Idole de la pop culture pour son rôle de Daenerys Targaryen dans Game of Thrones, Emilia Clarke s’est récemment illustrée dans l’industrie du comics avec M.O.M: Mother of Madness. L’occasion idéale de s’arrêter sur ces acteurs et actrices qui ont tenté l’aventure.
Au fil des années, les lecteurs ont pu croiser de nombreux noms familiers sur la couverture de leurs comics. Samuel L. Jackson, Rosario Dawson, Nicolas Cage, pour ne citer qu’eux, ont déjà participé à la création de leurs propres bandes dessinées. Plus récemment, Keanu Reeves et Emilia Clarke se sont inscrits dans cette même mouvance. Mais qu’est-ce qui attire autant ces grands noms vers l’univers du comics ?
Le point de départ
« Parfois, c’est pour se flatter eux-mêmes ou pour avoir une meilleure relation avec leurs fans, explique Rich Johnston, fondateur du site Bleeding Cool et spécialiste de l’industrie. Parfois, c’est pour approfondir une idée qu’ils ont eue avec des collaborateurs talentueux, ou parce qu’ils ont une histoire qu’ils ont désespérément envie de raconter. »
Arnaud Tomasini, rédacteur en chef du site spécialisé Comicsblog, met également en avant l’intérêt sincère de certains d’entre eux pour cet art. « Je pense qu’ils sont sincèrement passionnés par le monde de la BD. Ils voient toute la puissance narrative et graphique qui se dégage de ce médium. »
Selon Johnston, chaque acteur s’implique ensuite à des niveaux différents. « Le comics peut simplement se baser sur une phrase gribouillée sur une enveloppe. Quelques fois, l’acteur écrira et dessinera chaque page, avec les couleurs et le lettrage. Tout dépend de leurs compétences, leur implication et leur envie de collaborer. »
Cette capacité à s’entourer de personnes compétentes est d’ailleurs un paramètre très important pour Tomasini. « Certains ont des qualités naturelles pour l’écriture. Si ce n’est pas le cas, la meilleure chose à faire est de se rapprocher d’un professionnel de l’industrie, ne serait-ce que pour comprendre les spécificités de l’écriture de bande dessinée, les notions de rythme, de découpage, etc. »
BRZRKR et M.O.M, deux ouvrages récents
En 2021, un Keanu Reeves au sommet de sa popularité se lance dans les comics avec la maison d’édition BOOM! Studios. Son projet, intitulé BRZRKR (dont nous avions réalisé la critique), coscénarisé par Matt Kindt et dessiné par Ron Garney, deux habitués de l’industrie, bat tous les records.
Plus grosse campagne de financement sur Kickstarter avec 1,45 million de dollars récoltés, plus gros lancement d’un comics original du XXIe siècle avec plus de 650 000 exemplaires commandés… « Avec BRZRKR, Keanu Reeves a fait grand bruit », ajoute Rich Johnston.
Très vite après la publication du numéro 1, un contrat est même signé avec Netflix pour adapter l’histoire en film et série animée, avec l’acteur en vedette. Un tel succès fait cependant plus office d’exception dans le paysage des comics écrits par des stars. Car, d’après le spécialiste, l’explication est simple : « Keanu vend, peu importe le médium dans lequel il exerce. »
La même année, Emilia Clarke, autre visage iconique de la pop culture moderne, lance M.O.M : Mother of Madness, son propre comicbook où l’on suit les aventures de Maya, dont les pouvoirs sont liés à ses hormones et humeurs, et qui doit jongler entre ses casquettes de super héroïne, scientifique et mère célibataire.
Cet ouvrage féministe et satirique porté par une équipe créative 100 % féminine trouve son public avec plus de 70 000 exemplaires écoulés pour son premier numéro aux États-Unis. Un succès très honnête, mais très loin des sommets de vente atteints par la série de Reeves.
