Au début des années 2000, les Avengers n’étaient pas vendeurs. Tout a changé avec l’arrivée du scénariste Brian Michael Bendis et ses New Avengers. Retour sur cette série qui a bouleversé le destin des Vengeurs, à l’occasion de sa réédition en format omnibus par Panini Comics.
L’empreinte que Marvel a laissé sur le monde de la pop culture est indissociable de la franchise Avengers. Le premier film regroupant les super-héros a marqué les spectateurs à sa sortie et le diptyque Infinity War-Endgame a braqué le box-office en se hissant parmi les plus gros succès de tous les temps. Après 15 ans d’existence du Marvel Cinematic Universe, difficile aujourd’hui d’imaginer une époque où les Avengers n’étaient pas les tauliers de l’éditeur de bande dessinée.
Une équipe à la quinzième place du podium
Il a pourtant fallu attendre 2004 et les New Avengers de Brian Michael Bendis pour que l’équipe de héros occupe la place centrale de l’univers Marvel. Avec la réédition en format omnibus de la série, Panini Comics propose au public un récit emblématique qui a changé beaucoup de choses. Avant ce renouveau, les aventures de Captain America, Iron Man et compagnie n’étaient pas les plus suivies. Les véritables stars de Marvel étaient les X-Men et le petit chouchou, Spider-Man.
Ils sont aussi largement dépassés par les comics de la gamme Ultimate, une ligne de BD lancée quelques années auparavant se déroulant dans un univers parallèle et permettant de raconter de nouvelles histoires avec des personnages connus sans avoir à respecter la continuité narrative élaborée depuis des dizaines d’années.
Parmi ces titres, on retrouve Ultimate Spider-Man (évidemment), où sera créé en 2011 Miles Morales, et Ultimates, la réinvention des Avengers de ce nouvel univers qui inspirera très fortement l’adaptation cinématographique du MCU (un comble).
Certes, le titre se hisse à des niveaux de vente relativement corrects. Aux États-Unis, les comics sont généralement publiés à un rythme mensuel. Ainsi, en 2003, d’après les chiffres de vente collectés et publiés par Comichron, site référence en la matière, chaque numéro de la série Avengers se positionne tous les mois autour de la quinzième place du classement tous éditeurs confondus, avec une descente à la vingtième place en fin d’année.
Mais pour une équipe surnommée « les héros les plus puissants sur Terre » et regroupant certains des personnages les plus connus, ce n’est pas vraiment à la hauteur. À titre de comparaison, les titres phares Amazing Spider-Man, Ultimate Spider-Man et New X-Men vendent un peu moins du double d’exemplaires. Et il n’est pas rare que Hulk, Daredevil ou Wolverine viennent concurrencer les Vengeurs.
Cette situation dure depuis plusieurs années déjà. Les histoires racontées ne sont pourtant pas mauvaises et les auteurs impliqués sont un mélange de grands noms et de jeunes talents (dont le Frenchie Olivier Coipel et Geoff Johns qui révolutionnera Green Lantern plus tard). Pourtant, les Avengers ne sont pas les plus sollicités par le grand public. L’arrivée de Brian Bendis va alors faire entrer l’équipe dans une nouvelle ère éditoriale qui va tout bouleverser.
En 2004, le scénariste issu de la scène indépendante est en train de se faire un nom chez Marvel. Il cartonne avec le titre rafraichissant Ultimate Spider-Man et son Daredevil, où il montre sa maitrise du polar. Ce succès lui ouvre alors les portes des rencontres entre auteurs de la Maison des Idées, petit séminaire durant lequel il discute avec les éditeurs de la compagnie de la direction générale à venir pour les différents comics dans les prochains mois. Bendis en profite pour pitcher New Avengers et leur vend l’une des idées qui fera beaucoup parler : Spider-Man doit être dans l’équipe.
