Critique

Black Bird : un huis-clos carcéral qui touche au sommet du genre

07 juillet 2022
Par Marion Miclet
Black Bird : un huis-clos carcéral qui touche au sommet du genre
©Apple TV+

Cette minisérie signée par le maître du polar psychologique Dennis Lehane suit la relation trouble entre deux détenus dans une prison haute-sécurité. Bienvenue en enfer.

« Alors, amis ? », interroge Larry de sa voix geignarde caractéristique, depuis la cellule dans laquelle il est incarcéré pour meurtre présumé. De l’autre côté du couloir, la réponse de Jimmy, un playboy qui s’est fait pincer pour trafic d’armes, se fait attendre quelques secondes : « OK, amis ». Le pacte avec le diable est scellé. Larry (Paul Walter Hauser) n’est en effet pas un prisonnier comme les autres : le FBI le soupçonne d’être un tueur et violeur en série.

Il a déjà avoué avoir étranglé plusieurs femmes, mais, prétextant l’interrogation sous la contrainte, s’est ensuite rétracté. Or, faute de preuves, il pourrait bientôt être libéré. C’est là qu’intervient Jimmy (Taron Egerton), infiltré. S’il réussit à se rapprocher de Larry et à lui soutirer une confession compromettante, la police fédérale a promis d’alléger sa peine.

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Un criminel chargé de traquer un autre criminel : voilà le point de départ incroyable de la minisérie Black Bird, à retrouver à partir du 8 juillet sur la plateforme Apple TV+. Ce thriller pénitentiaire vertigineux est pourtant inspiré d’une histoire vraie, racontée dans l’autobiographie de James (Jimmy) Keene et judicieusement intitulée Avec le diable. Jimmy est un antihéros singulier. Quand nous faisons sa connaissance, il n’a pas d’autre préoccupation que lui-même.

Ancien joueur de football remarqué par la NFL, avec ses épaules d’armoire à glace et sa tchatche d’Italo-Américain, il se croit invincible. Jusqu’à la chute : d’abord l’arrestation qui le prive de liberté, puis l’AVC de son père (formidable Ray Liotta, dans l’un de ses derniers rôles avant sa mort en mai dernier) qui rend la perspective de dix ans à purger soudain insupportable. Il accepte alors la proposition d’une agent du FBI (Sepideh Moafi) qui a le dos au mur pour garder Larry à l’ombre : pénétrer la prison et la psyché d’un fou.

Oiseau de mauvais augure

C’est le début d’une course contre la montre aussi nonchalante que fascinante entre deux hommes qui ont tout à perdre si leurs secrets respectifs sont révélés. Larry va-t-il s’épancher ? Jimmy sera-t-il capable de garder son sang-froid face à l’horreur des crimes commis ? Qui bluffe qui ? Non seulement ces questions nous taraudent tout au long des six épisodes d’une heure, mais l’environnement hyperviolent de la prison (gardes corrompus, révolte de prisonniers) ajoute encore à la tension oppressante. Les quelques bouffées d’air frais proviennent de l’enquête menée en parallèle par l’agent qui a recruté Jimmy, accompagnée du policier (joué par un Greg Kinnear au sommet de sa forme) qui est tombé sur l’unique cadavre que Larry aurait laissé dans son sillage. Ce second duo, avec sa dynamique « good cop/bad cop », permet même d’introduire quelques touches d’humour.

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Comme dans les œuvres précédentes de Dennis Lehane (Mystic River, Gone Baby Gone, Shutter Island), le sens du mystère repose sur une écriture ciselée, des dialogues réalistes et une immersion dans une ambiance glauque stylisée (oui, c’est possible !). Ainsi, Black Bird relève autant du genre de la traque de serial killer, comme le classique Le Silence des agneaux, que du portrait de la classe ouvrière oubliée de l’Amérique, à la façon de Mare of Eastown et Dopesick (l’action se déroule ici dans le Midwest, au milieu des années 1990).

La mise en scène de Michaël R. Roskam (réalisateur du film Bullhead, aux commandes des trois premiers épisodes) est sobre, mais nerveuse, et ça fait du bien de visionner une série de prestige qui s’autorise la lenteur, sans jamais tomber dans l’ennui ni la redondance. Même les décors sont au service de la guerre des nerfs entre Jimmy et Larry. Les couloirs et le réfectoire de la prison sont peints en vert et rose pâles immaculés qui contrastent ingénieusement avec la noirceur intérieure des personnages.

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Ils prennent vie grâce à la performance phénoménale des deux acteurs principaux. Dans le rôle de Jimmy, l’acteur gallois Taron Egerton confirme le talent et la versatilité dont il avait fait preuve en interprétant Elton John dans le biopic musical Rocketman. Le charisme insolent qui a convaincu le FBI de lui confier cette mission-suicide est d’ailleurs la seule arme qu’il possède dans un univers carcéral où les apparences comptent autant que les connexions. Mais, tandis que Larry prend de plus en plus plaisir à parler de femmes, de sexe et de consentement (ou absence de) avec son nouveau confident, le sourire ravageur de Jimmy se fige.

Il réalise enfin l’ampleur du danger que constitue son voisin de cellule : derrière l’apparence inoffensive du benêt à rouflaquettes passionné de reconstitutions historiques de la Guerre de Sécession se cache un homme violent. En incarnant Larry avec une volatilité terrifiante, l’acteur américain Paul Walter Hauser (vu dans Richard Jewell de Clint Eastwood) réussit l’exploit ultime pour tout méchant de cinéma et de séries : il va s’immiscer dans vos cauchemars. Et pourtant, il est impossible de détourner le regard.

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