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Daredevil, un super-héros trop longtemps sous-coté ?

09 février 2022
Par Lisa Muratore
Le super-héros Daredevil dans les bandes dessinées Marvel.
Le super-héros Daredevil dans les bandes dessinées Marvel. ©Marvel Comics

Longtemps mal-aimé, Daredevil semble aujourd’hui regagner le cœur de ses fidèles. Retour sur le parcours pas toujours facile de ce super-héros aussi tourmenté que passionnant.

Un aveugle en costume rouge, avec des cornes sur le sommet du crâne et un lasso-cane… Difficile de ne pas reconnaître Daredevil. Pourtant, en dépit de sa célébrité, ce super-héros iconique des comics Marvel n’a pas toujours eu la vie facile. Que ce soit dans les pages de nos bandes dessinées préférées ou au vu du traitement qui lui est fait, le justicier de Hell’s Kitchen a souvent été relégué au second plan.

La faute très certainement au parti pris créatif de départ. Imaginées par Stan Lee et Bill Everett, les aventures de Daredevil étaient autrefois assimilées à de la série B, mêlant à la fois le drame de la double-identité et un ton humoristique. Heureusement, dès 1979, Frank Miller rebat les cartes pour faire des péripéties de Matt Murdock une collection de comics culte. En reprenant les rênes, le scénariste a offert une appréhension plus sombre et psychologique du super-héros, une intention que l’on associe souvent aux œuvres de l’auteur américain.

Matt Murdock dans les comics Marvel.©Marvel Comics

Dans les années 1980, un réel attrait naît autour de ce super-héros trop longtemps sous-coté. On se rend compte aujourd’hui que sa représentation va en effet plus loin que celle d’un justicier de quartier aveugle dans l’univers des comics Marvel. La puissance de Daredevil a souvent été ignorée, à l’instar des enjeux que pose son histoire.

Daredevil, un héros mal aimé

À l’origine, Daredevil avait toutes les qualités pour conquérir le cœur des lecteurs de bandes dessinées. Inspirées du super-héros muet Bart Hill, dont les aventures ont été publiées dans les années 1940, celles de Daredevil débutent le 1er avril 1964, soit deux ans après la première publication de Spider-Man.

Ça a joué un rôle conséquent vis-à-vis du public, déjà mordu de l’Homme-araignée. Daredevil a en effet souvent été comparé à Peter Parker. À l’instar du jeune homme, Matt Murdock opère tel un justicier de quartier pour combattre le crime. Ils partagent également beaucoup de similarités en termes de pouvoirs, que ce soit leurs super-sens aiguisés, leur agilité, leur résistance aux chocs, ou encore leur capacité à swinguer de building en building. Des points communs qui ont d’ailleurs favorisé leur alliance dans les comics. Mais elle s’est souvent faite au détriment de Daredevil, considéré finalement comme un sidekick secondaire plutôt qu’un véritable partenaire.

Daredevil et Spider-Man ont souvent fait équipe dans les bandes dessinées Marvel.©Marvel Comics

La concurrence venait également des pages DC Comics. Daredevil n’a jamais réussi à égaler la popularité de Batman, en dépit de la touche torturée et sombre que Frank Miller lui a apportée, ainsi que des nombreuses similarités qu’il partage avec le justicier de Gotham. Bien que la série de comics sous l’égide du scénariste ait connu un franc succès, ça n’a pas suffi à faire du personnage un super-héros d’anthologie. Ses péripéties face aux gangsters new-yorkais, plus réalistes, sont certes parvenues à attirer de nombreux lecteurs et lectrices, mais sans obtenir la reconnaissance qu’elles méritaient.

Là où Captain America & Co s’attachent à combattre des menaces extraterrestres, le terrain de jeu de Daredevil concerne souvent le monde de la pègre. On note également l’introduction tardive de Winston Fisk alias le Caïd, l’antagoniste phare de Matt Murdock. Encore une fois, grâce au talent de Frank Miller, le super-héros a obtenu un ennemi emblématique, un élément qui manquait cruellement aux premières histoires.