Des projets pour se faire plaisir
De toute évidence, avoir un nom connu sur la couverture n’est pas synonyme de succès. Les bandes dessinées portées par des noms tels que Samuel L. Jackson ou Nicolas Cage il y a une quinzaine d’années n’ont pas fait date. « C’est dans la nature des choses, analyse le journaliste britannique. Beaucoup d’œuvres écrites par Stan Lee, Alan Moore ou Neil Gaiman aussi ont été oubliées. »
Pour Arnaud Tomasini, « ces projets ne sont pas du tout la vitrine principale, la bande dessinée n’est pas leur cœur de métier. Les célébrités restent des êtres humains. Qui n’a jamais eu envie de raconter sa propre histoire et la mettre en images ? Forcément, avec un nom important, ce doit être plus facile de débloquer des fonds. »
Pour preuve : en 2019, J.J. Abrams (producteur des épisodes 7 et 9 de Star Wars ou du reboot de Star Trek) et son fils Henry lancent en grande pompe une minisérie Spider-Man. À sa sortie, Spider-Man #1 fait un énorme buzz et les numéros suivants sont promis à un bel avenir. Mais les retards de publication s’enchaînent et l’histoire finit par décevoir.
De toute façon, l’objectif était ailleurs. Ce comics « était certainement juste une envie pour J.J. de se faire plaisir avec son fils et d’exorciser certains de leurs problèmes familiaux par la BD », explique le journaliste français. Par ailleurs, le récit sera tout de même « la 17ᵉ meilleure vente de comics sortis en France en 2021 ».
Des acteurs fans de comics qui font leur trou
Si certains acteurs ne sont que de passage dans l’industrie, d’autres ont su se frayer un chemin en devenant des auteurs réguliers de comics. « Il y a des artistes comme Patton Oswalt ou Bill Mumy qui sont maintenant aussi connus en tant que scénariste de comics », souligne le rédacteur de Bleeding Cool.
Certes, ces acteurs n’ont pas la renommée des noms précédemment cités. Mais ils tiennent à ce médium et se sont fait une place particulière dans le secteur. On peut également citer le comédien et humoriste Brian Posehn, qui a coécrit de nombreux comics Deadpool, et David Dastmalchian, aperçu dans Oppenheimer ou The Suicide Squad, à l’œuvre récemment sur plusieurs séries indépendantes.
De l’écran aux pages de BD
Les passerelles entre le cinéma et les comics sont nombreuses, et la frontière entre les deux médias devient encore plus floue par moment. L’année dernière, le grand public a pu découvrir Ms Marvel, héroïne interprétée par Iman Vellani.
L’actrice enfilera à nouveau son costume dans le film The Marvels, mais elle va également écrire les prochaines aventures en comics du personnage qu’elle interprète dans le MCU. Dans la même veine, Paul Dano, grand vilain du dernier film Batman, a écrit Riddler: Year One, un comics dédié aux origines de son personnage.
Rich Johnston justifie ce genre de projets par le fait que « les acteurs aiment souvent s’approprier leur personnage et c’est un moyen pour eux de continuer ce voyage ». Mais, selon lui, « ce n’est pas un phénomène nouveau ».
De son côté, le journaliste de Comicsblog trouve cette démarche « plutôt intéressante, car ils ont forcément lu des comics pour jouer leurs personnages respectifs. Ils écrivent ces BD pour développer des aspects qui les ont intéressés ou raconter des aventures parce qu’ils sont tombés amoureux de leurs rôles ».
Mettre en avant les comics
Si tous les projets évoqués au fil de ces lignes ont rencontré des succès divers, les différents acteurs de l’industrie sont guidés par un même objectif : espérer attirer de nouveaux lecteurs pour donner de l’air à un marché parfois complexe.
De son côté, Rich Johnston voit ce genre de projets d’un bon œil. Pour lui, « ils peuvent mettre en lumière le format comics. Les gens les découvrent d’un tas de manières différentes, et je soutiens tous ceux qui peuvent y contribuer ».
Arnaud Tomasini est quant à lui un peu plus sceptique. « Je ne suis pas sûr que la présence de ces noms sur les couvertures attire beaucoup plus de monde. De mémoire, il n’y a que BRZRKR qui a réussi ce coup pour le moment. On reste dans une niche culturelle, il est assez rare qu’elle casse le plafond de verre. » Une vérité d’autant plus valable dans un marché français de la BD où le comics ne représente que 4 % des ventes totales en 2022.