rendre éternel ?
« Comment saisir cette beauté intacte et soudaine ? Cette chose splendide d’avant le langage. Avec ses torsades de questions. »
Colette FellousQuelques Fleurs
L’intérêt d’une photo reste souvent le hors-champ. C’est là que l’écriture intervient. Écrire pour retrouver quelque chose que l’on pensait perdu. Photographier pour donner à ce « quelque chose » de la liberté. Peut-être que Colette Fellous a tout inventé de ce qu’on lit. Tout mis en scène. On s’en fiche. On est là pour ça.
Le procédé n’est pas inhabituel pour l’autrice. On la quittait il y a peu avec Le Petit Foulard de Marguerite D. (2023, Gallimard) qui faisait suite à des livres comme Avenue de France (2005, Gallimard) où les images étaient déjà toutes aussi présentes, en écho au texte. Les photos sont là, mais les dessins, aussi, dont certains pourraient faire penser à du Matisse.
L’art et les souvenirs
L’amour de l’art est présent dans Quelques Fleurs. L’amour des livres, principalement. On croise notamment Le Neveu de Rameau (1764) de Diderot, dans lequel Colette voudrait plonger (cette image reviendra plusieurs fois dans le livre), et toujours cette envie qui domine de s’approprier ce qui est écrit par les autres.
« Ça fonctionne, leurs mots deviennent mes mots. Je retrouve mon plaisir de lire, depuis la comtesse de Ségur la lecture est ma maison. »
Colette FellousQuelques Fleurs
On plonge dans tout cela sur fond de Fairuz, de Leonard Cohen, de Julio Iglesias, de Randy Newman. Dans Quelques Fleurs, le name-dropping est présent et participe à créer l’ambiance, petit à petit. Délicatement, toujours, délicatement.
Cette construction par petites touches se perçoit également par les frères, dont la consistance devient de plus en plus tangible au fil des pages. Ils prennent un prénom, une histoire. Il y a Pierrot. Il y a Grégory. Mais il y a surtout Colette, celle qui reste. Car ce livre est aussi un grand rêve où les morts et les vivants se mélangent. Colette est une vivante parmi les fantômes de sa mère, de son grand-père. Et les fleurs, celles qui restent, pas celles qui fanent, sont le vecteur de leur souvenir. On revient sur un grand-père voyageur, sur son immeuble estampillé « Maison fleurie » à Tunis, on retrouve la figure maternelle, son surnom, « Mamoucha ». Une figure maternelle dont le parfum venait de la maison Houbignant. Son nom ? « Quelques Fleurs ».
Nous y voilà. Quelques Fleurs est un parfum, le parfum du souvenir maternel, de l’Avenue de France à Tunis, d’une époque. Elle vient tirer le fil de l’œuvre de Colette Fellous. Une œuvre dont les lecteurs les plus attentifs trouveront des échos dans chaque page, à l’instar de la chambre d’hôpital de sa mère, « Rosa Gallica », un rosier qui donna également son titre à l’un des premiers livres de l’autrice.
« Toutes différentes et toutes uniques ces quelques fleurs, elles contiennent des moments inédits, très brefs, c’est en les retrouvant que je retrouverai ces moments. »
Colette FellousQuelques Fleurs
Ce livre se pose des questions. Beaucoup. De façon intérieure, bien sûr. L’autrice n’attend rien de nous. Mais tout de même. Et si la fin ne vient pas fondamentalement nous éclairer sur ce qui fonde notre lecture – citons juste la fête des Mères 1957 –, on ne peut s’empêcher, comme ce petit livre, de croire aux miracles. Quand même.
Quelques Fleurs, de Colette Fellous, Gallimard, 160 p., 20 €, depuis le 15 février 2024 en librairie.