Critique

Dune : ce n’était que le début

12 octobre 2021
Par Félix Tardieu
Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère Lady Jessica (Rebecca Ferguson) sur la planète Arrakis.
Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère Lady Jessica (Rebecca Ferguson) sur la planète Arrakis. ©Warner Bros. France

Quand verra-t-on la suite de Dune, le film de Denis Villeneuve adapté de l’œuvre éponyme de Frank Herbert ? Alors que le premier volet fait les beaux jours du box-office international, la mise en chantier de la suite n’a pas encore été officiellement annoncée. Dune est attendu sur le sol américain le 22 octobre et n’a pas le droit à l’échec.

Dès les premières minutes de Dune, le chemin est tracé : le dernier film du Québécois Denis Villeneuve (Premier Contact, Blade Runner 2049) ne sera que la première partie d’une œuvre réputée inadaptable tant de nombreux artistes s’y sont cassé les dents au fil des décennies. Le réalisateur Alejandro Jodorowsky, d’abord, dont le projet d’adaptation est resté dans les annales des films maudits, au même titre que le Don Quichotte d’Orson Welles ou de Terry Gilliam… à ceci près que ces derniers ont été en partie tournés.

Le palais de l’Empereur dans le Dune d’Alejandro Jodorowsky, 1975.©ChrisFossArt.com

Le film de Jodorowsky affiche alors une ambition démesurée : un budget pharaonique, un casting hallucinant – Orson Welles, Mick Jagger, David Carradine, Alain Delon ou encore Salvador Dalí dans la peau de l’Empereur –, une bande originale signée Pink Floyd et Magma, Moebius et H.R Giger (qui deviendra l’un des pères d’Alien quelques années plus tard) au storyboard… Dessiné plan par plan, le film doit durer une dizaine d’heures et révolutionner les codes de l’expérience cinématographique. Mais le projet est définitivement avorté en 1977, année de la sortie de… Star Wars. Quelques temps plus tard, David Lynch fait à son tour les frais de cette tâche insurmontable pour ce qui sera, de son propre aveu, la plus grande désillusion de sa carrière. Le réalisateur prolifique Denis Villeneuve semble enfin avoir réussi l’impossible : réunir à la fois la critique, les néophytes et les aficionados de la première heure autour de l’univers unique imaginé par Frank Herbert.

Denis Villeneuve mène la danse

Force est d’admettre que le cinéaste québécois impressionne par un mélange habile de maîtrise et d’ambition mêlée de pudeur qui relève du numéro d’équilibriste. Ni entièrement noyé par le cahier des charges de la superproduction hollywoodienne – ce dont Lynch ne s’est jamais remis – ni trop gourmand dans l’exégèse du roman de Herbert, Villeneuve livre un film esthétiquement invincible, mais qui tend à éclipser la charge politique et l’appel métaphysique de l’œuvre. Le dépouillement radical des décors et le jeu constant des contrastes permettent à la fois à Villeneuve de faire le vide autour de ses personnages et de mettre en place son dispositif scénique : en véritable esthète, il multiplie les lignes de fuite, les perspectives et les rapports d’échelle qui dessinent la relation entre l’individu et son environnement, à l’image du ver des sables incarnant la puissance sourde de la nature face à une rationalité humaine excessivement bruyante.

Paul Atréides (Timothée Chalamet) face à la Révérende Mère (Charlotte Rempling) lors de l’épreuve du gom jabbar.©Warner Bros. France

Mais c’est également là que le film éprouve ses limites. Villeneuve n’a pas vraiment le temps d’imposer la trame contemplative qui traverse l’ensemble de ses films et, par conséquent, d’étoffer l’univers immensément riche fourni par le matériau d’origine. On pourrait entre autres évoquer la marche des sables que pratiquent les Fremen, le peuple du désert dont Paul Atréides mènera peut-être la révolte, qui replace l’homme dans le régime de la cohabitation et de l’harmonie, par contraste avec une société techno-dépendante où se rejouent sans fin les luttes intestines pour le pouvoir et l’accaparement des richesses. Aperçue trop brièvement, cette « danse du désert » aurait ainsi pu offrir au film une respiration conférant une dose de lyrisme et de solennité à un récit déjà très encombré.

Malgré la beauté âpre du désert jordanien qui sert de décor aux reliefs désertiques d’Arrakis, le film pâtit dans son dernier tiers d’un cruel manque de souffle, qui s’explique sans doute par la structure du livre et la nécessité de couper l’œuvre en deux parties. En un sens, le Dune de Denis Villeneuve souffre déjà de l’absence – fut-elle provisoire – d’une suite indispensable, qui seule pourra faire de ce film un jalon essentiel qui prend pour le moment la forme d’un membre amputé et, malgré une aura indéniable, d’un film frustré.

Jamais Dune sans trois ?

Le film de Denis Villeneuve finira-t-il alors lui aussi par être touché par la « malédiction Dune » ? Si la suite semble bien engagée, rien ne permet de garantir que la Warner ne fasse pas machine arrière si le film échoue au box-office américain étant donné les sommes colossales engagées dans la production et la campagne promotionnelle. De plus, la sortie simultanée dans les salles américaines et sur la plateforme de streaming HBO Max (on peut d’ores et déjà s’attendre à un piratage massif) risque de nuire à la performance du film au box-office, ce dont Villeneuve s’était d’ailleurs offusqué en décembre 2020 dans une tribune teintée d’amertume parue dans Variety. Un business model également critiqué par un certain Christopher Nolan lors de la sortie de Tenet, qui a depuis mis un terme à sa collaboration historique avec Warner Bros.

Paul Atréides (Timothée Chalamet) et sa mère Lady Jessica (Rebecca Ferguson) sur la planète Arrakis.©Warner Bros. France

Mais les bons résultats à l’international – dont plus de deux millions d’entrées en France à ce jour – de ce blockbuster atypique (qui, rappelons-le n’est ni une suite, ni une franchise déjà existante, ni franchement un reboot) et le bon accueil critique devraient logiquement encourager la major à officialiser la suite, dont le tournage pourrait alors débuter dès l’année prochaine, pour une sortie en salles en 2023 ou 2024. Gageons donc que lorsque les deux parties seront réunies, on pourra enfin se réjouir d’une œuvre cinématographique digne de la production monumentale de Frank Herbert.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste
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