Winston Fisk alias le Caïd est l’ennemi emblématique de Daredevil.©Marvel Comics

En France, l’arrivée tardive des comics Daredevil pourrait expliquer l’injustice dont a longtemps souffert le personnage. Là où d’autres protagonistes ont rapidement bénéficié d’une diffusion à l’international, mais aussi de divers formats, Matt Murdock a souvent été mis de côté. Par exemple, le super-héros n’a jamais bénéficié de sa propre série télévisée, se contentant de brèves apparitions dans les dessins animés Les 4 Fantastiques ou Spider-Man. Si, en 1989, Daredevil jouait un rôle important dans l’oubliable Procès de l’Incroyable Hulk, il faudra attendre 2003 pour voir le super-héros bénéficier de son propre live-action, au cinéma.

Là encore, le long métrage n’a pas rencontré son public, le film porté par Ben Affleck étant considéré comme l’une des pires adaptations super-héroïques. Un acte manqué regrettable pour les fidèles de Daredevil qui, selon eux, n’a pas su exploiter la psychologie ainsi que les attraits du personnage et de son univers.

Derrière les lunettes et la cane se cache un héros profond

La nouvelle appréhension de Daredevil lui a permis d’acquérir une personnalité plus travaillée. En choisissant de donner de l’épaisseur à sa caractérisation et à son passé, les scénaristes se sont rapprochés d’une identité d’antihéros. De son accident l’ayant rendu aveugle au combat pour défendre les innocents, en passant par l’assassinat de son père, la vie de Matt Murdock n’a finalement jamais été simple. Pourtant, le personnage de Daredevil dépasse le héros solitaire classique. Il possède une dimension humaine et réaliste. Il est émouvant, tourmenté, aussi fragile que discret, et son sens de la justice témoigne d’un jusqu’au-boutisme aussi dangereux que courageux.

La morale et le droit sont d’ailleurs deux notions importantes dans les comics Daredevil. Ses aventures sont le prétexte pour montrer du doigt tout un système judiciaire. Voir ses limites et ses échecs conduit Matt Murdock à enfiler son costume chaque nuit. Par la violence de ses actes, le super-héros exorcise sa frustration. Les changements que la justice requiert ne peuvent pas être accomplis par un avocat, mais par un justicier masqué.

Ben Affleck dans la peau de Matt Murdock pour le film Daredevil.©UFD

La dualité du personnage permet également de mettre en avant des thèmes universels, comme la différence entre justice et loi, la nocivité du pouvoir ou la foi confrontée à la violence. La religion prend beaucoup de place dans l’univers de Daredevil. Son costume rappelle d’ailleurs le diable, et Matt Murdock n’hésite pas à se confesser pour ses actes commis en tant que justicier. Néanmoins, les comics ne sont jamais tombés dans le piège du manichéisme.

Au-delà de la fiction, les bandes dessinées ont également eu un impact en termes de représentativité. À une époque où la diversité envahit l’univers des super-héros, faire d’un aveugle l’un des personnages phares de son univers, dès les années 1960, est assez unique. Si le Docteur Mid-Nite chez DC a ouvert la voie en 1941, Matt Murdock a prouvé que handicap et héroïsme étaient compatibles.

Charlie Cox a prêté ses traits à Daredevil dans la série Netflix éponyme. ©Netflix

Les aventures du personnage sont aujourd’hui également compatibles avec l’univers du divertissement. La série Netflix dans laquelle Charlie Cox prête ses traits à Matt Murdock a connu un succès sans précédent, replaçant sur le devant de la scène le super-héros et faisant ainsi oublier le douloureux souvenir que représente le film avec Ben Affleck. Les générations d’hier et d’aujourd’hui ont (re)découvert le personnage, le show ayant mis l’accent sur l’action, mais surtout sur la psychologie du super-héros. La plateforme n’a pas non plus oublié les éléments phares de l’univers, en incluant les protagonistes clés, et en couplant ses aventures avec celles des Defenders.

Le petit comme le grand écran semblent désormais vouloir miser sur le héros d’Hell’s Kitchen, en témoigne la dernière apparition de Matt Murdock dans Spider-Man : No Way Home. Un regain d’intérêt qui pourrait lui permettre d’être apprécié à sa juste valeur. Longtemps sous-cotées, les diverses évolutions du personnage à travers les comics lui ont permis de gagner en maturité et en profondeur, de devenir le catalyseur d’une minorité et d’un message dépassant l’imaginaire des bandes dessinées. Finalement, des éléments que l’on attend de nos héros modernes, et qui nous font espérer que celui que l’on surnomme l’homme sans peur a encore un bel avenir devant lui.

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Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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