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Test de Call of Cthulhu : Entrez dans la folie

07 novembre 2018
Par Valérie Précigout (Romendil)
Test de Call of Cthulhu : Entrez dans la folie

En résumé

Malgré toutes ses bonnes intentions, Call of Cthulhu est un jeu qui a du mal à se départir d’une certaine passivité, mais vers lequel on revient pourtant volontiers, happé par son ambiance opaque et l’envie de connaître les dessous de ce mystère lovecraftien. Moins excessif qu’un Eternal Darkness dans son interprétation de la folie, le titre a surtout le mérite de s’adresser à un large public de par son approche résolument intuitive.

Note technique

Les plus et les moins

Les plus
  • Une interprétation soignée de l'œuvre de H.P. Lovecraft
  • Une formule intuitive susceptible de plaire à un public large
  • Les alternances de points de vue et d'approches visant à nous dérouter
  • La qualité de l'ambiance sonore et du doublage anglais
  • Une tension qui s'accroît sensiblement à mesure qu'on approche de la fin
Les moins
  • L'impression de passivité et le manque de prise de risque général
  • Le traitement timide de la folie sur le personnage
  • Trop dirigiste dans le déroulement de l'enquête
  • Des phases de traque qui virent inutilement au « die & retry »
  • Un scénario relativement prévisible qui peine à susciter la peur

Notre test détaillé

Calée sur Halloween, la sortie du Call of Cthulhu signé par les Français de Cyanide était attendue de longue date par les joueurs friands de lectures lovecraftiennes. Afin de soigner au mieux l’ambiance caractéristique de cet univers tourmenté, les concepteurs ont opté pour une formule à la croisée des genres.

Sous ses dehors de jeu d’aventure immersif en vue subjective, Call of Cthulhu s’imprègne également de la volonté d’embarquer des notions de « roleplay » à travers l’évolution du personnage qu’il nous invite à incarner. Une approche visant à affiner le profil d’un détective privé partagé entre son pragmatisme naturel et sa perception de l’immatériel, bien forcé d’admettre que la frontière entre l’occulte et le réel s’avère plus ténue qu’il n’y paraît. S’essayant même parfois à un ersatz de First Person Shooter, le titre s’évertue surtout à rester fidèle à la fois à l’univers des œuvres de Lovecraft et à celui du jeu de rôle papier de Chaosium. Décrit par ses créateurs comme un RPG d’investigation, Call of Cthulhu joue effectivement la carte de l’enquête paranormale teintée de frayeurs dérangeantes dans le but avoué de nous faire basculer peu à peu dans sa folie.

Call of Cthulhu

Bienvenue à Darkwater

Élu meilleur jeu PC aux Ping Awards 2018, événement organisé pour mettre en évidence les meilleures productions françaises, le titre de Cyanide peut également être découvert sur consoles pour une plongée d’une petite dizaine d’heures dans l’antre de la folie. À travers les yeux du détective Edward Pierce, un homme en proie à ses propres démons, le joueur doit tenter de démêler les fils du destin sur fond d’affaire morbide se déroulant dans un manoir reculé au large des côtes. Bien qu’indéniablement dirigiste dans sa conception, Call of Cthulhu se fait fort d’incorporer des prises de décision qui influent sur le déroulement du scénario, ou plutôt sur la manière dont le détective parviendra à mener à bien ses objectifs. Toutefois, bien que plusieurs solutions nous soient généralement offertes pour avancer dans l’enquête en mettant à contribution les talents du personnage, seul le dénouement débouchera véritablement sur des voies narratives radicalement distinctes.

