Critique

Souterrain : rencontre avec les mineurs canadiens, entre fable intimiste et grand spectacle

26 janvier 2022
Par Erwan Chaffiot
Révélation du film, l'acteur Théodore Pellerin incarne Julien, un jeune homme marqué par un très grave accident.
Révélation du film, l'acteur Théodore Pellerin incarne Julien, un jeune homme marqué par un très grave accident. ©Les Alchimistes

Dans la petite famille du cinéma québécois, il semble difficile de rayonner face à Denis Villeneuve et Xavier Dolan. Pourtant, la cinéaste Sophie Dupuis tire son épingle du jeu alors que son deuxième film, Souterrain, arrive enfin en France.

Les cinq premières minutes du film évoquent une séquence tournée par James Cameron ou Kathryn Bigelow : des reflets de projecteurs qui diffractent les lentilles de la caméra, un décor digne d’une planète extra-terrestre, des personnages habillés de combinaisons hermétiques, et une machine inquiétante armée de pieux métalliques acérés. Une fois passée l’admiration pour la maîtrise artistique de la scène, on s’interroge : où est le film « de personnages », l’oeuvre sur les petites gens de la mine ? Si Sophie Dupuis tient cette promesse initiale, elle projette également sur son film un souffle épique, voire hollywoodien – qui oblige parfois l’esprit du spectateur à faire le grand écart.

Il y a des mines au Québec ?

Alors que le souvenir des mineurs français vient d’être ranimé par l’adaptation en série de Germinal, le cinéma canadien, lui, peut parler des gueules noires au présent. Souterrain, avant même de déployer son arsenal sociologique et psychologique, pose ainsi un constat qui n’était pas forcément évident pour le spectateur non éclairé : oui, il y a (encore) de grandes mines en exploitation au Canada. D’ailleurs, la cinéaste elle-même vient d’une famille de mineurs : “J’ai grandi dans la région minière et industrielle du Val D’or. Toute ma famille a travaillé dans les mines. C’était donc un environnement totalement banal pour moi et pour les habitants de cette région.” Souterrain s’avance donc pas à pas dans cette communauté de mineurs modernes dont l’échantillon choisi par la réalisatrice est relié par un drame passé.

Le film a été tourné dans une véritable mine de la région de l’Abitibi.©Les Alchimistes

Cinéma d’intérieur et d’extérieur

Il y a en réalité deux films en un dans Souterrain : celui de l’intérieur et celui de l’extérieur. L’intérieur c’est la mine, pour laquelle Sophie Dupuis déploie toute sa virtuosité technique, et dans laquelle les personnages se transforment en héros de film catastrophe. L’extérieur c’est le film de la vie personnelle, celui des plans tournés caméra à l’épaule, de la lumière naturelle et des conflits humains. Cette dualité artistique qui se ressent autant à travers la mise en scène que par la lumière et le rythme n’est pas issue d’un quelconque manque de choix assumé pour l’un ou pour l’autre. La vie extérieure se révèle celle de l’individualité et du chaos, alors que la vie intérieure apparaît celle de l’unité et de l’organisation.

Un concentré de Québec

Souterrain, c’est du cinéma cent pour cent québécois ; et Sophie Dupuis est la digne héritière de cette culture américaine pas comme les autres qui a engendré le seul blockbuster adulte de 2021, Dune de Denis Villeneuve. Le film bénéficie d’un merveilleux travail des comédiennes et comédiens – auxquels la réalisatrice voue une véritable fascination. Parmi eux, Théodore Pellerin, déjà présent dans le premier film de la réalisatrice (Chien de Garde, 2018), semble destiné à une grande carrière ; sa prestation transperce le cœur. À cheval entre le nouveau et le vieux continent, le film peut aussi s’appuyer sur l’excellence des équipes techniques québécoises, habituées à travailler à la chaîne sur de gros films américains. Sophie Dupuis a ainsi su creuser tous les bons tunnels afin de trouver la lumière.

Souterrain, de Sophie Dupuis, avec Joakim Robillard, Théodore Pellerin, James Hyndman. 1h37. En salles le 26/01/2022.

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