…j’ai besoin de savoir où les choses se sont passées. » Rencontre avec un collectionneur pas comme les autres qui a arpenté la capitale pour établir son Grand Carnet d’adresse de la littérature à Paris.
Quand et comment cette folle aventure a-t-elle commencé ?
Il y a quelques années, j’avais un blog littéraire qui s’appelait Paris à l’encre et qui poursuivait un peu le même but. J’ai voulu donner une seconde vie à ce blog en faisant un livre. Je me suis lancé et emporté par mon élan, je suis allé à la rencontre de plus de mille écrivains ayant vécu à Paris, plus de 1200 adresses, des appartements, des maisons, des cafés, des hôtels…
Dans vos recherches, vous ne partiez donc pas de zéro ?
Entre le contenu recensé sur mon blog, mes promenades littéraires et les d’ouvrages que j’avais déjà écrit sur les écrivains de Paris comme Saint-Germain-Des-Prés, les lieux de légendes, j’avais déjà presque un tiers de la documentation à disposition. J’ai simplement continué et décuplé mon travail d’historien, de détective, de journaliste, d’archiviste et un peu d’écrivain évidemment.
Comment avez-vous procédé pour mener cette enquête titanesque ?
C’est à peu près deux ans et demi de travail, presque 5000 heures à arpenter les ruelles et les livres. J’ai une bibliothèque personnelle importante sur la ville de Paris, entre 200 et 300 livres, j’ai travaillé avec la BNF, la Bibliothèque historique de Paris (BHVP), Pompidou, les archives de journaux, l’INA et Retronews et évidemment les ressources phénoménales de Google. Au début, j’ai fait beaucoup de recherches de terrain mais j’ai progressivement arrêté parce que c’est trop triste. Il y a tellement d’adresses qui n’existent plus que ça me faisait mal au cœur.
Qu’est-ce qui vous passionne tant dans ce format du Guide culturel ?
Il faudrait demander ça à un psychologue. J’ai un rapport avec les lieux qui est très personnel. J’ai besoin de savoir où les choses se sont passées. Modiano est un peu comme ça. Il faut absolument que l’adresse soit exacte pour qu’on puisse ressentir quelque chose, savourer la petite histoire qui va avec. Il y a évidemment aussi un côté collectionneur qui est indéniable (rires). Paris est la ville idéale pour satisfaire petite manie, c’est la capitale littéraire du monde. Comme dit l’écrivain Katrina Kalda : « À Paris, si on ne fait pas attention, on se met vite à marcher dans un livre. »
S’il me prend l’idée de faire une balade littéraire de Paris, quel itinéraire me conseillez-vous ?
Je ne vais pas vous étonner mais je vais vous répondre le 6ème arrondissement. Entre la rue de Tournon, le Luxembourg et la Seine. Vous avez là plus de 200 adresses. La Rue de Tournon est clairement la plus riche en habitant littéraire. Vous avez Balzac, Henri De Latouche, Gide, Renan, Prévert, Charles Cros, Baudelaire, Les frères Daudet, Maurice Renard, Pierre Jean Jouve, Brasillach, Anatole, France, Romain Rolland, Radiguet, Heredia, Gabriel Marcel et j’en oublie, c’est absolument hallucinant.
Parmi toutes les anecdotes que vous avez grapillées ? Quelles sont vos histoires préférées ?
Je pense à Antoine Blondin qui tente de faire baptiser un gigot dans l’Église de Saint-Germain-des-Prés, j’imagine la scène. Je pense aussi à cette scène de Kafka qui prend le métro, Montherlant et Aragon qui vécurent dans le même appartement à quelques années d’écart, Sarthe qui joue du piano à quatre mains avec sa mère dans son appartement, Marguerite Duras la résistante qui habite au-dessus de Ramon Fernandez le collabo rue Saint-Benoît : à tous les coins de rues il se passe quelque chose.
Vous pouvez même résider dans la chambre qu’occupa Rimbaud rue Victor Cousin à l’Hôtel de Cluny. Demandez la chambre 62, c’est là où il aurait écrit La Chanson de la plus haute tour.
Quelle est l’adresse qui vous a le plus marqué ?
Vous allez au 42 rue Bonaparte et vous êtes dans l’immeuble où habitait Sartre avec sa maman et dans le même immeuble, vous avez la romancière Béatrix Beck qui a eu le Goncourt en 1952 pour Léon Morin, prêtre, un autre écrivain qui s’appelait Gaston Criel et un dernier qui s’appelait Philippe Dumaine. Il habitait juste au-dessus de chez Sartre et les gens se trompaient, ils venaient toujours l’importuner. Il en a eu marre et a mis un petit écriteau sur sa porte : « Visiteur, redescends, c’est en dessous que gît cet être ou ce néant, le maître existentiel. » Allez à cette adresse, vous ferez provision de littérature.
Il y a même un écrivain qui résidait dans une avenue portant son nom ?
Ils sont même deux ! Bien évidemment Victor Hugo. L’avenue d’Eylau dans laquelle il résidait a été renommé de son vivant l’Avenue Victor Hugo, il avait pour habitude de recevoir des lettres adressées : « À Victor Hugo, en son avenue. » Lamartine lui aussi a résidé à la fin de sa vie Rue Lamartine. Des exceptions puisque la règle stipule qu’il faut attendre cinq ans après la mort de l’écrivain pour lui attribuer une voie. Pour la petite anecdote, j’écris en ce moment des interview imaginaires des écrivains ayant une voie à Paris pour leur demander s’ils sont contents de leur rue ou de leur avenue.