« Qui est ce foutu Valet de Cœur ? »
Depuis leur création et le rassemblement de Thor, Iron Man, Hulk, Ant-Man et la Guêpe, l’effectif des Avengers a beaucoup tourné. Dès le numéro 4, le grand Captain America fait son retour et un premier chamboulement de l’équipe a lieu dans le seizième numéro avec l’arrivée de la Sorcière rouge, Quicksilver et Hawkeye. Au fil des décennies, d’autres héros rejoignent les rangs de l’équipe et parmi eux, certains comme Éros ou le Valet de Cœur, dont la notoriété n’était pas des plus évidentes.
Ce dernier a d’ailleurs fait l’objet de gentilles moqueries de la part de Bendis pendant cette fameuse rencontre entre auteurs. Dans un long entretien avec CBR, l’auteur est revenu sur cette journée : « Mark Millar [ndlr : scénariste derrière le titre Ultimates] et moi parlions beaucoup et nous étions à fond à propos des Avengers. On se moquait, en disant des choses comme ”Pourquoi ce ne sont pas vraiment les héros les plus puissants de la planète ? Qui est ce foutu Valet de Cœur ?” J’ai ajouté ”Oui, pourquoi Avengers n’est pas une BD avec les gars les plus cool ? Pourquoi elle n’a pas des personnages comme Spider-Man et Wolverine ? »
Stupeur dans la pièce. Comment Spider-Man peut-il rejoindre les Vengeurs ? Depuis la création de l’équipe, il n’a jamais accepté de faire partie du groupe. Les différentes personnes dans la salle se lancent dans un débat enflammé et à ce moment-là, Joe Quesada, éditeur en chef de Marvel à l’époque, sait que Bendis tient quelque chose. À coup sûr, cette décision ferait parler tous les fans et créerait de l’engouement autour de la série.
L’un des éléments décisifs des New Avengers repose donc sur la composition de l’équipe. Cette fois-ci, les héros les plus cool de l’éditeur sont présents. Mais le scénariste n’oublie pas d’ajouter une autre touche d’originalité. Il intègre notamment Luke Cage et Spider-Woman, deux créations des années 1970 qui n’ont pas encore eu l’occasion de briller et qui sont des petits chouchous de l’auteur.
L’un est modernisé pour sortir du moule des personnages afro-américains des seventies issus de la blacksploitation. L’autre est la nouvelle femme fatale baignant dans le monde de l’espionnage et qui sera centrale dans la suite du récit. De plus, Bendis n’hésitera pas à utiliser des créations encore plus récentes et à s’amuser avec la profusion de personnages et concepts qui peuplent l’univers Marvel.
L’envol des super-héros
Évidemment, ses Avengers ne sont pas devenus célèbres uniquement grâce à la présence de quelques personnages adorés du public. L’histoire racontée est capitale. Au long des 1144 pages contenues dans le tome 1 de la réédition, Panini Comics propose les 35 premiers épisodes du run [ndlr : terme pour désigner la prestation d’un auteur sur une série de comics] de Brian Michael Bendis.
Tout commence quand l’écrivain débarque au numéro 500 de la série Avengers. Il écrit alors l’histoire en quatre tomes intitulée « La séparation » qui lance l’omnibus publié par Panini Comics. Dans cet article, on dévoilera le moins possible de l’intrigue, pour conserver l’effet de surprise à la lecture pour les plus curieux.
Mais on peut dire qu’il met le chaos dans la vie des Vengeurs et offre une fin tragique, mêlée à un hommage sincère à l’héritage de l’équipe. Quand les numéros sortent aux US, les chiffres de vente décollent et atteignent ceux des hits Marvel. Le récit fait débat parmi les fans, mais l’objectif est atteint pour ce « prologue » à l’histoire générale.
