Entretien

[Festival de Cannes 2025] Cédric Klapisch : “Mon histoire familiale a nourri La venue de l’avenir

21 mai 2025
Par Agathe Renac
Abraham Wapler dans “La venue de l'avenir”.
Abraham Wapler dans “La venue de l'avenir”. ©StudioCanal/Colours of Time/Ce qui me meut/Emmanuelle Jacobson Roques

Cédric Klapisch foulera les marches du Festival de Cannes ce 22 mai pour présenter La venue de l’avenir, en compagnie de son casting éclectique et prometteur. Parmi eux : Abraham Wapler, étoile montante du cinéma. On a profité de l’occasion pour échanger avec ce duo joyeux et bienveillant.

La venue de l’avenir nous embarque dans un voyage étonnant, entre deux époques. Qu’est-ce qui a inspiré la création de ce film ?

Cédric Klapisch : J’avais envie de parler de cette époque-là, avant 1900. Ensuite, le défi était de trouver une histoire qui me permettrait d’explorer cette décennie. Ce récit familial s’est imposé assez rapidement et m’a permis de faire le lien entre le XIXe et le XXIe siècle.

Abraham, vous êtes l’un des visages phares de ce film. Ça ressemble à quoi, un tournage à la Klapisch ?

Abraham Wapler : Ça ressemble à ses films : c’est joyeux, traversé par l’art, il y a beaucoup de monde et une ambiance presque familiale. En réalité, Cédric est l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai rejoint ce projet. Je le connaissais depuis quelques années, et c’était juste magique de pouvoir partager cette aventure avec quelqu’un qui inspire autant de confiance et qui a un tel talent. J’ai été canonisé dans le cinéma français grâce à lui, et je ne le remercierai jamais assez pour ça. Dans La venue de l’avenir, il nous donne l’opportunité de défendre des sujets qui lui tiennent à cœur, comme la jeunesse, son regard sur notre époque, sur les réseaux sociaux, sur la quête de soi, de sens et d’amour.

La bande-annonce de La venue de l’avenir.

Le film interroge effectivement la famille, les relations humaines et le lien à travers le temps. À quel point ces thématiques résonnent-elles en vous ?

A. W. : Mon grand-père a des mallettes pleines d’albums et il m’a toujours dit : “Il y a des photos si tu veux les regarder.” Et moi, je répondais toujours : “Oui, oui, bien sûr… Allez, bisou Papi, merci pour les 50 euros”, et je repartais. [Rires] Mais maintenant, je prends vraiment le temps de les regarder. Je me suis beaucoup ouvert grâce au film. Il m’a donné une vraie soif de connaissance sur mes origines, sur l’histoire de mes ancêtres, de mon grand-père et de ma mère. J’ai compris qu’un arbre a besoin de racines pour pouvoir grandir, très haut.

Vincent Macaigne, Zinedine Soualem, Julia Piaton et Abraham Wapler dans La venue de l’avenir.©StudioCanal/Colours of Time/Ce qui me meut/Emmanuelle Jacobson Roques

C. K. : La venue de l’avenir m’a aussi permis de réaliser à quel point l’héritage familial est puissant, même quand on pense pouvoir s’en détacher. Je n’ai jamais connu mes grands-parents, parce qu’ils sont morts durant la guerre. Mon grand-père maternel avait laissé des albums de photos, donc j’ai beaucoup d’images datant d’avant 1943. Durant la post-production du film, je me suis rendu compte à quel point cette histoire familiale – celle de ma mère, qui a perdu ses parents à l’âge de 9 ans – avait profondément nourri ce long-métrage.

Diriez-vous que c’est l’œuvre la plus personnelle que vous ayez réalisée jusqu’à présent ?

C. K. : Je ne pense pas. Je dirais que des films comme L’auberge espagnole et Le péril jeune sont plus personnels. J’ai coécrit le second avec deux copains de lycée, Santiago Amigorena et Alexis Galmot, et on y a raconté nos souvenirs communs de cette époque. L’auberge espagnole est quant à lui lié à mon propre vécu. J’ai fait des études de cinéma à New York, de mes 23 à mes 25 ans. Le film se déroule à Barcelone, mais il raconte l’histoire d’un étudiant français qui part à l’étranger et vit en colocation – exactement ce que j’ai vécu aux États-Unis. J’ai simplement transposé cette expérience dans le contexte de la génération Erasmus, qui est arrivée un peu après moi. Il y a donc des liens très nets avec ma vie.

Vincent Macaigne, Zinedine Soualem, Julia Piaton et Abraham Wapler dans La venue de l’avenir.©StudioCanal/Colours of Time/Ce qui me meut/Emmanuelle Jacobson Roques

Avez-vous déjà imaginé l’histoire et la vie de vos ancêtres ?

