En live sur l’instagram officiel de la Fnac pour la sortie de son nouveau roman L’Énigme de la Chambre 622, Joël Dicker revient avec nous sur ses habitudes d’écriture, ses romans préférés, ses inspirations et ses conseils. On prend des notes !
Bien avant sa parution, L’Énigme de la Chambre 622 a fait couler beaucoup d’encre et porter beaucoup de voix. Lors de notre live, Joël Dicker utilise ses premiers mots pour dédicacer son roman à son éditeur, Bernard de Fallois. Un bel hommage :
« Il a été l’artisan du succès. La Vérité sur l’affaire Harry Québert, c’était lui, alors que moi je n’y croyais pas du tout. À ce jour de parution, j’ai une pensée émue pour lui et j’espère qu’il me regarde d’un petit coin du ciel. »
Connaisseurs de Dicker, lecteurs assidus ou curieux, cette interview est faite pour vous.
Est-ce qu’une nouvelle adaptation en série ou au cinéma est prévue après celle de La vérité sur l’affaire Harry Quebert ?
Joël Dicker : « Pour l’instant, il y a des projets d’adaptation pour les autres romans mais c’est comme souvent dans le cinéma, beaucoup de “blabla” et peu d’actions. Le cinéma, c’est une équipe de 300 personnes, il faut des moyens importants et arriver à avoir un réalisateur et les acteurs en même temps. Certains sont déjà pris pendant des mois voire des années, ça veut donc dire que ce sont des projets sur le très long terme. On verra ce qu’il se passe et si à un moment donné quelque chose se débloque. Pour l’instant, il y a des projets et on verra où ils nous mènent. »
Le syndrome de la page blanche que connaît Marcus Goldman au début dans La vérité sur l’affaire Harry Quebert est-il un clin d’œil aux problèmes que vous avez rencontrés en tant qu’écrivain ?
« Non, je n’ai pas spécialement peur de la page blanche. En tout cas, ce n’est pas quelque chose que je connais. Telle que je la vois, la page blanche est une sécheresse de l’esprit où vous n’arrivez plus du tout à écrire, où il n’y a pas d’idée et rien qui sort.
Moi j’ai plutôt le problème inverse, j’ai des idées, parfois trop, et je n’arrive plus à les canaliser et les traiter : ma difficulté c’est justement d’arriver à limiter ces idées ou en tout cas, les traiter une par une. »
Genève, comme un hommage à votre ville ?
« L’Énigme de la Chambre 622 se passe à Genève et c’est une première pour moi. Pour ce roman-là j’ai déserté les États-Unis.
D’ailleurs, on me demande si mettre l’intrigue à Genève a changé mon écriture ou ma façon d’aborder mon écriture : oui évidement, c’est particulier, c’est un hommage. Genève est la ville où je suis né, où j’habite et j’avais très envie de partager ça avec les lecteurs, d’en parler et surtout, de parler des sentiments que je peux avoir pour cet endroit.
Genève est la ville où je suis né, où j’habite et j’avais très envie de partager ça avec les lecteurs, d’en parler et surtout, de parler des sentiments que je peux avoir pour cet endroit.
Est-ce que ça a changé mon écriture ? Forcément l’écriture évolue de livre en livre, et heureusement. Le fait de placer mon livre à Genève y a contribué en lui donnant une difficulté supplémentaire : raconter Genève non pas avec des faits “Genève ça se passe comme ça, il y a un lac…” mais de raconter la Genève de mes sentiments “Qu’est-ce que je ressens quand je vois ce lac ? Qu’est-ce que je ressens quand je vois ces rues, quand je m’y promène ?” »
Avant d’écrire un livre faites-vous des recherches ?
« Non, surtout pas ! Je revendique la fiction, le fait de pouvoir sortir quelque chose qui soit de mon imaginaire et qui ne se raccroche pas à la réalité. Je dirais même que, pour moi, la réalité est l’ennemi de l’imaginaire. Aujourd’hui avec Google, vous pouvez avoir accès à toutes les informations possibles. Si vous voulez inventer un personnage avec un nom étrange, vous le tapez dans la barre de recherche et Google va vous trouver quelqu’un qui s’appelle comme ça quelque part dans le monde ; si vous voulez, pour votre livre, que le 1er juin 1920 soit le jour le plus chaud de l’été ou de cette année-là, vous pouvez le vérifier. Mais en tant que romancier, vous avez la possibilité de remanier cette vérité.
