
À l’occasion de la sortie en salle du film Avignon ce mercredi, comédie romantique rafraîchissante qui nous plonge dans les coulisses du célèbre festival de théâtre, L’Éclaireur a rencontré Johann Dionnet, son réalisateur, et Elisa Erka, l’actrice principale.
Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Johann Dionnet : Je crois que j’avais envie de raconter une histoire d’amour qui se passe pendant le Festival d’Avignon parce que, la première fois que je suis venu, j’ai pris une claque. Je crois que j’ai dû tomber amoureux au moins trois fois en cinq jours. Pourquoi ? Parce que j’ai l’impression que les sens sont complètement décuplés là-bas. Il se passe tellement de choses, on voit des spectacles où on rit, où on pleure, d’autres qui nous font réfléchir, on parle de théâtre avec des gens passionnés, des gens passionnants, et on fait la fête. Il fait chaud, il fait beau, c’est une ville qui donne envie de tomber amoureux. J’avais envie de raconter un peu tout cela. Et comme j’ai eu la chance, moi, de faire Avignon huit fois avec des spectacles, que ce soient des comédies ou des spectacles de boulevard, j’avais envie de faire ma propre déclaration d’amour au spectacle vivant, peu importe son genre, peu importe ce qu’on peut en penser, peu importe les a priori qu’on peut avoir sur tel ou tel type de spectacle.
C’était un mélange de tout ça : faire un film sur les préjugés, sur la hiérarchisation, parfois, des styles de théâtre. On dit qu’il y a toujours des théâtres élitistes et d’autres de boulevard. Et le boulevard, comme c’est populaire, on se dit que c’est plus facile, alors que ce n’est pas le cas. Je voulais aussi raconter les coulisses d’Avignon, ce que c’est de partir avec une troupe, de vivre 24 heures sur 24 avec un groupe qui essaie tant bien que mal de vendre son spectacle alors qu’il n’a pas d’argent. C’est la vie de 97 % des actrices et des acteurs.
Justement, y a-t-il dans votre film une critique, en creux, de cette cloison érigée entre théâtre classique et théâtre de boulevard…
J. D. : Il y a une observation. Les préjugés sont partout. Par exemple, dans le film, le personnage, d’Amaury de Crayencour (David) a des a priori sur le spectacle de boulevard, mais celui de Baptiste Lecaplain (Stéphane) en a aussi sur le théâtre classique. Et on a tous un petit peu des a priori ; on se moque un peu des uns et des autres, parce que c’est notre manière d’exister quand on est dans une communauté. On aime bien pointer du doigt une communauté qui ne ressemble pas vraiment à la nôtre, sans vraiment la connaître. Je crois que j’avais juste envie de raconter ça. On n’a peut-être pas le même maillot, mais on a la même passion. On a tous été, à un moment donné, un enfant aux yeux remplis de rêves, qui, dans sa chambre, s’est déguisé, a imité des actrices, des acteurs, ou qui a commencé à chanter, à rejouer des scènes qu’il avait vues à la télévision ou au cinéma.
Elisa, qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Fanny ? Comment la décririez-vous ?
Elisa Erka : J’ai d’abord été séduite par le matériau d’origine, car c’est un court-métrage qui est devenu un long-métrage. J’ai eu la chance de garder mon personnage, de raconter la même histoire, mais de la développer. Johann a insisté pour garder toute son équipe de base, ce qui est à souligner, car ce n’est pas évident aujourd’hui de monter un film avec des gens qui n’ont pas de nom ou de notoriété. Ce qui m’a plu dans le rôle de Fanny, c’est qu’elle parle de nous, les actrices, les femmes. Je me reconnais complètement dans ce personnage, mais aussi dans celui de Stéphane, dans cette volonté, un petit peu carriériste parfois, d’être dans la bonne pièce, au bon endroit. Finalement, c’est quoi “être dans la place” ? Ça vient interroger des choses qui sont fondamentales sur le désir d’actrice, le désir tout court, le choix des projets qu’on fait.
« Le parcours de Fanny est différent du mien, car, en tant qu’actrice, j’ai l’impression de me battre pour être reconnue, pour prendre ma place. »
J’aime ce personnage parce qu’elle n’est pas forcément sympa tout le temps. Il y a une forme d’ambivalence. J’aime qu’elle ne soit pas binaire, qu’on ne l’apprécie pas constamment. Il y a quelque chose d’un peu agaçant chez elle, qui la rend humaine. Je la trouve drôle et attachante. Au-delà d’un homme, elle tombe aussi amoureuse d’un univers qui n’est pas le sien, un univers qu’elle adore. Quand on a commencé à décrire qui était Fanny avec les coscénaristes Benoît Graffin et Francis Magnin, une phrase revenait souvent : on s’est dit que c’était quelqu’un pour qui tout avait été un peu facile depuis le début. Tout s’est passé sans vraiment qu’elle cherche à s’affirmer ou à prouver quoi que ce soit. Je pense qu’elle ne sait pas ce que c’est que d’être jugée pour ce qu’on est ou de vouloir à tout prix prouver qu’on peut avoir notre place.
Et c’est intéressant parce qu’à un moment, elle dit justement que quand il lui arrive un truc bien, elle a peur que tout s’effondre. Donc je pense qu’elle n’est pas vraiment un “nom”, mais elle est entourée de gens qui, pour réussir à être là où ils en sont, ont dû, eux, souffrir de jugements et juger les autres.
Vous reconnaissez-vous dans le parcours de votre personnage ?
Le parcours de Fanny est différent du mien, car, en tant qu’actrice, j’ai l’impression de me battre pour être reconnue, pour prendre ma place, et je trouve ça chouette de montrer l’autre côté, parce qu’elle n’est pas que ça. J’ai aussi injecté mon expérience de comédienne qui rame beaucoup dans ce rôle.

En termes d’écriture, le film joue sur de nombreux registres comiques. Il y a comme une mise en abyme du théâtre. Comment avez-vous procédé pour introduire cette dimension théâtrale au cinéma ?
J. D. : Je me suis demandé ce que j’aimais au théâtre. Ce sont les personnages iconiques qui ont du sens pour moi, que ce soit dans le théâtre classique ou pas. Je me suis inspiré de beaucoup de personnages de Molière, surtout de leurs défauts. Quand j’ai écrit le personnage de Serge, qui a énormément de défauts, j’ai pensé à l’avarice d’Arpagon dans Le misanthrope, à sa mauvaise foi. Je n’ai rien inventé, j’ai voulu faire un Shakespeare in Love à Avignon, où, effectivement, si les gens ont certaines références, c’est super, mais s’ils ne les ont pas, ce n’est pas grave, ils passent quand même un bon moment. Le quiproquo, on le retrouve ça dans toutes les pièces de boulevard. J’ai donc essayé de m’inspirer un petit peu de toutes ces références.
Vous tenez donc à ce dialogue entre cinéma et théâtre ?
J. D. : Oui, parce que je fais les deux et je les trouve très complémentaires. J’ai appris des choses au cinéma que j’utilise au théâtre, et inversement. Pour mon premier film, je voulais vraiment marier les deux. Je trouvais que c’était un exercice assez fort de retranscrire au cinéma des vers qu’on n’entend qu’au théâtre. Comme Le Cid, par exemple. C’est tellement beau à dire. Un de mes films préférés, c’est Cyrano de Bergerac. Et même si c’est du cinéma, les dialogues sont incroyables. J’aime quand ça sonne.
Comment s’est déroulée votre collaboration avec Baptiste Lecaplain, qui incarne Stéphane, le personnage principal du film ?
J. D. : Absolument exemplaire. Je recommande à tous les metteurs en scène de travailler un jour avec Baptiste. Parce qu’au-delà de son talent de comédien, il a celui de douter, donc de travailler énormément. Il m’a fait une confiance absolue. On est allés dans des endroits où il n’avait pas l’habitude d’aller, où il n’était pas forcément à l’aise, mais il y est allé quand même, il a fait preuve de beaucoup de courage. Et je pense que ça se ressent à l’image. On a fait beaucoup de lectures avec Elisa et Baptiste. Tous les trois, on s’est retrouvés pas mal de fois à parler des scènes, à les refaire pour voir s’il y avait des choses qu’ils avaient envie d’improviser, pour qu’ils apprennent à se connaître aussi. Parce que je savais que le jour J, on n’aurait pas le droit aux doutes.
« Baptiste Lecaplain n’est pas un humoriste, c’est un acteur. »
E. E. : C’était génial et un vrai cadeau, parce que j’ai joué avec Johann dans le court-métrage, et je joue avec Baptiste dans le long. C’est le même personnage, mais, finalement, ce n’est pas tout à fait le même, car ce sont deux acteurs extrêmement différents, deux clowns très différents. Et le clown de Baptiste m’a amenée à jouer autre chose, en regard de ce qu’il me proposait. C’est une autre comédie romantique. J’avais peut-être des a priori sur Baptiste, sur son côté stand-up, que je n’ai pas du tout ressenti dans ce travail-là. Au contraire, j’ai trouvé qu’il y avait une grande écoute entre nous, un vrai partenariat dans le jeu.
J. D. : Baptiste Lecaplain n’est pas un humoriste, c’est un acteur. Je l’ai perçu très rapidement, même dans nos discussions, dans la façon qu’il avait de travailler, d’aborder le personnage. Il est juste trop modeste et trop pudique pour le dire. Je pense qu’il adore faire rire les gens, il adore faire le show, mais je crois que ce qu’il aime, avant tout aussi, c’est le cinéma. C’est un acteur et c’est pour cela qu’il a été à la hauteur du film.