
À l’occasion de la sortie de son album Disco Symphony et de son concert sold-out à la Philarmonie de Paris, L’Éclaireur a rencontré l’un des papes français du disco, Marc Cerrone, afin de revenir sur sa carrière, mais aussi de comprendre les coulisses de cette réorchestration inédite.
L’album s’intitule Disco Symphony, mais qu’est-ce que le disco, selon vous ?
Le disco est un style, pas une mode. Le disco est une musique qui est faite pour le corps, pour s’évader. Il doit vous donner les outils et la clé pour vous lâcher par le ressenti. Le disco est arrivé autour de 1975-1976. Au départ, les night-clubs proposaient de la musique pop qui passait à la radio. Puis, un véritable mouvement s’est mis en place grâce à nos grands frères et nos grandes sœurs qui ont fait la révolution culturelle. Il y a d’abord eu le côté très sexe, peace and love, au début des années 1970. Puis, des bourgeons de la période contestataire, dont j’ai fait partie. C’était une période durant laquelle il fallait éviter de faire ce qui avait déjà été fait. Il fallait donc être innovant, il fallait oser. C’est ça le disco !
« À l’époque, dans les clubs, nous faisions partie des people mais nous étions des people dérangeants. »
Marc Cerrone
Comment avez-vous vécu cette période clé dans les années 1970 ?
Au moment où j’ai commencé, le Studio 54 a ouvert. Il leur fallait donc de la musique ! J’ai finalement composé Love in C Minor, un titre de 16 minutes qui n’était pas à destination des radios, mais bien des clubs. Tout le monde pensait que j’étais fou, mais j’ai fini par me démarquer. Je ne voulais pas que les radios passent ma musique, car elle était à destination des clubs. Plusieurs artistes m’ont samplé pendant 50 ans, mais ma musique est faite pour s’évader dans les boîtes de nuit.
Autre moment clé dans votre carrière, le passage derrière les platines. Comment avez-vous appréhendé cette transition ?
C’est la même chose avec les platines aujourd’hui. On est venu me chercher après le Montreux Jazz Festival, que j’ai eu l’occasion de faire avec mon ami Nile Rodgers. On m’a incité à prendre les platines alors que je faisais déjà de gros concerts. J’ai eu la pression de ce nouveau challenge. Aujourd’hui, quand je fais un DJ set, c’est une heure et demie de voyage à travers lequel je mélange tout. Finalement, je ne suis pas un DJ, car je ne travaille pas avec deux platines en choisissant mes titres. Je travaille avec AppleTune, qui est remplie de sample.
En quoi ce passage à la musique électronique a-t-il influencé votre disco ?
Aujourd’hui, je trouve que le disco est reconnu comme un vrai style musical. Après le Disco Suck de la fin des années 1970, la France a reconnu le disco comme un style et non une mode, ce qui est très important. Cette reconnaissance du disco et de la musique électronique s’est vue notamment pendant les Jeux olympiques, qui a été un très beau cadeau de la vie.
Cet événement a relancé la machine et ça m’a permis de m’adresser à une nouvelle génération, la jeune génération d’aujourd’hui. Si vous allez sur Internet ou sur mes réseaux sociaux, les gens qui me suivent ont entre 18 et 35 ans. Ce mouvement de jeunesse à travers le monde est incroyable.

Qu’est-ce que ça vous fait de parler à cette nouvelle génération aujourd’hui ?
J’ai l’impression de m’être toujours adressé à cette jeune génération, même durant les années 1970. J’ai toujours eu cette connexion, car qui allait en boîte à l’époque ? Les jeunes ; celles et ceux qui allaient dans les clubs, celles et ceux qui aimaient sortir. À cette époque, on parlait de drogue, de sexe, puis la communauté gay, aussi, est arrivée sur le dancefloor. Aujourd’hui, j’ai cette même sensation avec les plus jeunes qui viennent me voir. On sent qu’ils ne viennent pas simplement voir un concert, c’est une expérience. Je remarque aussi que les femmes d’aujourd’hui n’en ont rien à faire du regard de l’autre. C’est très fort !