C. K. : Très souvent, on s’arrête à l’image, à la photo, mais on ne va pas plus loin. On ne se pose pas vraiment de questions sur nos arrières-grands-parents, et encore moins sur ceux d’avant. Pourtant, je pense que tout le monde se questionne sur ses origines. Moi, je m’appelle Klapisch, c’est un nom polonais, mais je n’ai aucune famille en Pologne. C’est un voyage qui a été fait il y a très longtemps, par mes arrières-grands-parents. Mon nom de famille ne sonne pas comme un nom français typique, alors je m’interroge sur mes ancêtres : pourquoi sont-ils venus ici ? Qu’est-ce qu’ils ont vécu ?

Le film aborde aussi la question de l’héritage : quel est celui que vous aimeriez laisser au cinéma ?

C. K. : Le fait de laisser un héritage serait déjà génial. Aider les autres réalisateurs est sans doute la plus belle chose qu’on puisse faire en tant qu’artiste. C’est un peu l’idée à l’origine de LaCinetek, à laquelle j’ai contribué. C’est une forme de transmission de réalisateur à réalisateur. Quand on demande à un cinéaste – que ce soit Jacques Audiard, Céline Sciamma ou Martin Scorsese – de dresser une liste de films marquants pour lui, ça devient un geste de partage. En découvrant, par exemple, que Scorsese aime le cinéma italien de telle époque, on éclaire d’autres artistes, on ouvre des pistes. Laisser une trace pour ceux qui créent, c’est sans doute le plus beau cadeau qui existe.

Sara Giraudeau et Suzanne Lindon dans La venue de l’avenir.©StudioCanal/Colours of Time/Ce qui me meut/Emmanuelle Jacobson Roques

Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’idée de vous lancer dans un film d’époque ? Quels challenges cela implique-t-il en tant qu’acteur et réalisateur ?

C. K. : J’ai cumulé deux problèmes. D’un côté, il y avait cette narration à deux époques, et c’est très difficile de construire un film avec deux histoires entremêlées. Je suis très content, parce que je pense avoir relevé ce défi. L’autre difficulté, c’était le film d’époque en lui-même. Je ne mesurais pas du tout l’ampleur de cet exercice. Par exemple, la scène où Adèle marche avec ses valises sur le pont Louis-Philippe a nécessité 80 figurants, une armée de coiffeurs, maquilleurs, costumiers, de personnes qui s’occupent des chevaux, des calèches et de la figuration. Tout ça pour une seule prise. Et si on doit la refaire, il faut facilement une demi-heure avant d’enchaîner : replacer tout le monde, mais surtout les chevaux – ils ne peuvent pas reculer, donc il faut leur faire faire le tour du quartier pour revenir au point de départ…

A. W. : Et aussi faire passer les voitures de 2025 avant de reprendre…

C. K. : Sans parler des scènes où il y a beaucoup de trucage numérique et de travail postproduction. Le film d’époque est très compliqué sur plein d’étapes !

Suzanne Lindon dans La venue de l’avenir.©StudioCanal/Colours of Time/Ce qui me meut/Emmanuelle Jacobson Roques

A. W. : Mais en même temps, c’est génial de pouvoir passer d’un siècle à l’autre. Cédric m’a fait un vrai cadeau en me confiant ce rôle. Je ne spoilerai pas l’intrigue, mais, pour moi, c’était un véritable exercice : je devais porter une fausse barbe, une fausse moustache, être habillé avec des vêtements authentiques de l’époque dans laquelle on joue – des vêtements qui sentent le vrai vintage, d’il y a longtemps. Tout change : la posture, le port de tête… Il y avait même une contrainte physique avec la moustache, qui faisait que, naturellement, je parlais peut-être un peu différemment, un peu plus comme en 1870. C’était une expérience exceptionnelle.

Le film sera présenté au Festival de Cannes. Comment appréhendez-vous ce moment et quel regard portez-vous sur cet événement ?

C. K. : Mon scénariste m’a récemment rappelé que la première fois que nous sommes allés à Cannes ensemble, c’était en 1985. C’était il y a 40 ans ! Depuis, je suis allé au Festival plus de 30 fois, parce que c’est un événement important pour moi. En revanche, je n’ai jamais présenté de film là-bas. Donc c’est une fête de me dire que j’ai un long-métrage sélectionné. C’est quelque chose de très joyeux.

A. W. : C’est surtout très joyeux de pouvoir célébrer notre travail et de le partager avec le public. Le fait de pouvoir montrer le film à autant de spectateurs, au Festival de Cannes – qui est, pour moi, l’un des lieux où le cinéma donne à voir ses plus belles œuvres – est un vrai privilège. C’est la récompense de tous les efforts qu’on a fournis.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste