
De sa chambre à Saint-Denis à la scène des Flammes, Theodora s’impose comme la révélation de l’année 2025. Entre richesse musicale, hyperféminité assumée et engagement affirmé, l’artiste franco-congolaise de 22 ans détonne par son éclectisme, teinté d’un humour acéré. Portrait d’une « boss lady » en pleine ascension.
Mélodies entraînantes, clips flamboyants et univers délirant : si la musique de Theodora se prête parfaitement à la fête, elle n’en reste pas moins une œuvre introspective, fruit de l’histoire personnelle de l’artiste, faite de déplacements et d’influences diverses, mais aussi d’un besoin viscéral de raconter le monde qui l’entoure.
Une enfance bercée par l’éclectisme musical
Née à Lucerne, en Suisse, Theodora grandit au sein d’une famille de réfugiés politiques congolais. Durant son enfance, elle traverse de nombreux pays : de la Suisse à la Grèce, en passant par le Congo, avant que sa famile ne s’installe définitivement en France, plus précisément à Saint-Denis (93).
Fortement attaché à la notion de diversité, son père l’initie méticuleusement aux différentes cultures qu’offrent les pays dans lesquels ils résident, comme elle le précise lors d’un entretien avec Les Inrockuptibles : « Mon père mettait un point d’honneur à écouter les trucs du pays où il arrivait. » Ainsi, cet attrait pour la richesse culturelle a progressivement nourri la fibre artistique de la jeune fille, notamment dans le domaine musical.
En effet, Theodora écoute une multitude de genres comme le zouk, le rock, le shatta et la trap US, ou bien des sons aux influences caribéennes tel le bouyon antillais. Grande admiratrice de Rihanna, elle empruntera à l’artiste barbadienne son univers musical hétéroclite, mais également son attitude confiante et son ambition.
Son frère Jeez Suave – aujourd’hui son producteur – lui fait découvrir le rap français avec Booba et Kaaris. Ensemble, ils composent leurs premiers morceaux durant le confinement dans leur chambre, pour tuer l’ennui. Mais très vite, les deux jeunes artistes voient plus grand, animés par cette passion saisissante pour la musique.
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De TikTok à la cérémonie des Flammes : une ascension fulgurante
À seulement 20 ans, Theodora sait déjà ce qu’elle veut. Au studio associatif Block à Rennes, elle enregistre en 2023 son tout premier EP, Lili aux Paradis Artificiels. Dans ce projet conceptuel – scindé en trois « tomes »- la jeune artiste veut avant tout se dévoiler auprès de son public, comme elle le confie au média Konbini : « Je voulais vraiment faire un projet qui montre aux gens ce qu’est la musique pour moi, c’est un peu mon paradis artificiel. Cette trilogie, c’est comme une carte de visite pour les gens qui ne me connaissent pas comprennent que les bases de Theodora, c’est ça, c’est Lili. Plein de musiques, de sonorités, d’influences, d’images, plein de messages différents aussi, même contradictoires parfois.«
Parmi les titres qui la propulsent, Le Paradis se trouve dans le 93, ode douce-amère à sa banlieue. Avec un brin d’humour et de légèreté, l’artiste met en lumière la précarité et dénonce l’inaction des institutions, offrant un engagement déjà perceptible chez la jeune femme.
Si Lili aux Paradis Artificiels fait parler de lui sur les réseaux sociaux, c’est un autre titre qui fera décoller à vitesse grand V la carrière de Theodora. En septembre 2024 sort Kongolese sous BBL, un morceau qui connaîtra une viralité sans précédent sur la plateforme TikTok, et c’est peu de le dire : il compte aujourd’hui plusieurs dizaines de millions d’écoutes, devenant une « trend ». Mais alors, comment expliquer cette explosion phénoménale ?
Avec sa pop aux influences créoles, Theodora propose un subtil mélange qui offre un titre accrocheur et entêtant. La jeune femme défend avec conviction son identité et son hyperféminité, dénonçant – toujours avec cette pointe d’humour qui la caractérise, et grâce à la figure du « BBL » (Brazilian Butt Lift) – le poids des diktats sociétaux auxquels sont confrontées les femmes, tout en se réappropriant et en détournant les clichés.
La pochette du single, inspirée d’un célèbre mème, en est le reflet : une femme qui, en faisant tomber son livre, se transforme en bimbo. Une manière habile de se moquer des injonctions sexistes. Car oui, Kongolese sous BBL n’est pas seulement un titre de boîte de nuit. Il est devenu une sorte d’hymne féministe sur lequel nombre de jeunes filles n’ont pas hésité à se filmer en playback, assumant à 100% qui elles sont, sans crainte du jugement.
Theodora reprend habilement les stéréotypes auxquels elle a elle-même pu être confrontée pour en faire sa force, revendiquant fièrement son âme de « boss lady ». Entre sa personnalité détonante, ses paroles audacieuses et son style musical singulier, une chose est certaine : la jeune artiste a déjà tout d’une grande.
Une réédition de son album Kongolese sous BBL, Mega BBL, sortira le 30 mai, avec 12 titres inédits.
Pour couronner le tout, Theodora remporte en mai 2025 la Flamme de la Révélation de l’année, un prix qui ne fait que confirmer son potentiel indéniable dans le paysage musical. Durant la cérémonie, elle livrera une prestation remarquée sur son titre Fashion Designa, avec une arrivée scénarisée en hélicoptère – rien que ça.
Néanmoins, c’est son discours lors de sa récompense qui marquera les esprits : « Ce projet, c’est vraiment pour les enfants de la diaspora. Ce projet, c’est pour notre musique à nous, pour la musique noire, donc je suis trop contente d’être là ce soir. Merci à vous, Merci à nous, merci à moi. Je l’ai fait pour toutes les filles noires un peu bizarres, vous inquiétez pas, elle est pour nous celle-là !«
« Je l’ai fait pour toutes les filles noires un peu bizarres, vous inquiétez pas, elle est pour nous celle-là ! »
Par cette déclaration, l’artiste de 22 ans témoigne de son engagement, incarnant une génération fière, consciente et résolument prête à bousculer les normes.
Une voix puissante et politique
Si Theodora réussit avec brio à ambiancer les soirées avec des morceaux rythmés et entraînants, elle ne cache pas ses prises de position, notamment dans le domaine politique.
Avant de se lancer dans la musique, la jeune femme se trouvait en classe préparatoire à l’ENS et dirigeait la commission culture au Conseil régional des jeunes de Bretagne. Une appétence pour la politique nourrie par son histoire familiale : « Mon grand-père était opposant politique. Il a même atterri en prison pour ses convictions. Moi… j’avais un peu envie de changer le monde », déclarait-elle à 20 Minutes.
Engagée, le jeune femme n’a jamais caché son opinion sur des sujets qui lui tiennent à cœur : sur le décès du jeune Nahel en 2023, tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, ou l’actuel génocide en Palestine, Theodora prend la parole, s’exprime, s’indigne.
Par ses prises de position pleinement assumées, elle a su fédérer une communauté éclectique dont elle est fière – reflet de la diversité qu’elle transmet à travers son œuvre –, comme elle le confie avec humour au média queer Têtu : « Je suis très contente qu’il n’y ait pas de fachos dans mes concerts. Je ne pense pas que Marine Le Pen danse sur Kongolese sous BBL.«
Grâce à son œuvre, Theodora rassemble autour de causes qu’elle défend avec conviction, comme son hyperféminité ultra-assumée, sa bisexualité ou sa couleur de peau. Une ouverture d’esprit à laquelle la nouvelle génération est particulièrement sensible.
Theodora, prête à conquérir le monde ?
Ambitieuse et déterminée, l’artiste est désormais prête pour l’étape suivante. Elle veut conquérir les tapis rouges comme les grandes scènes – elle est à l’affiche de nombreux festivals cet été – en restant avant tout fidèle à elle-même, à ses racines et ses valeurs, comme elle a toujours su le faire.
Si en France, le nom de Theodora est sur toutes les lèvres, la chanteuse fait également parler d’elle à l’international. Arrivée en décapotable rose, tailleur croco et carré blond à taches de léopard, la « Boss Lady » a fait sensation au défilé Jacquemus en janvier 2025, aperçue en front row aux côtés de Tyla et Central Cee.
La revue musicale américaine The Fader a également proposé un portrait complet de l’artiste, soulignant son potentiel à l’international : “Depuis, j’ai écouté plusieurs douzaines de fois son très amusant ‘Kongolese Sous BBL’ – un banger de club bombastique influencé par le bouyon et doté d’un beat déjanté que l’un de mes collègues a comparé à ‘un robot de Bob l’éponge’, mais qui donne suprêmement envie de se trémousser dans une soirée peu éclairée mais bondée. Cela nous fait penser que, bien que Theodora soit encore peu connue en dehors de son pays d’origine, elle possède un potentiel crossover important – ou au moins mérité d’être sur votre radar”, prévient ainsi la journaliste à propos de celle qu’elle décrit comme la « jeune popstar française la plus cool du moment ».
Theodora n’a sans doute pas fini de faire parler d’elle, visiblement promise à une carrière brillante dans le monde de la musique.