
Après Star Wars, Mission impossible et Star Trek, J.J. Abrams revient là où il a commencé : à la série. Avec Duster, il signe un polar rétro sous haute tension et plonge dans le Phoenix aride des années 1970 avec un FBI raciste, des mafias locales et un duo aussi improbable qu’explosif.
Elle est orange. Deux portes, des bandes noires sur la carrosserie et un moteur qui ne fait pas dans la dentelle. La Plymouth Duster n’est pas qu’un nom de série ou un simple clin d’œil aux nostalgiques des seventies. Dans Duster, elle est un personnage. Omniprésente, grondante, nerveuse, elle fend les paysages poussiéreux de l’Arizona comme Jim Ellis, son conducteur, traverse les marges du crime. Ce n’est pourtant pas une œuvre sur les voitures. Mais difficile de ne pas voir dans ce bolide compact l’icône d’une Amérique en pleine mue.
Du bitume et des cicatrices
Cocréée par J.J. Abrams et LaToya Morgan, Duster fait son arrivée sur Max le 15 mai. Le cadre : sud-ouest des États-Unis, 1972. L’histoire : Nina Hayes, première femme afro-américaine recrutée par le FBI, doit infiltrer et démanteler un réseau mafieux dirigé par Ezra Saxton.

Pour y parvenir, elle enrôle Jim Ellis, chauffeur de fuite émérite, bras droit de Saxton, figure en tension constante entre loyauté, traumatisme et instinct de survie. Il ne s’agit pas simplement de faire tomber un gang : chaque virage de cette histoire soulève la poussière d’un passé trouble, lié à la mort mystérieuse de son frère, oscillant entre violences systémiques, mémoire familiale et guerre froide en arrière-plan.
Le retour aux sources de J.J. Abrams
Après avoir piloté la dernière trilogie Star Wars, J.J. Abrams revient à ce qu’il fait de mieux : la série télé. C’est sur le petit écran qu’il a forgé sa réputation, en réinventant le feuilleton contemporain avec des œuvres comme Alias, Fringe, et surtout Lost : les disparus. Avec Duster, il opère un retour maîtrisé, renouant avec une narration à tiroirs, des personnages à double fond et une tension qui monte scène après scène.

Josh Holloway, alias le mythique Sawyer de Lost, retrouve son mentor dans cette partition taillée sur mesure. Son nouveau rôle a le même flegme, le même sourire malin, la même manière d’en dire peu tout en emplissant le cadre. Mais là où Sawyer était égoïste et manipulateur, Ellis se révèle plus fidèle, instinctif, mû par une forme de loyauté brouillonne. Un homme cabossé qui tente, malgré tout, de faire le bien autour de lui. Face à lui, Rachel Hilson incarne une Nina Hayes aussi combative que stratège, la femme seule contre un système qui ne tolère pas la présence féminine au sein du FBI.
Une esthétique qui crépite
Tout dans Duster respire l’obsession de la reconstitution. Les santiags râpées, les intérieurs tapissés de velours orange, les néons blafards, la chaleur sèche du désert de l’Arizona : la série recrée les années 1970 avec une précision sensorielle rare, un soin apporté aux détails dignes d’un Tarantino.
La bande-son n’est pas en reste. De Sunny de Bobby Hebb à Suspicious Minds d’Elvis, elle enveloppe chaque scène d’une ambiance groovy qui ancre davantage le récit dans son époque. Même le générique, original, donne le ton : celui d’un polar américain porté par une mise en scène contemporaine et un regard neuf sur cette époque fantasmée.
Un duo qui s’apprivoise lentement
Contrairement à ce que pourrait laisser croire le pitch initial, Duster ne s’articule pas immédiatement autour du tandem Jim-Hayes. Leur relation s’installe lentement, faite d’oppositions, de frottements et de méfiance. Les quatre premiers épisodes les maintiennent à distance, creusant plutôt leurs trajectoires individuelles.

Hayes affronte dès son arrivée à Phoenix une hiérarchie blanche et masculine (ou raciste et misogyne), persuadée de la voir échouer dans cette vieille affaire non résolue. Mais l’agente ne lâche rien. Portée par une volonté de fer, elle s’enfonce dans les méandres du réseau de Saxton, qu’elle entend faire tomber coûte que coûte, poussée par une détermination aussi professionnelle que personnelle.
Jim, lui, avance au gré de ses fantômes : la perte d’un frère dans un soi-disant accident, le chantage exercé par Nina qui l’entraîne dans des situations de plus en plus périlleuses, une famille à protéger à tout prix. Ce n’est qu’à partir de l’épisode 5 que leur collaboration prend corps, et l’épisode 6 marque un tournant décisif, liant enfin leurs destins dans l’action.
Une enquête riche en rebondissements
La série n’est pas qu’un exercice de style : c’est un thriller bien mené, qui alterne courses-poursuites, affrontements et rebondissements maîtrisés. Abrams mêle suspense et tension avec brio, tout en glissant, ici et là, une note d’absurde bienvenue, injectant à l’ensemble une dose d’imprévisibilité.

Nuance à souligner : si le dénouement apporte plusieurs réponses inattendues, quelques retournements semblent vouloir ouvrir la voie à une suite – très probable. On la regardera, sans doute. Mais certains twists finaux paraissent un peu faciles. Rien de rédhibitoire pour autant : l’ensemble reste bien tenu.
Sous la poussière, les lignes de faille
En arrière-plan, l’œuvre tisse subtilement un regard sur les tensions sociales de l’époque. Sans les laisser prendre le dessus sur l’intrigue, elle interroge en creux les fractures raciales, l’exclusion systémique et la place des femmes dans une société verrouillée.

Le personnage d’Awan, collègue amérindien de Hayes (interprété par Asivak Koostachin), ou encore celui de la sœur de Jim, salariée dans une entreprise de transport patriarcale, incarnent ces enjeux. Ces lignes de fond traversent le récit sans insistance, portées par des intrigues secondaires qui s’imbriquent et donnent à l’ensemble une cohérence discrète, mais réelle.
Un thriller nerveux qui sort de la route
Duster ne prétend pas révolutionner le genre, mais elle le renouvelle par sa densité, son ambiance et ses audaces narratives. Là où d’autres thrillers avancent en ligne droite, celui-ci zigzague, bifurque, ralentit pour mieux surprendre. Il y a du chaos sous contrôle dans cette mise en scène, une manière très Abrams de tordre les conventions sans les briser.
Ce n’est pas qu’une affaire de flics et de voyous. C’est une série sur une Amérique en friction, sur des identités mouvantes, sur des trajectoires cabossées. Une histoire racontée depuis le bitume, en contre-plongée, dans le sillage d’une voiture orange.