
Révélation fulgurante de la scène francophone, Camille Yembe épate avec sa pop organique et engagée. À seulement 22 ans, la jeune artiste revendique son identité plurielle et son féminisme. Rencontre avec celle qui hypnotisera le festival Fnac Live Paris le 3 juillet 2025.
Son single Plastique, intense et entêtant, a pris tout le monde par surprise en début d’année. Camille Yembe est la nouvelle révélation de cette scène belge si séduisante. Après avoir écrit pour d’autres, la jeune autrice, compositrice et interprète s’est finalement lancée en solo avec un premier EP sorti ce 6 juin, Plastique, aux influences hybrides, porté par une plume inspirée et sa voix magnétique.
Quelques semaines après avoir fait vibrer le public du festival We Love Green, la jeune artiste électrisera la scène du Fnac Live Paris ce 3 juillet 2025. Nous avons papoté avec Camille Yembe pour faire plus ample connaissance avec celle qui a épaté le grand Stromae – rien que ça.
Comment décide-t-on de devenir chanteuse ?
J’ai toujours été attirée par la musique sans pour autant vraiment être dans un milieu. Je voulais faire des cours de piano, je n’ai pas pu être inscrite, je voulais faire des cours de danse, c’était pas possible. Ce n’était pas vraiment accessible au sein de ma famille. Mais comme j’étais passionnée, je m’entraînais dans ma chambre en rêvassant.
J’ai dû quitter le foyer familial assez tôt, vers 16 ans, parce que le mari de ma maman ne voulait plus de moi et ma sœur. Et je pense que la musique a été un sacré refuge à ce moment-là. C’est resté mon truc à moi, qui m’appartenait, me permettait de me sentir bien. Et je rêvais d’être une star. C’était comme la lumière au bout du tunnel. Je me disais : « voilà, c’est là-bas que je vais ».
Quel a été le déclic pour te lancer ?
J’ai habité un an chez ma grand-mère, qui ensuite est tombée malade. Et à mes 17 ans, j’ai passé un an à dormir de toit en toit chez des amis jusqu’à mes 18 ans où j’ai eu mon premier logement. Sauf que je devais travailler pour payer mon loyer, cela ne me laissait pas de temps pour me consacrer à 100% à ma passion. En mars 2024, je me suis mise à créer pour d’autres personnes. Et j’ai tout quitté pour me lancer véritablement dans la musique.
Ton adolescence n’a pas été très douce. As-tu eu des rôles-modèles auxquels te raccrocher, des figures inspirantes ?
Une personne qui m’a fait rêver, c’est Stromae, parce qu’il est belge lui aussi. Il est à un niveau stratosphérique et forcément, on a envie d’égaler ce genre de parcours. Au-delà de sa musique, je pense que c’est la manière dont il a géré sa carrière qui est très inspirant pour moi.
Et puis j’ai un mentor depuis de nombreuses années : mon manager, Gandhi. C’est la première personne de l’industrie de la musique que j’ai rencontrée. Gandhi est un rappeur belge et c’est lui qui va me pousser à écrire mes propres chansons au lieu d’écrire pour les autres.
Et qu’est-ce que ça change de poser ta voix sur tes propres mots ?
Tout ! Quand tu chantes tes propres chansons, quand tu écris des trucs qui te parlent, qui sortent de tes tripes, c’est un incroyable exutoire. Et tu commences à comprendre que tu parles peut-être à des personnes qui te ressemblent, des chansons dans lesquelles d’autres peuvent se reconnaître, se réfugier.
Le clip « Plastique » de Camille Yembe
Comment tu définirais-tu ta musique à quelqu’un qui ne la connaît pas ?
J’aime bien dire que je fais de la « nouvelle pop ». Je fais partie d’une génération qui s’est construite à travers beaucoup d’influences. J’ai regardé énormément de clips sur MTV, j’ai écouté beaucoup de pop, les sons dans les MP3 de mes amis. J’ai « digué », regardé beaucoup de vidéos de télécrochets… Mais j’ai l’impression que l’ancrage de ma musique, cela reste mon texte, ma voix, mon identité. Le package, quoi !
La Belgique est souvent considérée comme un laboratoire sonore. Qu’est-ce qui vous rend aussi uniques ?
Je pense que c’est lié au fait que la Belgique est un petit pays, qui est frontalier avec d’autres pays où l’on parle d’autres langues comme l’anglais, le français, le néerlandais. Il n’y a pas de barrières. Quand tu es à Bruxelles, tu parles lingala (langue parlée au Congo- ndlr) dans une rue, arabe dans une autre, néerlandais un peu plus loin… C’est un incroyable brassage culturel, une potion magique. Il y a un dosage qui crée ce goût si particulier.
Ton prénom et ton nom, Camille Yembe, symbolisent deux univers qui cohabitent- ta mère est belge, ton père congolais. Est-ce que cette dualité se retrouve dans ta musique ?
C’est vrai qu’on perçoit une sorte de métissage. Cette double culture est bien présente dans mon travail. Je suis née en Belgique, j’ai cette culture européenne, occidentale, qui m’a construite. Mais j’ai aussi un héritage congolais et des influences parfois incomprises. Par exemple, j’écoute Radiohead, ce qui peut étonner dans mon entourage – mon père, lui, ne sait même pas qui c’est !
