Il y a des associations d’auteurs qui sonnent comme une évidence, c’est ce que l’on ressent après la lecture de ce formidable roman graphique paru mi-janvier. L’alliance du scénario de Lehman, riche en intrigues, inspiré de nombreuses références mythologiques, mystiques et psychologiques, et du dessin si souple et pourtant si ténébreux de Peeters fait des merveilles !
Un scénario enchanteur
Serge Lehman vous invite à une plongée étonnante dans la dimension fantastique, à travers un récit ambitieux, ancré dans le présent mais dont les racines remontent bien loin, à une époque où les hommes croyaient aux monstres, aux créatures mystérieuses et aux dieux vengeurs. La grande habileté avec laquelle l’auteur transpose ces croyances au XXIème siècle, utilisant les turpitudes de notre histoire récente pour faire revivre certains mythes, est tout bonnement épatante ! Ce scénario à la dynamique très contemporaine est étoffé par de savantes incursions dans le domaine du fantastique. Lehman n’hésite pas à piocher du côté des contes de fées (les vrais, les cruels) ou des sociétés secrètes un tantinet ésotériques, tout en équilibrant l’ensemble avec des références plus psychologiques ; il ne dédaigne pas non plus une certaine dose d’onirisme et flirte avec le gothique, donnant une grande ampleur à l’ensemble. Il réussit l’exploit d’intégrer le paranormal dans le quotidien (bouleversé) de ses personnages sans que cela sonne faux, ce qui est encore plus difficile à faire quand on inscrit son récit dans la réalité de tous les jours, plutôt que de créer un monde alternatif où le merveilleux fait partie des habitudes.
Ses personnages, aussi, sont une réussite ! Les trois femmes de ce récit ont des personnalités fortes, contradictoires et attirantes. Ce trio est idéal pour amorcer l’idée de la transmission entre les générations, tout en se régalant de quelques clichés de bon ton : une vieille dame charmante mais fantasque qui détient la connaissance, une ado rebelle qui refuse de s’en laisser conter et n’hésite pas à dire ce qu’elle en pense et une maman quadra qui aimerait bien être ailleurs, tiraillée par un passé flou qu’il lui faudra éclaircir. Cette histoire est peuplée de nombreux personnages, venus du fond des âges, du fond des marges aussi, et suivre le mince fil d’Ariane qui les lie est un vrai bonheur de lecture ! Même si certaines créatures risquent de réveiller chez le lecteur de vieilles angoisses ancestrales enfouies sous les strates de la raison moderne.
La magie des crayons
Ceux qui ont déjà lu Frederik Peeters le savent : son dessin ensorcèle. Habitué aux scénarios excentriques, insolites et atypiques (il en est même parfois le responsable), ce dessinateur possède l’immense talent de vous attirer dans une histoire en trois coups de crayons. Ouvrez L’odeur des garçons affamés, le western le plus étrange de la production BD, vous ne pourrez pas vous en détacher ! Lupus ? Des années après, vous y repenserez encore, ravis d’avoir lu un tel OVNI. Peeters a ouvert les portes du label indé à de nombreux lecteurs grâce à Pilules bleues, ce petit bijou autobiographique d’une sensibilité et d’une honnêteté hallucinante… Bref, c’est un grand dessinateur et il ne démérite pas d’un poil de pinceau en illustrant L’homme gribouillé ! Son trait délié, parfois un peu caricatural et pourtant très élégant, s’accorde parfaitement au noir et blanc (et gris) choisi pour mettre en valeur ce récit de lutte entre ombre et lumière. Tout en étant minutieux et détaillé, le dessin accompagne avec énergie ce conte des temps modernes, jouant entre clarté et ténèbres avec une belle aisance et une souplesse fort agréable à l’œil.
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Parution le 17 janvier 2018 – 320 pages
L’homme gribouillé, Serge Lehman et Frederik Peeters (Delcourt) sur Fnac.com
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