Décryptage

Tortues Ninja : le retour des éternels adolescents

08 août 2023
Par Michaël Ducousso
Fini le style réaliste un peu effrayant, le nouveau look des Tortues revient aux fondamentaux et aux airs juvéniles.
Fini le style réaliste un peu effrayant, le nouveau look des Tortues revient aux fondamentaux et aux airs juvéniles. ©Paramount Pictures

La sortie de Ninja Turtles: Teenage years offre l’occasion de redécouvrir une licence phare de la pop culture, qui réserve encore bien des surprises après 40 ans d’aventures.

Cowabunga ! Les Tortues Ninjas sont de retour. Très attendu par les fans, le film d’animation Ninja Turtles: Teenage Years, qui sort ce 9 août, pourrait marquer le grand renouveau d’une licence qui a connu des hauts et des bas, mais qui s’apprête à fêter ses 40 ans.

Un âge relativement jeune à l’échelle de la pop culture – et même à l’échelle d’une vie humaine, rassurez-vous –, mais qui témoigne tout de même d’un ancrage fort dans l’imaginaire collectif. Ce qui n’est pas rien pour une bande d’« adolescents mutants ninjas tortues » (qui donne le fameux acronyme TMNT en VO) inventée comme une blague par deux amis artistes de comics.

Une œuvre punk à la puissance commerciale incroyable

Car, oui, encore une fois, c’est un comic qui est à la base de tout. Une bande dessinée à la fois sombre et loufoque, inventée en 1984 par Kevin Eastman et Peter Laird, tous deux fans du travail de Franck Miller sur Daredevil. Pour parodier le maître, ils se sont mis à raconter les aventures de Leonardo, Donatello, Michelangleo et Raphael dans un comic, plus proche d’un fanzine fabriqué dans le garage des parents que d’un roman graphique Marvel.

Cela ne les a pas empêchés de rencontrer un succès inattendu. Même si cette œuvre a commencé à rassembler une toute petite communauté de fans, ce sont bien le dessin animé de 1987 et les figurines qui ont déclenché la Turtlemania.

©Paramount Pictures

Très lucide sur ce point, Sullivan Rouaud (qui publie en France la récente série de comics TMNT chez HiComics) s’en réjouit. C’est ce qui permet, selon lui, d’avoir toujours de nouvelles histoires des tortues en librairie en 2023. « Le combo dessin animé et jouets est un élément vraiment central pour la survie de cette licence, car ça représente un contrat qui a rapporté littéralement des milliards de dollars à l’époque et qui a complètement gravé dans la tête des petits garçons de cette génération que les Tortues étaient aussi importantes que Batman ou Dragon Ball. C’est ce qui en fait l’une des licences les mieux identifiées dans le monde entier aujourd’hui, ce qui est une performance incroyable pour une histoire qui a commencé par un comic book ultra punk. »

En transformant les héros de comics en figurines pour enfants, Mark Freedman a eu une idée de génie qui a garanti la survie de la licence tout en rapportant des milliards de dollars.©Shutterstock, Aisyaqilumaranas

Une œuvre tout de même dotée d’un potentiel incroyable et qui a eu la chance d’être bien valorisée par des industriels et les créateurs de la série, bien aiguillés par un certain Mark Freedman. « C’est l’agent qui a permis à la licence de se faire connaître, explique Lionel Viana Correa, fondateur de Tortupedia. Quand il a expliqué son plan à Kevin Eastman et Peter Laird, il leur a dit : “Une licence, faut en faire des jouets et espérer un succès entre trois et cinq ans, après, ça va commencer à ne plus fonctionner.” C’est exactement ce qu’il s’est passé : les Tortues ont commencé en tant que jouets à partir de 1988 sur le marché et, à partir de fin 1991, on a vu une très forte chute des ventes. »

Entre-temps, tout le monde avait fait fortune et les enfants du monde entier consommaient des produits estampillés TMNT, rejouaient les aventures de leurs quatre héros préférés sur NES, ou se précipitaient au cinéma pour assister à leurs exploits dans des films live.

Une série pour enfants, adolescents ou adultes ?

La recette de ce succès inattendu a été reproduite maintes fois par la suite, toujours avec cette même optique : utiliser la licence comme une machine à sous, avec des films et des séries animées accompagnés d’une flopée de jouets pour séduire les enfants. Mais la martingale n’a plus donné d’aussi bons résultats qu’au début des années 1990.

Il faut dire que les Tortues avaient bénéficié alors d’un créneau particulièrement favorable, entre la fin de GI Joe et des Maîtres de l’univers, et juste avant le début de la Batmania de 1992 et du phénomène Power Rangers lancé en 1993. À cela s’est ajouté un facteur auquel ne s’attendaient pas les producteurs et les fabricants de jouets, et qui a perturbé leur façon d’aborder la franchise : le public est resté attaché aux Tortues des années 1980 en grandissant.

Le générique interprété par Peter Lorne a marqué toute une génération et contribué à la popularité de la série animée.

Résultat, Leonardo et ses frères attirent aussi bien des enfants et des ados que des adultes devant les écrans, et les studios ne savent pas toujours bien comment parler à tous ces publics en même temps. C’est d’ailleurs ce qui a parfois causé l’échec et l’arrêt brutal de certaines itérations des Tortues. Mais tout pourrait changer avec ce Teenage Years, signé Seth Rogen, dont les premières images ont déjà séduit les fans.

