
De retour avec un troisième album intitulé 22:22, Polo & Pan vient de se produire au cœur de l’Olympia durant deux soirées complètes avant d’entamer une tournée mondiale qui passera par le festival de Coachella. Pourquoi cet album est-il est différent des autres ? Et comment appréhendent-ils la portée internationale ? Réponses avec Paul Armand-Delille et Alexandre Grynszpan en loges, quelques heures avant leur show français.
On vous retrouve quelques mois après votre set à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques aux côtés des pionniers de la scène électro française. Avez-vous vécu ce moment comme une validation du milieu ?
Paul Armand-Delille : C’était un honneur, une validation, oui, parce qu’on a été réunis avec une famille de musiciens de la French Touch à laquelle on n’est pas forcément associés au sens de ce que font Pedro Winter, Daft Punk ou certains des groupes qui venaient de la French Touch 1.0.
On a même rencontré des athlètes : on a des vies différentes, mais eux aussi ont des vies extrêmes. On s’est fait des potes. Hier [dimanche 30 mars, ndlr], David Smétanine, un nageur qu’on a rencontré aux Jeux, est même venu au concert.
Cet album marque votre retour, quatre ans après le dernier et un énorme succès. Se lance-t-on dans la création d’un troisième album avec moins de stress quand on a déjà beaucoup tourné à l’international et attiré un large public ?
Alexandre Grynszpan : Il y a toujours une petite pression, parce qu’on veut toujours plus grand, plus ambitieux qu’avant. Il y a pas mal de gens qui nous attendent, qui travaillent avec nous, donc c’est une fourmilière très bien organisée. En dehors de la création et du besoin de se challenger, il faut aussi répondre à des exigences, à la réalité des sorties de l’album.
P. A.-D. : Notre musique s’est transformée. On a pris une pause avant cet album. On a un peu changé et, finalement, on l’a assumé dans notre musique. Donc ce n’était pas forcément facile à ce niveau-là. Mais c’était nécessaire pour nous de nous réactualiser, de proposer quelque chose de différent. Ce n’est pas l’album le plus facile, même si je pense qu’aucun album n’est facile.
La création de cet album a-t-elle commencé différemment des précédents ?
A. G. : Le premier album s’est fait dans notre laboratoire. Personne ne nous attendait, on a créé notre son. Pour le deuxième, c’était un peu plus compliqué, on était pris dans des tournées, on avait beaucoup de choses à faire. Le lieu de création a été délocalisé. Parfois, on produisait tous les deux dans les avions ou à distance dans nos chambres d’hôtel respectives. On s’est dit que, sur ce troisième album, il était nécessaire de revenir au centre névralgique qu’est le studio. Il n’y a pas plus prolifique et plus cathartique que d’avoir une bonne idée ensemble quand on est dans le studio.
P. A.-D. : Après cette pause, on ne voyait pas le disque exactement de la même manière. Avant, on posait un peu des concepts. À la place de faire des storyboards écrits, ce qui était notre manière de bosser, on a créé un gros studio, on l’a fait avec les mains. C’est ce qui nous a permis d’avoir cette évolution dans le son également. On est un peu sorti de l’intellect pour être plus dans l’inconscient.
Vous parlez d’inconscient. A-t-il influencé le choix du titre de l’album, 22:22, une heure miroir ?
P. A.-D. : On l’a trouvé à la fin. Avant, on trouvait les concepts avant. C’est une heure magique, qui reflète la dualité, le changement entre le jour et la nuit.
A. G. : C’est une heure de coïncidence aussi. Quand on voit 22:22, il y a toujours quelque chose de spécial. On se dit que c’est l’heure de faire un vœu. Il y a encore une fois quelque chose qui est intuitif, de l’ordre de la providence, de la coïncidence, et moins de l’intellect. Il y a aussi le passage du jour à la nuit, le recto et le verso de notre vie. 22:22 fait aussi référence à un morceau de l’album, créé avec Antonin et Victoria, appelé 22:23. Les paroles commencent un peu comme des ritournelles de 22:22.
Comment se passent une journée et une nuit en studio avec Polo & Pan ?
P. A.-D. : Il n’y a pas vraiment de journée standard, on travaille de façon différente. Mais c’est vrai qu’on travaille plutôt l’après-midi. Alex est assez nocturne dans son processus créatif. Moi, plutôt diurne. On est monté en puissance avec cet album, on a mis neuf mois à le faire. Et, petit à petit, on a monté le niveau d’exigence, on avait des maquettes, on a resserré avec l’aide du label, en donnant plus de place aux gens autour de nous. En avançant, c’est une manière d’accepter de travailler différemment, de sortir un peu notre ego aussi, d’écouter les autres et de leur faire confiance.
Dans le studio, on avait une grande table et chacun de nous avait une cabine de chaque côté. On se retrouvait au centre, qui était comme une aire de jeu. Ça se passait avec plein de claviers, avec notre assistant qui nous aide beaucoup à travailler vite avec des machines old school.