Je me refuse à vérifier, à enquêter, à réfléchir, à gratter et je préfère suivre mon inspiration.
Alors, qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous allez maintenir dans votre livre quelque chose qui est factuellement faux ou au contraire, suivre la vérité ? Je ne me pose pas cette question-là, je me refuse à vérifier, à enquêter, à réfléchir, à gratter et je préfère suivre mon inspiration. »
Est-ce que nous retrouverons le personnage de Marcus Goldman dans un prochain roman ?
« Alors ça, je ne peux pas le dire car j’écris sans plan. J’ai vraiment ce plaisir de la découverte d’un livre que je ne connais pas. Je dessine brièvement l’intrigue et par exemple, avec L’Énigme de la Chambre 622, j’avais très envie de commencer avec une ambiance de montagne, un jour d’hiver, le matin très tôt alors qu’il fait encore nuit dehors : on est dans un palace confortable, il fait froid dehors mais chaud à l’intérieur, on est bien. Et puis, un employé apporte le petit-déjeuner dans la chambre 622, voit la porte entr’ouverte, pense que c’est l’occupant de la chambre qui l’a laissée comme ça pour qu’il puisse poser le plateau à l’intérieur de la suite. Mais lorsqu’il pousse la porte, il découvre un cadavre. TATAM ! Voilà, ça c’est le début de mon livre. Le petit côté Agatha Christie me plaisait.
Le meurtre est un moyen de lier tous les personnages et tous les événements ensemble.
Après le bref dessin de l’intrigue, je déroule pour découvrir peu à peu ce qu’il s’est passé. Je pense que le meurtre est un moyen de lier tous les personnages et tous les événements ensemble. C’est comme un fil rouge ou une corde. »
Pourquoi écrivez-vous surtout des romans policiers ? Qu’est-ce qui vous paraît fascinant dans ce genre ?
« Certes il y a une intrigue, un meurtre, des policiers, et à la fin du livre on a la réponse, on sait ce qu’il s’est passé. Mais est-ce que mes romans sont des romans policiers ? C’est vrai qu’il y a un côté polar que je revendique mais j’ai un problème avec le terme. Les lecteurs de polars attendent un livre qui répond à des codes précis et qu’ils ne retrouveront pas dans mes romans. Quand je dis que mon roman est un policier, les vrais fans de polar me disent que ce n’est pas vraiment ça, et quand je dis que ce n’est pas un polar, je suis attaqué par des gens qui me disent le contraire. C’est difficile de répondre à cela. Je crois que les livres ne peuvent pas toujours être mis dans des cases et qu’il faut que chacun en tire ce qu’il en a envie sans pour autant que ça réponde à un genre précis. »
Avez-vous l’intention d’écrire d’autres genres littéraires ? (théâtre, poésie, essai sur la littérature, biographie)
« C’est une bonne question. Je n’aime pas faire de promesse et je ne peux pas vous dire “oui ou non”. Il y a d’autres genres qui m’intéressent. Je lis beaucoup de biographies par exemple, mais je ne sais pas si je m’y attèlerai. La série télé, le scénario est également un genre qui m’intéresse dans son efficacité. Pouvoir peut-être, un jour, faire une série et être justement dans quelque chose de beaucoup plus efficace, plus directe, ça me plairait.
Mais j’aime avant tout le roman car vous lecteur, vous êtes des participants actifs, vous êtes les créateurs. Moi, je propose une histoire, des personnages, des lieux, je les décris peu et ensuite, c’est a vous d’imaginer, de créer, vous êtes vraiment les maîtres du roman. Un auteur peut vous raconter ce qui est et que dans son livre un personnage est comme ça mais si vous l’imaginez différemment, le personnage serait tel que vous l’imaginez. Donc je considère que le lecteur a quand même plus de pouvoir et d’emprise sur le roman que l’auteur car il a le dernier mot. »
Lisez-vous autant de livres classiques que de livres contemporains ? Quels sont les auteurs contemporains que vous préférez ?
« Oui, je lis vraiment de tout. Pour moi, la lecture est une envie, un plaisir. Je me laisse guider sur le moment, un peu comme quand on dit “Qu’est-ce que je mange ?” et qu’en ouvrant le frigo, on ouvre le champ des possibles. Pour moi, lire c’est pareil. J’ai tout d’un coup une envie de lire, et puis je regarde un peu ce qu’il y a.
Dans les auteurs que j’adore, je peux vous parler de Romain Gary qui a vraiment été l’auteur le plus important pour moi, qui m’a marqué non seulement par les romans qu’il a écrit mais par l’homme qu’il a été. Ça a été un homme avec une histoire absolument incroyable. Lisez de lui La promesse de l’aube qui raconte en partie sa vie, c’est un livre absolument extraordinaire.
Et sinon, je viens de lire un roman d’un auteur suédois, Niklas Natt och Dag, dont le titre est 1793. C’est un livre qui vient de paraître et qui est extrêmement puissant, nous emmenant dans la Stockholm de 1793. »
Les États-Unis constituent le lieu d’intrigue majeur de vos livres. Etes-vous influencé par la littérature anglo-saxonne ? Qui sont les écrivains anglais ou américains qui vous inspirent tout particulièrement ?
« Je ne crois pas. J’ai été influencé par beaucoup de littératures, la littérature française parce que c’est la première littérature que j’ai lue, ensuite la littérature russe a eu un impact très important sur moi puisque j’ai découvert une littérature qui foisonne, dans laquelle vous découvrez un monde qui existe vraiment.
Je me souviens de Guerre et Paix, un livre absolument extraordinaire avec le souvenir que j’ai adolescent quand je l’ai lu… Certes, je ne comprenais pas toujours tout et je me perdais un peu dans les personnages, et pourtant, il y avait une force qui se dégageait de ce livre : j’avais l’impression d’être là-bas, de voir les gens, de sentir les ambiances, d’être dans le chaud des maisons, le froid du dehors… Il y avait comme ça une réalité qui m’a frappée et ça c’est l’influence du roman russe.
Pour la littérature américaine, son influence est venue beaucoup plus tard chez moi. J’ai évidemment été marqué comme beaucoup par Philip Roth, Paul Auster… Je ne crois pas sinon qu’il y ait un lien entre l’influence de la littérature anglo-saxonne et le fait que mes romans se passent aux États-Unis en partie.
Les États-Unis sont un lieu que je connais très bien, j’y ai passé toutes mes vacances de l’âge de 4 à 25 ans, sur la côte est. Pour moi, c’était un moyen de raconter une histoire dans un décor que je connais bien, avec beaucoup de crédibilité, et en même temps, je pouvais créer une distance entre le moi, Joël romancier et le moi, narrateur du livre. Je crois que cette distance est importante parce qu’elle est pour moi le moyen d’être dans la fiction, de ne pas être dans la réalité. Et comme je le disais avant : le roman et l’écriture sont pour moi un moyen d’échapper à la réalité. »
Dans une interview accordée à Claire Chazal dans la revue Lire d’Avril 2020, vous faites référence aux auteurs russes. Quels sont les auteurs et les livres russes qui ont été un modèle pour vous ?
« Le livre qui m’a le plus marqué est Les pauvres gens de Dostoïevski et c’est pour moi un récit absolument incroyable, qui raconte un amour entre un vieux fonctionnaire et une jeune femme. C’est un livre qui m’a beaucoup touché et qui fait partie des livres qui m’ont le plus marqués. Je me souviens à quel point j’avais été ému car j’ai pleuré à la fin et ça a été pour moi un grand événement.
Je vous parlais aussi de Guerre et Paix que j’ai peut-être lu un peu trop tôt mais qui m’a énormément marqué par sa force.
Et puis, il y a Gogol. Dans ce qu’il écrit, il y a quelque chose de très fort, de très drôle, de très grinçant, un peu acide, très amusant. C’est un auteur que je recommande beaucoup même si c’est peut-être un auteur qu’on lit moins. Gogol est à lire absolument pour ceux qui écrivent et qui aime écrire. »
Quel est le déclic qui vous permet d’écrire ? Est-ce un fait divers comme Madame Bovary pour Flaubert ? Est-ce que les idées vous viennent progressivement dans la vie de tous les jours ?