Il y a parfois un décalage entre ce que je crée et ce qu’on attend de moi. Je fais de la pop, mais parce que je suis une femme noire, on y projette autre chose. On parle d’un son « trop urbain »… alors que je fais juste la musique qui me ressemble.
Tu sembles incarner pleinement cette hybridité. Est-ce une forme de revendication artistique ?
Complètement. Pour moi, c’est essentiel de montrer cette complexité, cette pluralité. Ce n’est pas seulement mon histoire : elle concerne plein de gens en Belgique, en France… Des personnes issues de l’immigration ou de milieux populaires, qui aiment la pop, le rock, le rap. Il faut pouvoir exister dans tous ces genres musicaux, même si ça bouscule les codes établis. Une artiste comme Theodora, par exemple, montre qu’on peut incarner quelque chose de neuf, de pluriel. C’est important de le valoriser.
Tu as déjà dit que tu devais te battre pour être « 100 % toi-même ». Contre quoi faut-il lutter pour rester soi dans l’industrie musicale ?
Il y a plusieurs obstacles. Le sexisme, bien sûr. Mais aussi une forme de racisme latent, des stéréotypes tenaces. Parfois, on m’enferme dans des cases juste à cause de mon apparence, sans écouter ce que je fais vraiment. Dans ce contexte, je ressens une vraie responsabilité : celle d’incarner quelque chose de vrai, même si ça dérange.
Je me dis souvent : il faut s’assumer pleinement, avec toutes ses influences, même si ce n’est pas encore « toléré ». Oui, le mot est moche : toléré. Ce que je veux, c’est être pleinement acceptée, exister avec ma singularité. Par exemple, j’ai fait des capsules vidéos dans le métro pour promouvoir ma musique. C’est un environnement que je connais bien, qui fait partie de moi. Et ça permet aussi à d’autres personnes de se sentir représentées, invitées dans un univers musical où elles ne se voient pas forcément.
Tu parles souvent de sororité, de « girls gang ». Tu te sens féministe ?
Oui, bien sûr. Avant, je ne me posais même pas la question. Mais aujourd’hui, je le dis clairement : je suis féministe. Pour moi, c’est tout simplement être pour l’égalité : égalité des sexes, des orientations sexuelles, des identités. Je suis féministe parce que je veux exister pleinement, autant que n’importe qui d’autre. Et à travers ma musique, je veux porter cette parole-là, montrer qu’on peut être femme, forte, sensible, déterminée.
Il y a effectivement une forme de résistance dans tes morceaux. Contre quoi, et surtout, pour qui chantes-tu ?
Quand j’écris, j’écris d’abord pour moi. C’est viscéral, presque égoïste au départ. Mais en racontant mon histoire, je raconte aussi celle des autres. Je suis persuadée que plus tu es précise dans ce que tu racontes, plus tu touches des gens. Parce qu’on se retrouve tous dans la vulnérabilité, dans les doutes, dans les envies de réussite.
Quand j’ai réécouté mon EP récemment, je me suis dit : « Waouh, c’est quand même assez intense, assez virulent. » Il y a beaucoup d’énergie, une rage de réussir. Mais ça reflète exactement l’état d’esprit dans lequel j’étais en l’écrivant.
Clip « Coups de soleil » de Camille Yembe
C’est de ton histoire personnelle dont tu parles sur cet EP ?
Ce premier projet, je le vois comme une mise en bouche. Il y a plusieurs thématiques : la difficulté d’être soi-même, la quête de reconnaissance… Dans le morceau Plastique, je parle du temps que ça m’a pris pour m’assumer. Dans L’ivresse, j’évoque l’échappatoire, les soirées, les dénis. Dans Humain, je montre mes failles et mes contradictions. C’est une sorte de résumé de mes pensées, de mes combats intérieurs.
Et ton prochain album, c’est pour bientôt ?
Je n’ai pas encore de date, mais je suis déjà en train de le préparer. Ce sera plus intime, plus ancré dans mon vécu personnel. J’ai envie de me raconter encore plus profondément.
Stromae t’a « adoubée ». Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Une dinguerie, vraiment ! J’ai écouté tous ses morceaux, regardé ses clips, ses interviews, ses concerts. Le fait qu’il m’ait citée… ça m’a reboostée. Parfois, une validation comme ça, ça te met une pièce dans la machine. Tu te dis : « Ok, je suis pas en train de rêver, je suis sur la bonne voie. »
Tu ne l’as toujours pas rencontré ?
Pas encore ! Mais j’espère, évidemment. Et pourquoi pas un duo ?
On te retrouve sur la scène du Fnac Live Paris le 3 juillet. À quoi peut-on s’attendre sur scène ?
À un vrai moment de partage. Même si tu ne connais pas mes morceaux, tu vas pouvoir chanter, danser, ressentir qui je suis. Pour moi, la scène, c’est là où tout se boucle : l’énergie, l’authenticité, l’identité. Et bien sûr, il y aura quelques surprises, des chansons inédites…