« Ce film est une vraie surprise », confirme Lionel Viana Correa, qui ne pensait pas revoir les Tortues sur grand écran de sitôt, après l’échec relatif du précédent reboot, qui n’a donné que deux films au lieu des trois annoncés.

Si le style graphique et la jeunesse des personnages parlent au jeune public, les références aux comics et à l’anime des années 1980 raviront les fans de la première heure.

La Paramount aurait pu arrêter là les frais si Seth Rogen ne s’était pas montré convaincant et, surtout, si Spider-Man: New Generation n’avait pas prouvé qu’un film d’animation avec un scénario bien ficelé et une patte graphique léchée pouvait attirer en salle les fans de tout âge. La leçon semble avoir été bien intégrée par Paramount, qui a accepté de jouer à fond la carte adolescente, tout en restant fidèle au matériau source qui plaît tant aux fans de la première heure.

« Cela se voit même avec les nouvelles figurines, qui sont accompagnées d’une grappe d’accessoires, comme c’était le cas pour les premières générations de jouets », confirme le fondateur de Tortupedia. Tout cela est une bonne nouvelle pour les aficionados, mais également pour une licence dont les qualités mériteraient vraiment d’être mieux connues par le grand public.

Des outsiders qui pourraient nous surprendre

Bien entendu, la qualité première de la saga est d’avoir un concept aussi saugrenu qu’intéressant. « Eastman et Laird ont proposé aux lecteurs un combo très “nineties” avec des mots-clés comme Ninja ou New York qui ont tout de suite plu », explique ainsi Sullivan Rouaud. Il insiste en précisant qu’une tortue ninja à New York, « c’est une promesse aussi forte qu’un chat samouraï à Tokyo ».

Le spécialiste poursuit en soulignant le fait qu’ils ont aussi « fait très fort en termes de design. À la base, le clan Foot et Shredder n’était qu’une parodie de la Main dans Daredevil et, aujourd’hui, ils occupent une place à part dans la pop culture. Shredder est même un des meilleurs vilains de comics. »

Le Ninja Rap chanté par Vanilla Ice dans le deuxième film live des Tortues Ninjas… Peut-on faire plus années 1990 que ça ?

Mais les qualités de la saga ne s’arrêtent pas là. « La série développe aussi des idées extrêmement fortes, avec cette famille de quatre frères, qui sont les avatars des marginaux qui n’ont pas la même couleur de peau que les autres et qui doivent se cacher pour vivre. Ce sont des thèmes qui touchent l’intégralité des gens confrontés à ces problèmes et c’est ce qui a fait notamment le succès des X-Men. »

L’éditeur se réjouit donc de revoir ces aspects mis en avant au cinéma. D’autant qu’il perçoit un véritable renouveau pour la saga, à l’aube de ses 40 ans. En témoigne le succès fulgurant du premier tome de l’intégrale, en rupture quasiment dès sa sortie, en juillet. Un succès d’autant plus surprenant que la série a eu du mal à prendre en librairie à ses débuts en France, il y a cinq ans.

©Paramount Pictures

Mais c’est souvent quand on ne les attend pas que les Tortues sont les plus fortes. C’est d’ailleurs un des traits majeurs de leur histoire, comme le rappelle Lionel Viana Correa : « Personne à Hollywood ou chez les fabricants de jouets n’a cru en cette licence. Jamais. Lorsque Mark Freedman a approché les entreprises susceptibles de faire de la série animée et des jouets, il a essuyé de nombreux refus. C’est pour ça qu’il s’est finalement orienté vers Playmates Toys, une boîte hongkongaise qui venait d’arriver aux États-Unis et dont la première tentative pour s’intégrer sur le marché a été un échec. »

©Paramount Pictures

Quelque temps après, lorsqu’il s’agissait de produire le film qui a connu un succès phénoménal en 1990, les tortues ont encore bénéficié d’une dose de chance surprenante. « Les producteurs de la Golden Harvest lui ont donné sa chance en juin 1988, alors que les jouets venaient de sortir en magasin et que la série n’était quasiment pas connue, parce que Teenage Mutant Ninja Turtles n’avait aucun sens et que ça les faisait rire. »

Une blague qui aurait pu s’arrêter là, une semaine avant le tournage, lorsque les principaux sponsors du film l’ont lâché : « Les producteurs ont tenté de contacter d’autres sponsors, dont Pizza Hut, qui ont refusé. »

©Paramount Pictures

Une erreur de jugement payée cher par la firme qui a laissé passer sa chance de profiter de la Turtlemania, au profit de son concurrent Domino’s Pizza. « L’histoire des Tortues est un jeu constant de gens qui n’y ont pas cru et d’autres qui ont donné leur chance à une licence et qui se sont fait un petit pécule dessus. » Raison de plus pour croire au nouveau film qui leur est consacré. S’il marche, qui sait quelles surprises Leonardo et ses frères pourraient nous réserver pour célébrer leurs 40 ans en grande pompe l’an prochain ?

À partir de
39,95€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste
Pour aller plus loin