Critique

« Kneecap », le film musical le plus subversif (et réjouissant) de 2025

17 juin 2025
Par Catherine Rochon
"Kneecap", le film musical le plus subversif (et réjouissant) de 2025
©Wayna Pitch

Comment un groupe de rap irlandais amateur, qui crache ses rimes en gaélique, est-il devenu un emblème culturel ? C’est l’histoire aussi improbable que jubilatoire de « Kneecap », biopic musical qui dynamite les codes du genre tout en célébrant l’identité irlandaise et le pouvoir de la langue. Un film pop et politique à retrouver en salles ce 18 juin.

Liam et Naoise sont amis d’enfance, nés à Belfast, en Irlande du Nord. Et depuis leur plus jeune âge, ils ont appris à parler irlandais. Leur figure tutélaire ? Arlo, le père de Naoise, un ancien membre de l’IRA (Armée républicaine irlandaise). Les deux gamins vont grandir, entre glande, drogues et provoc anti-système. De ces errances, ils vont tirer des textes drôles et abrasifs, écrits en anglais et en gaélique, leur langue de cœur.

En 2017, sous l’impulsion d’un troisième comparse, J.J, ils vont finalement former un collectif mêlant hip-hop, activisme politique et réappropriation linguistique. Leur ultime pied de nez à l’ordre établi britannique ? Le nom du groupe : Kneecap (« rotule brisée »), référence à une technique paramilitaire tristement célèbre en Irlande du Nord, visant à briser les genoux des prisonniers durant les années de conflit.

En retraçant la genèse du groupe de rap militant, le réalisateur anglo-irlandais Rich Peppiatt signe l’un des meilleurs films musicaux de ces dernières années. Car la trajectoire des membres de Kneecap, aussi rocambolesque qu’un Full Monty revisité à la sauce Ulster, avait tout pour faire un excellent scénario. Seuls quelques éléments ont été dramatisés ou inventés. Ainsi, le personnage d’Arlo (interprété par l’excellent Michael Fassbender – qui incarnait déjà un militant de l’IRA dans le film Hunger) est un personnage fictif, symbolisant les républicains de l’ancienne génération qui se retrouve prise en étau entre militantisme armé et renouveau culturel.

Tout comme Eminem dans le film 8 Mile, Liam Óg « Mo Chara » Ó Hannaidh, Naoise « Móglaí Bap » Ó Cairealláin et JJ « DJ Próvaí » Ó Dochartaigh jouent leur propre rôle à l’écran. Et les trois compères en jogging, bien qu’acteurs amateurs, s’y révèlent absolument bluffants de naturel. 

Bourré de trouvailles visuelles, entre montage nerveux et animation graffiti, Kneecap se distingue par une mise en scène ultra-inventive. Ressuscitant l’énergie punk et la drôlerie d’un Trainspotting, Rich Peppiatt s’amuse à dynamiter les codes du genre. Ce Kneecap déborde de partout : de punchlines cinglantes, de tons saturés, de beats survoltés et d’humour bravache. Un chaos qui s’accorde parfaitement au style percutant de Kneecap.

La langue comme arme politique

Mais derrière la comédie décalée et son ton euphorique, Kneecap se révèle tout aussi politique que le propos militant du groupe dont il retrace l’ascension. Les rappeurs irlandais se définissent comme des « Republican Hoods », des bad boys farouchement attachés à la cause républicaine et à l’indépendance de l’Irlande du Nord. Leurs fans ? Des « Fenians », terme longtemps péjoratif, aujourd’hui revendiqué avec fierté par celles et ceux qui partagent leur lutte identitaire. Au cœur de ce combat : la langue irlandaise.

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Le film met en lumière ce trésor culturel longtemps marginalisé, revenant sur une bataille menée depuis des générations pour  sauvegarder le gaélique, le démocratiser et le sortir des manuels scolaires poussiéreux. « Chaque mot d’irlandais prononcé est une balle tirée pour la liberté de l’Irlande », répète ainsi, tel un mantra, le personnage joué par Michael Fassbender. Interdite pendant des siècles après la colonisation anglaise de 1175, la langue irlandaise n’aura retrouvé un statut officiel en Irlande du Nord qu’en 2022. Et elle ne cesse de gagner du terrain : en 2021, 12,4 % de la population nord-irlandaise affirmait la pratiquer.

« En tant qu’amateur de hip-hop old school, j’ai trouvé que la relation de Kneecap avec la langue irlandaise faisait écho à la controverse que les rappeurs afro-américains avaient créé en réinventant la langue anglaise pour refléter leurs propre réalité sociale urbaine et opprimée », explique ainsi le réalisateur Rich Peppiatt.

Son Kneecap est ainsi devenu le premier film en gaélique irlandais projeté à Sundance, où il a d’ailleurs remporté le NEXT Audience Award. Et ce docu-fiction réjouissant, prix du Meilleur premier film britannique aux BAFTA (équivalents britanniques des César), n’a depuis cessé de séduire les festivals à travers le monde (Meilleur film, Prix du Jury jeune et Meilleure musique originale au Festival de cinéma européen des Arcs 2024 par exemple) .

En 2025, le petit groupe de Belfast est définitivement sorti de son ornière locale, s’imposant comme une voix puissante contre l’oppression. Dénonçant par exemple le conflit à Gaza comme un « génocide », assénant un « Fuck Israel/Free Palestine » au dernier festival de Coachella et accusant les États-Unis d’en être complices, Kneecap bouscule, s’indigne et s’élève.

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Des prises de positions fortes qui leur a valu d’être retirés de l’affiche de plusieurs rassemblements musicaux (Southside, Hurricane, Eden Sessions). Leur venue au prestigieux festival britannique de Glastonbury fin juin a même été remise en question. Alors que de nombreux artistes, comme Massive Attack ou Pulp, ont affirmé leur soutien aux Kneecap, les bombes scandées par les trublions irlandais résonnent comme autant d’actes de résistance dans un monde qui bascule du côté obscur.

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