« Comment est-ce qu’on commence un livre ? Comment l’inspiration vient ? Difficile à dire. Je ne commence pas l’écriture d’un livre par une idée ni une intrigue parce que je ne crois pas que ce soit le plus important. Le plus important c’est d’avoir envie d’écrire ce roman, c’est de vous dire “Est-ce que j’ai envie de passer deux, trois ans sur ce texte-là ?”. Ensuite vient l’inspiration mais cette inspiration, c’est ce que vous avez en vous, c’est difficile de la quantifier, de la définir. Je dirais que c’est une énergie de création dans laquelle vous puisez dans votre vécu, dans ce que vous avez lu, aimé, pas aimé. Il y a des livres que j’ai moins aimés et c’est important aussi de pas aimer car ça fait partie de la construction de soi.
L’inspiration, il faut la laisser venir, la canaliser et ensuite se laisser guider par un élément.
L’inspiration, il faut la laisser venir, la canaliser et ensuite se laisser guider par un élément. Pour moi, c’est le plaisir. Je sais que ce qui est important, c’est avoir du plaisir à écrire, à être dans ce livre. C’est le matin, quand je me lève, me dire “Ah chouette, qu’est-ce qu’il va se passer aujourd’hui dans mon roman ?” »
Dans Le Livre des Baltimore (partie 3, chapitre 29) le héros essaie de « réparer » en écrivant. Pensez-vous que la littérature a cette fonction de réparer les drames ? Doit-elle réconcilier et rassembler les gens ?
« Oui absolument ! La littérature c’est la réparation de celui qui est dans l’action de lire (et de celui qui écrit). Pourquoi ? Parce que, quand on lit, on est dans une plongée à l’intérieur de soi. La lecture, c’est probablement le dernier exercice qu’on peut faire aujourd’hui, auquel on doit se consacrer intégralement. Vous pouvez regarder un film et en même temps avoir quelqu’un qui vous parle et faire un SMS. Pour le livre, à partir du moment où quelqu’un vous parle, ou alors que votre téléphone sonne, vous êtes haché à la réalité du livre pour retourner dans le monde dans lequel vous vivez. C’est en ce sens que la lecture est une plongée dans soi, dans laquelle vous allez ensuite rechercher des éléments personnels.
Petit jeu de Joël Dicker : Imaginez un dragon
On a tous vu quelque chose de similaire, un espèce de gros lézard, et pourtant, même si on a tous vu la même chose, on l’a vu différemment. Ce dragon que vous avez imaginé, il vous appartient, et ça, c’est la force de la littérature. Vous êtes dans un voyage à l’intérieur de vous même, vous faites appelle à vos propres images. Qu’est-ce qui vous a influencé à imaginer le dragon de cette façon ? Des films ? Des livres ? Des imageries ? Ça pour moi, c’est l’élément qui prouve que le livre, c’est une réparation ou du moins, un voyage qui peut réparer parce qu’il permet de se comprendre et de découvrir ce qu’il y a à l’intérieur de nous. On peut faire ça pour absolument tout. C’est ce qui fait de l’acte de lire une expérience si forte. »
Dix jour de défi !
« Lire est un accompagnement, il ne faut pas se forcer. Alors voilà ce que je vous propose :
Prenez un livre pendant dix jours et lisez des bouts toutes les 5 minutes que vous avez : au café en attendant votre ami, dans la salle en attendant le médecin, dans les transports… Tous les temps morts qu’on a dans la vie peuvent être des temps de lecture. Vous verrez qu’au bout de dix jours, si au onzième vous sortez sans votre livre, vous vous direz “Zut ! Qu’est-ce que je vais faire ?”
La lecture, c’est quelque chose de très fort. Je crois que tout le monde aime lire mais que tout le monde ne le sait pas.
La lecture, c’est quelque chose de très fort. Je crois que tout le monde aime lire mais que tout le monde ne le sait pas. Et il faut justement avoir ce déclic, ce moment, cet exercice, ce côté très pratique du livre sous la main et quand vous vous rendrez compte qu’en quelques minutes par-ci, par-là, on lit sur l’année des dizaines de livres qui nous ouvrent l’esprit et qui nous emmènent loin, ça peut être des romans, des essais, ce que vous voulez, mais l’impact, la force de la lecture est tellement énorme…
Pour vous en rendre compte : dix jours de défi ! »
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Aller + loin : Les arcanes du secret bien gardé d’une chambre d’hötel suisse