A. G. : On a aussi décidé de faire des “devoirs à la maison” séparément, jamais pour avancer sur un morceau sans l’autre, mais pour amener plusieurs propositions, plusieurs petits ajouts. Les seules choses qu’on voulait apporter indépendamment ne devaient pas pousser à avancer sur le morceau sans l’autre. On a vraiment compté sur la cohésion qu’on avait au sein du studio.
22:22, c’est peut-être aussi un hommage au miroir : on est deux points de vue différents, avec deux approches de la vie différentes, deux sensibilités différentes. Il faut l’assumer. Je pense que le challenge de ce troisième album était aussi, après tout ce qu’on a vécu ensemble, d’accepter nos différences et d’en faire une force. Pour cela, le troisième album est un beau challenge.
C’est un album qui est une nouvelle fois marqué par beaucoup de collaborations avec des artistes éclectiques : Beth Ditto, Arthur Teboul… Pourquoi aimez-vous tant cet exercice ?
A. G. : On a toujours aimé collaborer. Si on recontextualise, Cyclorama, notre album précédent, est sorti pendant la pandémie. Il était très difficile de collaborer avec les gens parce qu’on a tous été un petit peu isolés et que, malgré une collaboration faite à distance, Tunnel avec Channel Tres, ça a été compliqué. Sur ce troisième disque, c’est naturellement qu’on a fait ces collaborations, parce qu’on a pu et parce que ça s’est fait.
P. A.-D. : On a fait des collaborations dès le premier album, mais on citait moins les groupes : Mexicali et Page isolée (soleil levant) sont des collaborations avec des gens qui jouent des instruments rares. C’est une manière de se renouveler, comme une nouvelle contrainte créative qui consiste à faire rentrer d’autres gens dans notre processus et surtout des personnalités très différentes.
Metronomy, qui est un groupe électro-pop de référence des années 2000-2010, vous a-t-il influencé quand vous cherchiez votre propre ADN à vos débuts ?
A. G. : On est extrêmement fans !
P. A.-D. : On les a vus à Calvi en 2010 quand notre groupe n’existait pas encore, mais qu’on se connaissait déjà. Ce concert a été fondateur. C’est cool de bosser avec quelqu’un qu’on mettait sur un piédestal.
A.G. : Et de travailler avec un groupe qui a fait l’un des meilleurs albums des 20 dernières années à mon sens, English Riviera.
Avez-vous une collaboration de rêve ?
P. A.-D. : On en avait une, qui était Vladimir Cosma. Finalement, on a eu la chance de travailler avec lui, d’aller sur scène au Grand Rex. Sinon, on aime bien le hip-hop, donc j’aimerais bien faire quelque chose avec Snoop Dogg.
A. G. : Et Billie Eilish, je ne serais pas contre.
Vous serez les seuls Français à jouer à Coachella cette année, et pour la seconde fois. Vous y serez les 13 et 20 avril. Que ressentez-vous ?
P. A.-D. : Pour lancer notre troisième album, c’était une envie, un objectif. On a fait un premier Coachella sur une scène découverte. Alors, revenir à 20 h un dimanche soir sur quasiment la mainstage, ce n’est pas rien. On y pense quand on se rase le matin. C’est un show prescripteur de début de saison. C’est très important pour nous de le réussir, car c’est une carte de visite. On a vu que ça l’était sur la dernière tournée. On a envie de tout donner pour assurer qu’on puisse faire une super tournée, donc on a la pression.
A. G. : Cet après-midi, en répétant le show de l’Olympia, on a aussi répété pour Coachella.
Comment expliquez-vous que votre musique plaise tant aux États-Unis, où l’album Caravelle s’est nettement mieux vendu qu’en France ?
P. A.-D. : On a tout de suite eu une vision assez mondiale. On fait de la musique en portugais, en anglais, sud-américaine, et en français bien sûr. Je suis franco-américain. Faire danser les gens est très important pour nous : on a une musique assez digeste, très palpable, au service du public, qui parle à toutes les cultures.
A. G. : Je pense qu’on a aussi eu le choix de faire ou de ne pas de faire des tournées. Quand on était un groupe émergent, on a eu la chance d’avoir des tourneurs et des producteurs qui ont pris un risque en nous faisant tourner. On a fait cinq ou six tournées aux États-Unis, dans les petites villes du Texas, du Colorado, devant 300 personnes, que des Français.
P. A.-D. : On était prêts à faire le sacrifice de tourner dans des conditions un peu rock’n’roll avec juste un technicien, en montant notre matos nous-mêmes.
Comment distinguez-vous les Polo & Pan qu’on écoute sur les plateformes de streaming de ceux qu’on voit en live ?
A. G. : Quand on nous voit en live, on ne fait pas qu’écouter, on voit, on sent. Notre spectacle est une immersion. On revisite nos morceaux avec une scénographie magistrale et des lumières faites par nos équipes. On propose un show.
P. A.-D. : Et donc, sortez de chez vous !