Entretien

Yoa : rencontre avec la sensation pop française de 2025

12 février 2025
Par Benoît Gaboriaud
Yoa : rencontre avec la sensation pop française de 2025
©Colin Solal Cardo

Après trois EP prometteurs, la chanteuse Yoa dévoile La favorite, un premier album très attendu au titre qui lui sied à merveille, d’autant qu’elle est nommée aux Victoires de la musique 2025 dans les catégories Révélation féminine et Révélation scène. L’Éclaireur est allé à sa rencontre pour évoquer son ressenti à quelques jours de la cérémonie et parler de ce projet savoureux qui la hissera, peu importe le verdict, au rang des favorites de la pop française.

En 2021, Yoa débarquait sur la scène française avec un premier EP intitulé Attente, comme pour nous faire signe de patienter. Plus tard, Chansons tristes (2022), Nulle (2024) et enfin La favorite (2025) sont venus confirmer tout le bien que nous pensions de la chanteuse franco-suisse de 26 ans. Dotée d’une plume crue et hyperréaliste, entre Billie Eilish et Kacey Musgraves, mais aussi d’un sens du rythme oscillant entre hyperpop, reggaeton, bossa, afropop et techno, l’autrice-compositrice-productrice cérébrale aborde, dans ses textes truffés de punchlines bien senties, des thèmes comme la santé mentale, l’amitié ou l’amour de manière anticonformiste, mais en écho à sa génération – qu’elle décrit si bien.

Après trois EP très remarqués, vous dévoilez enfin votre premier album, intitulé La favorite. Quelle est la genèse de ce projet très éclectique ?

Initialement, je n’avais pas en tête de réaliser un disque. Je souhaitais juste continuer à sortir des chansons au fil du temps et au gré de mes envies, mais le concept d’album reste un passage obligé pour les médias et l’industrie musicale. Un peu poussée, je me suis donc mise à la tâche et j’ai adoré ! Ça a été long, drôle, parfois chaotique, souvent douloureux, mais personne n’est mort en route ! [Rires]

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Vous vous prédestiniez à une carrière de comédienne de théâtre. Finalement, vous avez atterri dans la musique. Comment s’est faite cette transition ?

Je savais que je voulais me produire sur scène. Je me suis donc orientée vers le théâtre. Quelle ne fut pas ma déception ! J’ai beaucoup souffert de discriminations en raison de ma couleur de peau. Lors de castings, on m’a très clairement dit que ça ne marchera pas parce que je suis black ! Ça m’a vite agacée. Pendant le confinement, je me suis mise à écrire des chansons dans mon coin, puis de manière un peu plus professionnelle, sans savoir trop où ça me mènerait. Finalement, ça m’a conduite à vous ! [Rires]

Et aux Victoires de la musique… Vous êtes nommée dans les catégories Révélation féminine et Révélation scène avant même que votre premier album soit sorti. Quel est votre ressenti ?

Qu’est-ce que je peux dire ? C’est super ! C’est une belle reconnaissance de la part de la profession. Je ne m’y attendais pas. Tout le monde dit ça, mais je suis sincère, car, comme vous l’avez dit, l’album La favorite n’était pas sorti au moment des nominations. C’est déjà une victoire, d’autant que je suis entourée de Solaan et Styleto que j’adore. Il m’est évidemment arrivé de remercier l’assemblée devant ma glace, mais je sais encore faire la part des choses, entre ces nominations et la réalité de la vie. 

Le titre de l’album est une référence au film de Yórgos Lánthimos La favorite (2018). Pourquoi ce choix ?

La chanson ne parle pas directement du film, mais il m’a énormément influencée et accompagnée pendant la création de l’album. Naturellement, je me suis identifiée aux deux personnages interprétés par Rachel Weisz et Emma Stone, deux courtisanes à la cour de la reine d’Angleterre, au 18e siècle. Rivales, elles s’affrontent pour rester la favorite de la reine. Être la favorite est une place instable par excellence. Elle n’est jamais acquise pour toujours. Pour y accéder et sauver sa peau, il faut savoir se prêter aux jeux de pouvoir et bien manipuler son entourage.

La chanson parle de là où je me suis située tout au long de ma vie. J’ai toujours eu l’impression de grandir en décalage. Je viens du 6e arrondissement de Paris, un quartier très bourgeois, alors que mes parents ne le sont pas. Nous n’avions pas toujours l’argent pour payer le loyer à la fin du mois. J’étais métisse dans un quartier super blanc. Tout cela a alimenté cette chanson en particulier, puis tout l’album en général, et a fait qui je suis.

