Prix du public et de la mise en scène, La Edad de la ira a brillé lors du festival Marseille Series Stories. L’auteur du roman, Nando López, le réalisateur de la série, Jesús Rodrigo (Un, Dos, Tres), et l’actrice Amaia Aberasturi (Bienvenidos a Edén) se sont prêtés au jeu de l’interview pour nous parler d’adaptation littéraire, de l’adolescence et de sexualité.
La Edad de la ira nous embarque dans le quotidien de trois adolescents. Quels souvenirs retenez-vous de cette époque particulière ?
Jesús Rodrigo : J’en garde un très bon souvenir. J’associe l’adolescence à une période où l’on prend énormément de décisions qui vont influencer notre vie future. C’est un moment transitoire, où l’on devient plus mature.
Nando López : Je l’associe plutôt à la recherche identitaire. On cherche à savoir qui on est, à trouver sa place dans une société qui ne va pas forcément nous accueillir facilement. C’est un moment où l’on peut être confronté à des obstacles, des difficultés, parfois même à une certaine dureté. Cette série parle d’ailleurs de sujets et de violences très actuelles.
Amaia Aberasturi : Je suis sortie de cette période il y a peu de temps, et c’était quelque chose de beau et de complexe à la fois. On se sent souvent incompris, et ce sentiment crée de la frustration et des excès de colère – que je n’ai pas connus. J’ai eu la chance d’avoir une très bonne communication avec mes parents, ma sœur et mes proches en général. Je pense qu’il est nécessaire de beaucoup parler avec son entourage. Comme le dit Jésus, c’est un moment de transition ; on n’est ni un enfant ni un adulte, et c’est difficile à gérer.
J’ai l’impression qu’on n’a jamais autant développé de teen dramas qu’aujourd’hui. Netflix, par exemple, en diffuse au moins un par mois. Pourquoi ce genre attire-t-il autant, et pas uniquement un public adolescent ?
J. R. : Parce que cette idée de construction est prépondérante. L’adolescence traite de sujets universels : la découverte du sentiment amoureux, de la sexualité, de l’amitié, de la confrontation à un certain nombre de défis… Finalement, ces séries parlent de l’intime et d’émotions intenses et pures. Elles montrent aussi au public plus mature un monde auquel il n’a plus forcément accès. Il y a presque un regard voyeuriste. Les parents et les grands-parents voient ce qu’ils ne devraient pas voir. Ces productions peuvent néanmoins créer un pont intergénérationnel qui peut établir un dialogue entre eux.
Dans le premier épisode, le professeur de littérature s’insurge contre une remarque homophobe. Il dit que cette nouvelle génération se dit plus ouverte en brandissant des drapeaux LGBTQIA+, mais que ce n’est finalement qu’un mensonge. Qu’en pensez-vous ? Les mentalités ont-elles réellement évolué ?
A. A. : Cette scène est très réaliste et me parle beaucoup. Le discours développé par les jeunes est théorique, mais il nous donne une direction. Dans la pratique, on retrouve encore beaucoup de préjugés et de violence. Il faut continuer à parler de ces sujets dans toutes les productions culturelles, que ce soit dans la littérature, au cinéma, dans la musique (…) pour que cette idée d’acceptation devienne naturelle.
Notre génération doit mettre toute son énergie dans cette lutte. Attention : on a aussi du chemin à faire et des choses à apprendre ! Il y a très peu de temps, j’ai demandé à Nando ce que ça voulait dire, “être une personne non-binaire“. Il y a encore du travail, mais les choses avancent. Pour preuve : ma grand-mère m’a aussi demandé de m’expliquer ces notions.
J. R. : Il y a une amélioration au niveau éducatif, mais le travail doit continuer. Quand on voit les idéologies et les mouvements actuels, je me dis qu’il faut être vigilant et empêcher des retours en arrière sur de nombreuses évolutions sociétales. Il faut donner une visibilité à toutes ces luttes et ces minorités. Des groupuscules, et même de grands groupes, restent bloqués dans ces vieilles idées et refusent d’évoluer.
La série La Edad de la ira montre ces deux mondes : un qui est ouvert et enclin à découvrir cette diversité, et un autre qui véhicule des discours de haine transphobes et homophobes. Cette scène dans la classe révèle cette division entre les deux groupes, que ce soit chez les adolescents ou dans la société en général.
Cette série est une adaptation du roman éponyme de Nando López. Jésus, Amaia, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette histoire ? Pourquoi souhaitiez-vous l’incarner et la développer sur le petit écran ?
J. R. : Au-delà de la structure même du roman, qui est particulièrement intéressante, j’ai adoré le fait qu’on ait accès à l’intimité de chaque personnage. On voit les changements qui se produisent dans leur vie personnelle, leurs rapports avec Marcos, l’évolution de leur relation, comment ils la ressentent… On vit leurs incertitudes depuis l’intérieur. La série fonctionne de la même manière : chaque épisode est vu à travers le regard d’un adolescent en particulier.