Tout démarre ensuite avec New Avengers #1, série qui prendra la suite du comics historique. Ce numéro publié en décembre 2004 confirme la dynamique : meilleure vente à sa sortie et deuxième plus gros succès de l’année. Les numéros suivants se hissent facilement dans le top 3 des ventes pendant des mois et quittent très rarement les hauteurs du classement. Alors qu’est-ce qui a pu autant intéresser les lecteurs ?
Outre le casting cinq étoiles, Bendis insuffle dès le début un rythme très soutenu. Les plus grands super-héros doivent se réunir pour mettre fin à une tentative d’évasion des plus grands vilains, retenus dans une prison haute sécurité. L’action est au rendez-vous et l’auteur maitrise ce casting très élargi. Il bâtit de nouvelles relations entre les personnages et sa science des dialogues fait mouche.
Les grandes batailles cosmiques face à des ennemis surpuissants sont laissées de côté, en faveur de conflits qui se déroulent sur Terre autour d’antihéros. Au fil des 31 numéros de New Avengers présents dans le recueil, Bendis n’hésite pas à explorer toute la richesse de l’univers Marvel.
Il nous balade à travers différents territoires, étranges comme la Terre Sauvage ou connus comme les locaux du SHIELD. Il crée l’agent Maria Hill, les Illuminati et Ronin. Il met en lumière Sentry, The Hood ou Echo, des personnages qui n’ont même pas cinq ans d’existence à l’époque. Ainsi, le récit n’est peut-être pas idéal pour un lecteur totalement novice, mais il offre un excellent aperçu de ce grand monde interconnecté créé dans les comics.
Une invasion secrète et efficace
C’est d’ailleurs ce qui change avec cette série : l’éditeur donne à Brian Michael Bendis la possibilité d’en faire la colonne vertébrale de l’univers de l’éditeur. Durant l’été 2005, le scénariste signe House of M, crossover événement entre les X-Men et les Avengers qui reprend certains fils d’intrigue tissés pendant l’arc « La séparation ». Il lance dès lors la mode des récits estivaux d’envergure qui seront la marque de fabrique de Marvel.
Le suivant est Civil War, écrit par… Mark Millar (décidément). L’événement chamboule la vie des super-héros dans les épisodes 21 à 25 et Bendis décide de créer une deuxième équipe de Vengeurs dans Mighty Avengers (une nouvelle série qui n’est pas comprise dans l’omnibus tout juste publié).
Mais le plus impressionnant est à venir avec le twist présenté dans New Avengers #31, qui conclut le volume présenté ici. En effet, depuis le tout premier numéro de la série, Bendis a un plan en tête. Au fur et à mesure des numéros, il sème des indices et construit son mystère pour préparer sa grande révélation. Cette lente construction qui mène à l’événement Secret Invasion a des répercussions à travers tout l’univers Marvel et la grande majorité de ses publications de l’époque.
Et c’est en cela que New Avengers a chamboulé le destin de l’équipe. Au sein d’un univers de plus en plus interconnecté, les Vengeurs sont désormais le cœur de Marvel Comics. C’est dans ce titre et ses futurs spin-offs que beaucoup d’événements majeurs ont lieu. Avec ce comics, Brian Michael Bendis est au sommet de son art et même si la qualité des numéros ne sera pas égale pendant le run de huit ans de l’auteur, cette première partie reste un immanquable à lire pour les fans de Marvel.
Ce premier tome de la réédition en omnibus des New Avengers contient également bon nombre d’épisodes uniques qui développent certains éléments d’histoires ou personnages comme Spider-Woman ou les Illuminati. À signaler également la grande qualité de la partie graphique. Le scénariste a la chance d’être accompagné par les meilleurs dessinateurs des années 2000.
Pour les premiers numéros, il fait équipe avec David Finch qui marquera de son empreinte la série avant de laisser la main à de nombreux artistes talentueux : Steve McNiven, Jim Cheung, Mike Deodato Jr ou encore Olivier Coipel. De quoi en prendre plein les mirettes pendant la lecture de ce gros morceau de l’histoire récente des Avengers.