Call of Cthulhu

Vaincre ses phobies

Cela n’empêche heureusement pas l’histoire de prendre en compte l’évolution de la santé mentale d’Edward Pierce à chaque fois que le joueur prend le risque d’accepter l’existence des horreurs cosmiques en s’imprégnant de lectures dignes du Necronomicon ou lorsqu’il cède à sa dépendance à l’alcool. C’est précisément là que l’on attendait cette adaptation au tournant, rares étant les titres qui soient parvenus à explorer les différentes facettes de la folie avec génie, exception faite de l’incontournable Eternal Darkness. Dans Call of Cthulhu, s’il est vrai que la santé mentale du héros se détériore à mesure qu’il pénètre les dessous du dossier Hawkins, ses répercussions demeurent trop peu visibles au sein du jeu pour que l’on ressente une réelle appréhension face aux effets indésirables que ses découvertes engendrent. À plusieurs reprises pourtant, la réalité se mêle intimement à la névrose, le détective pouvant être victime d’attaques de panique ou sujet à diverses formes d’hallucinations dès lors qu’il est confronté à des phénomènes surnaturels qui mettent sa vie en danger. Mais parce que le joueur ne se sent jamais réellement menacé, la folie a du mal à se transmettre de l’autre côté de l’écran, comme si le titre n’osait pas aller jusqu’au bout de son intention première.

Call of Cthulhu

Vous n’êtes pas seul

Le choix d’une formule délaissant l’action pour privilégier l’exploration sans réelle menace sur le joueur crée ainsi un sentiment de passivité qui nuit à la frayeur que l’on s’attendrait à ressentir en parcourant les méandres sinistres de cet univers. Seules les séquences de traques durant lesquelles Edward doit échapper à des monstruosités cosmiques suscitent finalement l’angoisse, en raison du risque d’échec omniprésent. Dans l’optique d’accentuer la difficulté de ces traques, le joueur ne dispose généralement que d’un temps limité pour localiser sa destination, sa survie étant conditionnée par l’huile de sa lampe. S’il ne parvient pas à se faufiler à l’insu de celui qui le pourchasse, le joueur finit entre ses griffes.

Call of Cthulhu

Dans la veine d’un Haunting Ground ou d’un Alien Isolation, le titre nous invite alors à nous cacher dans des espaces confinés pour rester invisible tout en sentant le souffle de notre poursuivant à quelques centimètres de nous, ce qui accentue le sentiment de claustrophobie du héros qui voit alors son champ de vision se rétrécir et son souffle s’accélérer. Dommage que le caractère excessivement scripté de ces scènes durant lesquelles il n’existe généralement qu’une façon de s’en sortir transforme rapidement le tout en « die & retry » punitif, l’angoisse disparaissant finalement au profit de l’exaspération. En laissant davantage de marge de manœuvre au joueur, ces scènes auraient pu contribuer à renforcer le caractère oppressant du jeu sans nuire à l’efficacité des traques.

Call of Cthulhu

L’éveil du Grand Ancien

Même si ses propositions sont multiples, Call of Cthulhu peine donc à concrétiser ses ambitions sous une forme pleinement convaincante et immersive. Trop dirigiste dans ses phases d’investigation, pas suffisamment permissif dans ses séquences de courses-poursuites, le titre se révèle surtout timide dans sa capacité à rendre son atmosphère oppressante. Un manque de folie qui se répercute d’ailleurs sur l’ensemble du scénario, avec un dénouement à embranchements prévisible et un développement du personnage qui ne suffit pas à personnaliser notre expérience autant qu’on le souhaiterait. Cela dit, il faut bien admettre que les changements de points de vue inattendus et l’envie de connaître le fin mot de l’histoire relancent régulièrement l’intérêt du soft, qui se dévore facilement d’une traite.

Conclusion

Malgré toutes ses bonnes intentions, Call of Cthulhu est un jeu qui a du mal à se départir d’une certaine passivité, mais vers lequel on revient pourtant volontiers, happé par son ambiance opaque et l’envie de connaître les dessous de ce mystère lovecraftien. Moins excessif qu’un Eternal Darkness dans son interprétation de la folie, le titre a surtout le mérite de s’adresser à un large public de par son approche résolument intuitive.

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