A. A. : J’ai lu le roman pour le casting et je l’ai dévoré. Les personnages et le message qu’ils délivrent m’ont particulièrement touchée. Au moment où j’ai fermé le livre, j’ai appelé ma mère pour lui dire que je voulais absolument raconter cette histoire et faire cette série. On développe une réelle empathie pour ces adolescents et on ressent leurs émotions. Finalement, l’enquête et le potentiel crime de Marcos sont les fils conducteurs, mais ce qui se passe dans la tête de ces jeunes est l’élément central de l’histoire. On peut réellement les entendre et les écouter. Je n’avais jamais vu de série ni lu de livre qui donnait autant de place à l’intériorité des adolescents. Nando a parfaitement réussi à retranscrire ce qu’il y a dans leur tête, malgré le fait qu’il soit adulte.
Nando, à quel point étiez-vous intégré dans le processus de création de la série ? Y a-t-il eu des “trahisons” par rapport au roman ou l’adaptation est-elle fidèle à l’œuvre originale ?
N. L. : J’ai beaucoup échangé avec Lucía Carballal et Juan María Ruiz Córdoba, qui ont travaillé à la scénarisation de mon roman. Ils m’ont demandé mon avis et m’ont laissé participer au développement de la série. Ce trio de personnages, composé de Sandra, Raùl et Marcos, est inspiré d’étudiants que j’ai côtoyés lorsque j’étais professeur. J’ai donc pu enrichir ce travail avec mes expériences passées. Néanmoins, j’ai conscience que le métier de scénariste est complètement différent du mien. J’avais déjà modifié mon propre texte lorsque je l’ai adapté pour le théâtre, donc je savais qu’il y aurait de nouvelles trahisons pour ce passage au format sériel.
J’avais complètement confiance en eux et je savais que ces écarts seraient positifs. Ils ont permis de rendre l’histoire plus actuelle, car mon premier travail datait de 2011. En 11 ans, la société a énormément évolué ! Ils sont parvenus à garder les différents points de vue des personnages sans pour autant dénaturer mon texte de base. Il n’y a eu aucune perte : il y a toujours les mêmes émotions, la même poésie et la même dureté. Pour moi, l’adaptation a été exemplaire, car le message central a été conservé.
Le métier de coordinateur ou coordinatrice d’intimité commence à se multiplier dans les pays anglo-saxons et en France. Avez-vous fait appel à l’un d’eux pour les scènes de nudité et de sexe ?
J. R. : On voit effectivement de plus en plus de coordinateurs d’intimité sur les plateaux espagnols. Il n’y en avait pas sur ceux de La Edad de la ira, mais la communication était au centre de tout. On a beaucoup parlé pour instaurer un climat de confiance. Je voulais que tout le monde soit à l’aise avec ces scènes. Chaque prise a été visionnée et critiquée, et chacun donnait son avis. Il n’y avait pas “du sexe pour du sexe” ; je ne voulais pas que ces séquences soient gratuites. Elles ont toutes un sens, et apportent vraiment quelque chose à l’histoire.
A. A. : J’ai déjà travaillé avec des coordinatrices d’intimité dans d’autres séries, mais je n’en ai pas ressenti le besoin pour celle-ci. La relation que j’ai avec Jésus est particulièrement bonne. On communique énormément et c’est très fluide – ce qui n’est pas le cas avec tous les réalisateurs. Il n’y a pas de séquence réellement explicite dans cette production. Néanmoins, on a énormément échangé avec le réalisateur, les techniciens et les autres acteurs pour toutes les scènes intimes. Il y avait une vraie liberté sur le plateau. Si on ne sentait pas une certaine position, ou un certain geste, Jésus l’entendait et acceptait qu’on fasse autrement.
Élite, Bienvenidos a Eden, Casa de Papel, Les Demoiselles du téléphone… Ces dernières années, des séries espagnoles ont rencontré un succès international. Qu’est-ce qui fait la spécificité de vos productions ? Y a-t-il une “Spanish touch” ?
J. R. : Des séries comme Un, Dos, Tres avaient déjà rencontré un large succès au début des années 2000. Aujourd’hui, les productions espagnoles explosent au niveau mondial notamment grâce aux plateformes. Tous ces supports médiatiques nous permettent de diffuser nos productions à l’étranger.
A. A. : J’ai l’impression que les séries sont plus qualitatives qu’avant, que ce soit au niveau des thématiques abordées, des personnages, des images… Mais ce n’est pas spécifiquement espagnol. Les plateformes donnent plus de visibilité et plus de moyens. Ça nous permet de nous améliorer à tous les niveaux. Finalement, Élite, Casa de Papel et Bienvenidos a Eden racontent des histoires différentes, avec des univers uniques. Il n’y a pas de formule particulièrement espagnole.
J. R. : On retrouve une patte dans le cinéma nordique et méditerranéen, mais ce qui compte le plus, c’est la multiplication des possibilités…
N. L. : Oui, et cette multiplication des possibilités nous permet de traiter des thématiques très différentes. La Edad de la ira se rapproche du cinéma d’auteur. Elle a une structure complexe et aborde des sujets particulièrement difficiles qui demandent un vrai effort de concentration au spectateur. C’est peut-être le fait de voir autant de diversité sur les plateformes qui va éduquer le public à être plus exigeant, et nous autoriser à prendre des risques en tant qu’auteur et réalisateur.