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Vous êtes aussi une jeune femme de 26 ans qui aime danser, comme vous l’avez mentionné sur la scène de l’Hyper Weekend Festival en janvier dernier. Cette passion a-t-elle influencé la composition de l’album ?

J’adore danser, mais quand j’écris une chanson, j’essaie de ne pas trop me laisser influencer par mon envie de performer sur scène. Une bonne chanson en live n’est pas toujours une bonne chanson de studio. À l’inverse, une bonne chanson de studio peut être modifiée pour le live, en la rendant plus uptempo. Mais en effet, pour le titre Mes copines, je n’ai pas pu résister, je l’ai tout de suite pensée pour danser.

Dans Les grandes chansons, vous leur reprochez la manière très standardisée dont elles parlent d’amour. Quelles sont celles qui vous ont inspirée ?

Mes deux parents ne sont pas français, mon père est suisse et ma mère camerounaise, je n’ai donc pas grandi en écoutant les grandes chansons françaises. Je les ai découvertes à l’adolescence. J’aime beaucoup Michel Polnareff, Barbara et Léo Ferré. Mais, pour moi, les chansons françaises ont un rapport au romantisme un peu désuet et assez malsain. On y punit la tromperie et on est prêt à y mourir par passion. Pour moi, ce n’est pas ça l’amour. Je préfère celles qui proviennent de la pop internationale, qui me paraissent plus justes.

Je pourrais vous parler pendant des heures de Como un G de Rosalía, qui signifie “Comme un gangster”. Elle y parle de rupture en s’adressant à son ex. Elle lui dit qu’elle ne lui doit rien et vice-versa. Il n’y a que l’amour qui rachète l’amour. Je trouve ça très sain et pur. Pour moi, c’est ça le romantisme, inutile de tomber dans des travers. Je ne suis pas fan du romantisme défini par l’imaginaire collectif qui aboutit souvent à une forme de toxicité. J’invite tout le monde à écouter cette chanson et à en lire les paroles qui sont d’une grande modernité.

Dans cet album, il est souvent question de santé mentale. Pourquoi est-ce un thème qui vous tient particulièrement à cœur ?

Aujourd’hui, ça n’a rien d’exceptionnel d’écrire sur la santé mentale, tout le monde le fait, et c’est très bien ainsi. Depuis cinq ans, les mentalités ont énormément évolué sur ce sujet. Dans mon entourage, je ne connais pas une seule personne qui ne va pas voir un psy. En revanche, de la génération de mes parents, je n’en connais aucune. Je trouve ça dommage.

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Une chanson s’intitule 2013. Pourquoi avez-vous souhaité vous arrêter spécialement sur cette année-là ?

Je ne suis pas du genre à dire que c’était mieux avant. Je suis fière de ma génération. Je la trouve très courageuse, drôle, intelligente, investie et informée, ce qui n’était pas le cas quand j’étais au lycée. Maintenant, les lycéens sont beaucoup plus politisés, au fait de ce qui se passe dans le monde. En 2013, j’avais 13 ans. C’est le moment de ma vie où j’ai commencé à m’affranchir de la culture et des traditions familiales pour me créer ma propre culture.

Cette année-là a été très riche, à tous les niveaux, émotionnel et amical. J’ai rencontré toutes mes copines actuelles, à qui je dédie la chanson Mes copines, d’ailleurs. Je me suis aussi façonnée telle que je suis grâce à mes lectures, à des séries ou des films que je regardais, et surtout à la musique que j’écoutais, comme Soko, The Dø, Odezenne, Fauve énormément, Flavien Berger ou Christine and the Queens. Adolescente, j’ai été profondément marquée par la série Twin Peaks (1990) de David Lynch qui a changé ma vision du monde et mon rapport à la liberté, comme tous les gens qui l’ont regardée, je crois. 

La favorite est assez synthétique, mais très hétérogène, tour à tour éthéré et énergique. Est-ce délibéré ?

J’ai à la fois la chance et le handicap de ne pas savoir ce que je veux en matière de musique. Je n’ai rien intellectualisé. J’ai un rapport à la musique très instinctif. Je suis moi-même incapable de définir la mienne. Je peux juste dire qu’elle me ressemble et qu’elle est imprégnée de toutes les influences dont nous avons parlé, et de celle de Billie Eilish, artiste pour qui j’ai un grand respect.

Longtemps, j’ai pensé que c’était une faiblesse, mais en réalité, je me rends compte à quel point c’est une force ! Je suis libre. L’album part dans tous les sens, en termes d’influences et de sonorités. Il est la somme de tout ce que j’aime.

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