Vous évoquez les clubs. Quel souvenir gardez-vous de cette époque au Studio 54 ?
C’est marrant, car j’ai une petite anecdote à ce sujet. Je me souviens qu’au Studio 54, où j’ai joué et où j’ai passé beaucoup de temps, il y avait, comme dans tous les clubs, le carré VIP. Or, qui met-on dans ces espaces ? Les gens connus et les people ! À l’époque, nous faisions partie des people, mais nous étions du people dérangeants, avec Warhol, avec Basquiat… Des fouteurs de merde. Je me souviens que les musiciens me regardaient comme un charlatan alors que j’avais tout de même fait partie du groupe Kongas, avec lequel j’étais parti aux États-Unis et au Japon.
Parlons maintenant plus particulièrement de l’album, Disco Symphony. Pourquoi avoir fait le choix de la réorchestration ?
J’ai vraiment mené ma carrière sans penser que ça allait durer aussi longtemps. Je pensais que ça allait passer en quelques mois à l’époque. Je dirais que le choix de la réorchestration est avant tout une opportunité qui s’offrait à moi. J’ai toujours fonctionné ainsi à travers ma carrière, et ça continue aujourd’hui. Je n’avais jamais pensé, avant Disco Symphony, à sortir un album de ce calibre. On est venu me chercher.
La ville de Nice propose des adaptations de catalogue qui s’appellent C’est pas classique, à l’occasion desquelles un orchestre reprend les plus grands tubes de Bowie, de Prince ou de Gainsbourg… On m’a proposé de reprendre mon catalogue aux côtés du compositeur Randy Kerber, un sacré artiste que je connais depuis longtemps. En plus de cette réorchestration, il y avait donc le plaisir de travailler ensemble.
Je pensais que ce serait un one-shot mais en fait cette première idée de concert a amené plein de choses. À l’époque, on est en 2023, je suis approché pour faire cette orchestration de catalogue. Au même moment, je rencontre Victor Le Masne, avec qui je sympathise, et qui est en train de réfléchir à la cérémonie d’ouverture des JO.
Il est batteur, comme moi ; on discute musique, on échange et je lui fais écouter la réorchestration sur laquelle je travaille pour le concert à Nice. Quand je lui fais écouter Supernature, il n’en croit pas ses oreilles. Ce que je ne savais pas au moment de lui faire écouter ce morceau, c’est qu’il allait me proposer Give me Love au sommet de la tour Eiffel… Chaque projet en amène un autre, finalement.

Comment avez-vous dirigé et imaginé cette réorchestration ?
Nous n’avons pas vraiment changé les arrangements, je voulais que la matière reste, qu’on la sente. Même à l’époque, il y avait des cordes, mais je les avais traitées d’une certaine manière. Je voulais des traitements à la Barry White. Les cuivres qui normalement ne se mariaient pas, je les ai traités aussi. J’ai voulu vraiment garder cette texture.
S’est posée forcément la question de Supernature, qui est un tube électro. Je me suis demandé comment allaient faire les musiciens. Je ne peux pas leur demander de croiser les bras. On est donc parti dans des arrangements façon années 1970, en m’inspirant aussi d’Hans Zimmer, qui est un grand compositeur de musique de film. On a encore une fois voulu faire voyager les gens. Je ne voulais pas être trop à la batterie aussi, car ça signifiait que j’accompagnais les musiciens. Je voulais faire ce que j’avais envie de faire. Le concert s’est très bien passé et a débouché sur cet album que nous avons travaillé en Angleterre avec le Scoring Orchestra.
Non seulement vous travaillez au projet et à l’instinct, mais vous travaillez aussi sous une forme de pression, non ?
Toujours sous la pression ! Ça a toujours été comme ça. J’ai besoin d’être dans la dynamique et l’effervescence.
Grâce à ce concert symphonique et cet album, avez-vous pu redécouvrir et appréhender différemment vos œuvres originales ?
