Critique

The Tragedy of Macbeth : o’brother Coen, where art thou ?

20 janvier 2022
Par Félix Tardieu
Joel Coen et Frances McDormand sur le tournage de "The Tragedy of Macbeth"
Joel Coen et Frances McDormand sur le tournage de "The Tragedy of Macbeth" ©Apple TV+

Sans son frère Ethan, Joel Coen livre une adaptation au cordeau de la pièce de William Shakespeare, sublimée par un noir et blanc graphique et sépulcral. Un film qui fait la part belle au texte et au soliloque shakespearien, mais dont la mise en scène manque cruellement de lâcher-prise.

Pour la première fois en solo derrière la caméra, Joel Coen s’attaque à un monument de la littérature anglo-saxonne : Macbeth, tragédie en cinq actes de William Shakespeare publiée pour la première fois en 1623, qui dépeint l’ascension puis la chute du général Macbeth et de son épouse Lady Macbeth suite au régicide de Duncan, roi d’Ecosse. Cette tragédie, l’une des plus courtes du dramaturge, a été adaptée maintes fois au cinéma : Orson Welles, dans certainement la plus célèbre des adaptations cinématographiques de Macbeth, mais également Kurosawa, Polanski ou plus récemment Justin Kurzel (avec Michael Fassbender dans le rôle de Macbeth). Joel Coen renoue ici avec le noir et blanc de Welles, mais l’esthétique globale du long-métrage et le choix du format 1:37 rappelle plutôt l’âge d’or des films muets et du cinéma expressionniste allemand du début du XXe siècle – F.W. Murnau et Fritz Lang en chefs de file. 

Denzel Washington dans la peau de Macbeth ©Apple TV+

Picturalement imparable, The Tragedy of Macbeth offre une vision épurée et résolue de cette grande tragédie du pouvoir : la prophétie révélée à Macbeth par les trois sorcières, incarnées par l’impressionnante actrice de théâtre Kathryn Hunter, dont la voix rauque et le corps contorsionné semblent sortis d’outre-tombe, conforte le roi autoproclamé dans son hubris et l’entraîne fatalement vers sa chute. Entièrement tourné en studio, le film de J. Coen ne cherche aucunement à masquer l’artificialité des décors mais au contraire à exalter leur présence théâtrale, leur matérialité, leurs courbes et leurs lignes géométriques. Le film travaille plutôt à gagner une profondeur de champ que seul le cinéma peut offrir, tout en se détachant d’une grammaire cinématographique classique : à la dynamique champ/contrechamp habituelle, J. Coen préfère la succession de tableaux baignés de lumière – le cinéaste refait ici équipe avec le directeur de la photographie français Bruno Delbonnel (Inside Llewyn Davis, La ballade de Buster Scruggs) – méticuleusement composés, concentrant le regard et l’action, entièrement dédiés à la déclamation du texte et aux visages des acteurs dont les traits définis à l’extrême (le film a été tourné en 4K, de quoi épater les abonnés d’Apple TV+) offrent une lisibilité dénuée de mystère.

Kathryn Hunter incarne les trois sorcières de Macbeth ©Apple TV+

Alors, où le bât blesse-t-il dans ce Macbeth ? Denzel Washington et Frances McDormand (Oscar de la meilleure actrice pour Nomadland et compagne de longue date de Joel Coen) sont filmés en plein récital, mais leurs interprétations ne transcendent jamais la littéralité de cette nouvelle adaptation. La frontalité assumée du film donne plutôt l’impression d’assister à une mise en place minimaliste de Macbeth qu’à une véritable proposition cinématographique. Le paradoxe tient à ce que malgré la folie qui gagne rapidement Macbeth et sa complice, ce Joel Coen assagi ne s’autorise que très peu d’accès de folie dans sa mise en scène, accouchant ainsi d’un film bien trop appliqué, statique, certes splendide visuellement – à chaque image de nouvelles lignes de fuite, une nouvelle composition tout en contraste – mais sans identité très marquée.

Au Royaume-Uni, la pièce est depuis toujours entourée d’une superstition tenace : les acteurs s’abstiennent de prononcer son nom dans l’enceinte du théâtre, sans quoi une malédiction s’abattrait sur la troupe. Les comédiens préfèrent ainsi parler de « the scottish play » (la pièce écossaise), et les personnages principaux ne sont évoqués que par leurs initiales (M. et Lady M). Peut-être que le film de Joel Coen, produit par Apple – qui renforce peu à peu son offre de films « originaux » –  est lui-même frappé par la malédiction : à force de marteler à l’écran le prestige de l’oeuvre, le film finit par anéantir toute possibilité de détour, d’audace, de prise de risque, comme lorsque les frères Coen transposaient, sous une couche parodique, l’Odyssée d’Homère dans le « Deep South » des années 1930 (O’Brother, 2000). Au fond, on reprochera à Joel Coen de n’avoir su s’autoriser aucune infidélité.

The Tragedy of Macbeth de Joel Coen – avec Denzel Washington, Francis McDormand, Brendan Gleeson, Alex Hassell, Kathryn Hunter – 1h47 – Disponible sur Apple TV+ depuis le 14 janvier 2022

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste