L’autrice Taffy Brodesser-Akner transpose à l’écran pour Disney+ sa chronique de la dissolution d’un couple qui avait tout pour être heureux. Du moins, si l’argent fait le bonheur.
Pour une fois, voilà une traduction de titre de série réussie. Anatomie d’un divorce est en effet la mise à nu clinique de la fin du mariage en apparence parfait de Toby (Jesse Eisenberg) et Rachel Fleishman (Claire Danes). Lui est un docteur spécialiste des maladies du foie qui exerce dans un grand hôpital de Manhattan. Elle a monté une agence de découverte de talents à Broadway et cumule les succès.
Ils ont deux enfants préados qu’ils ne voient pas assez, mais leurs revenus les positionnent parmi les nouveaux riches new-yorkais propriétaires le long de Central Park, ceux qui ne s’abaissent jamais – au grand jamais ! – à prendre le bus. Les sériephiles assidus reconnaîtront un monde familier déjà mis en scène dans Gossip Girl, The Undoing, The Morning Show ou encore Succession.
Crises existentielles
Mais, à la différence de ces fictions télévisées aussi bling-bling que sarcastiques, ici c’est l’introspection qui sert de moteur à l’action. Le spectateur est guidé par la voix off de Libby, également narratrice du roman publié en 2019 par la journaliste Taffy Brodesser-Akner (connue pour ses subtils portraits de stars).
Jouée par Lizzy Caplan, Libby est une amie de Toby perdue de vue depuis l’université qui, elle aussi, traverse une crise de la quarantaine aiguë quand il décide de la recontacter après sa séparation avec Rachel. Grâce à ce dispositif narratif bavard – mais totalement assumé – et des flashbacks réguliers, la minisérie nous fait vivre les tourments de ces trois anciens étudiants ambitieux qui se sont fait dévorer par la Grosse Pomme : poids des attentes sociales, lassitude, regrets.
Parfois, c’est de la banalité du quotidien que naissent les œuvres les plus marquantes. Comme Scènes de la vie conjugale sur HBO, Anatomie d’un divorce est un accident de voiture émotionnel, filmé au ralenti : on a tous peur que cela nous arrive, mais on ne peut pas s’empêcher de regarder. En revanche, les huit épisodes ne sont pas suffocants.
Ils nous entraînent aussi bien dans les disputes du huis clos marital central que dans l’effervescence new-yorkaise proche et lointaine de l’été 2016, quand Hillary Clinton faisait encore campagne. Et aux trois personnages principaux à la dérive viennent s’ajouter de solides seconds rôles : Seth (Adam Brody) est l’ami célibataire endurci de Toby et Libby, et celle-ci est mariée à Adam (Josh Radnor), un avocat et père de famille satisfait de sa vie de banlieusard dans le New Jersey.
Sans oublier l’essaim de femmes au foyer qui bourdonnent autour du couple Fleishman, de soirées mondaines en activités extrascolaires hors de prix. Le ton cynique reste cependant bienveillant grâce à la performance d’actrices et d’acteurs tous très en forme. Claire Danes a été nommée pour un Golden Globe pour son rôle et, on ne le dira jamais assez, elle maîtrise les pleurs geignards comme personne.
Anatomie de Toby et Rachel
Le récit s’ouvre du point de vue de Toby alors qu’il s’apprête à vivre deux mois caniculaires de liberté (relative), les enfants étant en garde partagée avec Rachel. Sauf que celle-ci les largue et disparaît. Pas d’une façon inquiétante ou trop mystérieuse (ce n’est le propos ni du livre, ni de la série), mais son absence et son silence deviennent une contrariété qui ne cesse d’enfler, similaire aux kystes du foie que Toby a la charge de diagnostiquer.
Il doit en effet maintenant jongler entre un travail qui le passionne (et la carotte d’une promotion), ses innombrables conquêtes sur Tinder (les docteurs d’un certain âge y ont étonnamment la cote) et ses enfants privés d’un chaperon pour leur séjour annuel à la plage. Tout ça, semble-t-il, parce que Rachel l’égoïste refuse de quitter la retraite zen luxueuse qu’elle s’est accordée à la campagne à quelques heures de Manhattan.
Les jours se transforment en semaines et Toby s’adapte, la parentalité lui étant toujours venue plus naturellement qu’à sa femme. Mais, soudain, nous sommes assaillis d’un doute : faut-il vraiment se satisfaire de cette version des faits ? Après tout, l’anatomie relève du domaine scientifique et doit donc inclure une approche multidimensionnelle vérifiable.
C’est grâce à Libby, dont la voix omniprésente est de plus en plus incarnée au fur et mesure que les épisodes s’enchaînent, que va s’effectuer le renversement de perspective pour inclure le vécu de Rachel. Cette mère de famille workaholic n’est pas irréprochable, loin de là.
Elle est obsédée par les signes extérieurs de richesse, prise dans une course à l’ascension sociale dont la ligne d’arrivée lui échappera toujours, et confond parfois ses enfants avec des trophées. Mais elle est aussi seule et vulnérable dans son expérience de la maternité. En tant qu’adaptation fidèle, Anatomie d’un divorce déploie toute sa puissance sérielle à partir du moment où elle nous fait découvrir le point de vue de ce fantôme qui hante la première partie du récit.
Si, jusque-là, nous avions surtout affaire à un audiobook magistralement produit, le reste de la minisérie surpasse le texte de départ en associant la profondeur psychologique littéraire à l’ingéniosité visuelle d’une mise en scène cinématographique. On doit d’ailleurs l’épisode 7 pivot aux réalisateurs de Little Miss Sunshine.
L’élément signature qui ouvre chaque chapitre est un plan filmé à l’envers (inspiré de la couverture originale du livre), nous rappelant que les certitudes des personnages ne sont jamais aussi stables qu’ils se l’étaient imaginé. Ainsi, Toby cultive une éthique rigoureuse, mais pédante, et se retrouve souvent confronté à la condescendance de ses relations amicales. Rachel reste convaincue qu’un mariage admirable aurait dû être la solution à ses blessures.
Quant à Libby, elle n’a jamais dit adieu à sa jeunesse bohème dans Greenwich Village et continue de fumer des cigarettes dont l’odeur est aussi collante que la nostalgie qui l’accable. Ne vous embarquez donc pas dans cette fiction avec la naïveté de ses protagonistes, mais préparez-vous à vivre une expérience télévisée viscérale qui résonne bien au-delà de l’élitisme du milieu qu’elle dépeint.