Complètement, de la même manière que les platines m’ont fait revisiter mes œuvres et permis d’explorer de nouvelles choses. Cette redécouverte est constante. Prenez ce que j’ai fait avec Laylow, il y a quelques années, on a exploré et redécouvert plein de choses. Ensemble, on a ouvert le spectre, on a bougé les règles et on a fait ce qu’on ne pouvait pas faire. L’idée avec ce projet et les autres, d’ailleurs, c’est de ne pas rentrer dans des cases. Sans faire passer un message, loin de là, l’idée est de ne pas formater un type de musique ou un artiste. En termes d’appréhension, disons que je n’appréhende rien. En revanche, ma sphère artistique ne cesse de me combler de surprises.
« Le jour où je ne suis plus sur scène, j’arrête. »
Marc Cerrone
Quel titre avez-vous pu redécouvrir et qui vous a surpris avec cette réorchestration ?
Aujourd’hui, c’est vrai que Supernature ou Give me Love ont leur propre vie. J’ai vraiment appris à redécouvrir Je suis music. On ne me parle que de ça, je reçois d’ailleurs beaucoup de remix. C’est un titre qui est aujourd’hui à la mode. Ça donne une nouvelle vie à ce titre à travers mon catalogue qui est assez large !

Vous allez donner un concert inédit à la Philharmonie de Paris pour la sortie de l’album et le lancement de l’exposition Disco, I’m Coming Out. Comment vivez-vous la scène ?
J’ai toujours fait de la scène, même lorsque je tournais avec Kongas. Je ne pense jamais à sortir un album, car ma musique, je la pense avant tout pour la scène. J’ai quasiment toujours fait des albums de contenus qui venaient de la scène. C’est l’arrivée de Supernature et des Grammy qui a changé la donne. Malgré cela, je continue de raisonner comme ça aujourd’hui.
La scène doit-elle donc inspirer le studio ?
Le jour où je ne suis plus sur scène, j’arrête. La symphonie a eu un tel succès qu’on s’est dit qu’on allait en faire un album ; ça nous paraissait logique. Pour un artiste qui vient des années 1970, ça me paraît logique d’être sur scène, puis d’offrir ce qu’on a offert sur scène dans un album. C’est comme ça que ça doit fonctionner. On ne fait pas un disque pour l’envoyer sur scène par la suite. C’est sur scène qu’on voit un artiste, car il s’agit aussi de communiquer avec le public pendant une vraie performance. Il faut qu’il y ait de l’échange et de la séduction. Ce public-là, on ne l’aura qu’une fois. De toute façon, tous les artistes qui existent ou ont existé grâce à des hits ne sont pas restés longtemps. Ce sont des étoiles filantes. [Rires]
Vous qui connaissez l’industrie musicale depuis des années et qui avez été témoin et acteur de l’évolution de la musique électronique, quel regard portez-vous sur celle-ci aujourd’hui ?
Moi qui viens d’une époque où il fallait tout faire pour se démarquer, je remarque qu’aujourd’hui tout est uniformisé. Cependant, la musique d’aujourd’hui s’est nourrie de disco, pas par le son, mais par l’atmosphère qui s’en dégage et ce qu’elle a besoin de donner. Aujourd’hui, la jeunesse a envie de groover et pour cela elle passe par la musique électronique en général, que ça soit le disco, la house ou bien la techno. Cette nouvelle génération veut ressentir des choses et écouter la musique avec le corps. C’est à ces gens-là que je parle.

Après l’album et le concert à la Philharmonie, quels sont vos prochains projets ?
J’ai plein de collaborations qui arrivent. J’ai une collaboration avec Purple Disco. J’ai aussi rencontré Christine and the Queens. On a fait des choses qui sortent au printemps et j’ai hâte de les présenter. Ça va encore être des univers nouveaux et différents. C’est vraiment une très grande artiste, d’autant plus que je n’ai pas beaucoup travaillé avec des Français !