Critique

Catch, nostalgie, nécromancie… Do a Powerbomb est-il le comic book de l’année ?

11 juin 2023
Par Michaël Ducousso
Des ceintures dorées, des masques de luchador et une bonne dose de rage ; voilà le cocktail explosif de “Do a Power Bomb”.
Des ceintures dorées, des masques de luchador et une bonne dose de rage ; voilà le cocktail explosif de “Do a Power Bomb”. ©Urban Comics

Le nouveau titre de Daniel Warren Johnson combine avec succès combats brutaux et grands sentiments familiaux. C’est un plaisir régressif pour lecteurs (presque) mûrs.

Daniel Warren Johnson est un adepte du mélange des genres. Réputé pour ses dessins nerveux et ses combats pleins de fureur destructrice, il est aussi connu, en tant que scénariste, pour prendre le temps de développer les sentiments et les émotions de ses héroïnes et héros confrontés à des tragédies personnelles.

Ce goût pour les fusions improbables le conduit parfois à créer des comics aux thèmes assez intrigants à base d’invasions de Kaiju endiguées par un dieu du heavy métal ou, plus récemment, de dinosaures super-héroïques. Les œuvres de l’artiste américain sont comme une crème glacée coco-menthe-chocolat : une association de parfums qui détonne, mais qui, une fois en bouche, se révèle jouissive.

Daniel Warren Johnson signe le scénario et les dessins percutants de ce nouveau comic.©Urban Comics

Surtout lorsque son comparse, le coloriste Mike Spencer, prend la peine d’y ajouter de pleines poignées de toppings bigarrés. C’est ce qui a plu aux amateurs de gourmandises, un peu coupables, outre-Atlantique, lors de la découverte de Do A Power Bomb, l’an dernier. À tel point que le titre a été nommé pour la cérémonie des Eisner Awards qui aura lieu en juillet. Mais, avant que le jury américain se prononce, le lectorat français va pouvoir se faire sa propre idée, le 23 juin, sur ce titre mêlant cette fois… nécromancie et catch.

La lutte en héritage

Pour faire naître une idée pareille, il a fallu le cerveau malade d’un jeune père en manque de sommeil, aliéné par les trop nombreuses nuits blanches passées devant les rediffusions du championnat de catch japonais. Voilà le secret du talent créatif de Daniel Warren Johnson. On pourrait donc s’attendre au pire, ou presque.

La mise en scène et les costumes du catch se prêtant parfaitement à tous les excès graphiques, on pouvait au moins espérer prendre une sacrée claque, ou plutôt un atémi, niveau dessin. De ce côté-là, Daniel Warren Johnson est effectivement au rendez-vous et son style dynamique débridé se prête parfaitement à l’exercice.

Le catch avec ses cascades aériennes est idéal pour montrer l’étendue des talents du dessinateur américain.©Urban Comics

En revanche, en ce qui concerne l’aspect plus sentimental qui se retrouve souvent dans ses œuvres, certains pourraient se montrer plus sceptiques. Ceux-là mêmes pour qui le catch n’est qu’un spectacle abrutissant, destiné à assouvir nos pulsions les plus primaires. Mais ça, c’est une vision rétrograde qui ne tient pas compte de l’impact de The Wrestler.

Le film de Darren Aronofsky, porté par un Mickey Rourke émouvant, a en effet donné ses lettres de noblesse à cette discipline quasi théâtrale, pratiquée par des bodybuildeurs huilés qui se castagnent devant une foule en délire. Depuis, le catch est devenu un décor haut en couleur pour explorer les tragédies qui façonnent la vie d’athlètes fort·e·s, mais sensibles, comme Lona, héroïne de Do a Power Bomb.

The Wrestler a prouvé que le catch pouvait être un sujet dramatique et émouvant.

Fille de la grande championne décédée en plein show, Yua Steelrose, elle tente de se montrer digne de l’héritage maternel, malgré les réticences de son père. Derrière le strass, les paillettes, et les grosses mandales, Daniel Warren Johnson aborde donc la vie de ces artistes qui ne comptent plus les cicatrices et les drames écopés en régalant le public.

Le créateur de comics aurait pu en rester là et développer son récit, oscillant entre combats, relations filiales et gestion du deuil avec brio, mais il n’a pas pu refréner le sens de la démesure qui le caractérise. Et c’est tant mieux, car la démesure, c’est ce qui fait le sel de tout bon combat de catch. Il a donc ajouté une bonne dose de glaçage fantasy à son scénario avec l’apparition d’un nécromancien venu d’une autre dimension pour recruter des participants à son Deathlyfe Tag Team Tournament.

Un nécromancien fan de catch et habillé avec un look de grand méchant du Cyberpunk… Daniel Warren Johnson n’a pas peur du mélange des genres.©Urban Comics

Un tournoi de lutte ultraviolent et en équipe, dont le prix n’est autre que le retour à la vie d’un être aimé. Un deal finalement assez classique de la part d’un nécromancien fan de catch. Alors, pour apporter une touche d’originalité, Lona va devoir participer à la compétition en duo avec Cobrasun, le catcheur qui a accidentellement tué sa mère sur scène…

Un comic parfum manga

On vous avait prévenu : Daniel Warren Johnson est un adepte des mélanges étonnants. Et encore, nous n’avons abordé là que les aspects les moins surprenants de ce comic explosif tant sur le plan graphique que scénaristique. Mais, encore une fois, l’ensemble se marie bien à la lecture, même s’il n’est pas aussi surprenant que d’ordinaire. En tout cas, il ne le sera pas pour les lecteurs qui suivent la jeune génération de bédéastes francophones qui ont produit des œuvres similaires, que ce soit dans l’univers de Mutafukaz et ses séries dérivées, ou encore dans celui de Last Man.

On y retrouve souvent les mêmes ingrédients que ceux utilisés dans Do A Power Bomb : des tournois martiaux dignes des mangas shonens qui ont fait l’âge d’or du Club Dorothée, mêlés à des thématiques plus adultes comme la parentalité et la relation filiale. La preuve que les gamins des décennies 1980-1990 n’ont pas oublié les dessins animés du mercredi matin une fois devenus adultes.

Daniel Warren Johnson reprend avec dérision les codes des films et animés d’arts martiaux, comme le fameux training montage.©Urban Comics

Depuis quelques années, ces artistes nous offrent des œuvres syncrétiques qui rassemblent le meilleur des trois grands genres de la BD  (mangas, franco-belge et comic books) et Do A Power Bomb est une illustration supplémentaire de ce mouvement mené par des trentenaires et quadragénaires bourrés de talent.

Daniel Warren Johnson pourrait bien essayer de le nier, mais les petites références glissées au fil du récit laissent des preuves trop flagrantes de métissage artistique, comme en témoignent ces deux fans de catch assis côte à côte en tribune, qui ressemblent étrangement à Spike de Cowboy Bebop et au Joker.

Le dessin très fourni de l’artiste américain cache de nombreuses références à la pop culture des années 1980-1990.©Urban Comics

L’annonce de la nomination de Do a Power Bomb dans la catégorie jeunesse (13-17 ans) des Eisner Awards nous avait d’abord surpris. Non pas que nous mettions en cause les mérites d’une œuvre qui tient largement ses promesses, mais le lectorat visé nous semblait un peu jeune. Mais, après réflexion, ce comics s’adresse bien à des adolescents : ceux des années 1980-1990 qui ont grandi depuis et cherchent à retrouver les plaisirs jouissifs des anime de leur jeunesse, mais dans des versions plus en adéquation avec les problématiques de leurs vies d’adultes. Des aspirations paradoxales parfaitement comblées par Daniel Warren Johnson, qui marie avec succès german suplexes [une attaque de catch, ndlr] et grands sentiments.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste
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