Critique

La vie portera ses fruits : un k-drama qui explore la douleur du renoncement

07 mars 2025
Par Sarah Dupont
“La vie portera ses fruits”, le 7 mars 2025 sur Netflix.
“La vie portera ses fruits”, le 7 mars 2025 sur Netflix. ©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

Plus qu’une simple romance, cette production sud-coréenne retrace le parcours d’une jeune femme déterminée à s’émanciper dans une société en pleine mutation.

L’île de Jeju possède un pouvoir d’envoûtement rare. Ce territoire insulaire sud-coréen contraste avec la frénésie de Séoul, offrant un rythme de vie bercé par les vents marins et imprégné de traditions ancestrales. Parmi elles, les haenyeo – ces plongeuses qui arpentent les fonds marins sans équipement moderne – incarnent une résilience remarquable, reconnue par l’Unesco. Un décor rêvé pour une série.

Netflix l’a bien compris : après Retour à Samdal-Ri, une romance douce-amère explorant les retrouvailles d’un couple sur cette île à la fois majestueuse et austère, la plateforme revient sur Jeju avec La vie portera ses fruits. Cette fois, exit la légèreté des comédies sentimentales et place à une fresque historique, portée par un budget d’environ 40 millions d’euros, avec de beaux décors et des costumes d’époque. Comptant 16 épisodes, la série s’annonce ambitieuse, ancrée dans un passé révolu. Nous avons visionné les quatre premiers, et voici ce que l’on en retient.

Entre nostalgie et douleur sociale

L’histoire commence dans les années 1960 et suit le destin d’Ae-soon (interprétée par Lee Ji-eun, alias IU), une jeune femme rebelle qui rêve d’un avenir loin des carcans qui l’enferment. Son opposé, Gwan-sik (Park Bo-gum), est d’une douceur rare, discret, mais résolu, éperdument amoureux d’elle. Leur relation, tiraillée entre amour et ambitions contrariées, est au cœur du récit.

La vie portera ses fruits©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

Mais La vie portera ses fruits ne se limite pas à un simple mélo romantique. Derrière l’histoire d’Ae-soon, c’est toute une réflexion sur la misère économique et sociale de l’époque qui se dessine. Après un générique aux couleurs chaleureuses et une chanson empreinte de mélancolie, la série nous plonge dans un quotidien rude, implacable. La première scène, accompagnée de Yesterday des Beatles, contraste avec l’amertume qui imprègne la suite : une jeunesse qui rêve, mais que l’histoire contraint.

Une réalisation léchée

La mise en scène saisit avec justesse l’essence de l’époque. À travers la relation entre Ae-soon et sa mère, le scénario esquisse un lien fusionnel, nourri de reconnaissance et de respect. Mais cette connexion, une fois brisée, laisse la jeune femme à la dérive, ballottée entre des proches qui ne voient en elle qu’un fardeau. Orpheline, méprisée de tous, elle se heurte à une violence sociale implacable, tandis que son rêve d’étudier la littérature s’éloigne inexorablement.

La vie portera ses fruits©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

Ce rejet familial illustre une problématique toujours ancrée en Corée du Sud : l’emprise du statut socio-économique sur les trajectoires individuelles, surtout celles des femmes. Dans une société où l’ascension sociale reste un combat de chaque instant, Ae-soon incarne un dilemme universel : doit-on s’accrocher à ses rêves ou se résigner à la voie que d’autres ont tracée pour nous ?

Un amour contrarié, mais captivant

Face à elle, Gwan-sik, d’une bienveillance infinie, apparaît comme un contrepoint lumineux. Rarement un personnage masculin aura été aussi en retrait dans un k-drama, sans jamais sembler fade. Dans les premiers épisodes, il aime Ae-soon avec une patience désarmante, se tient à ses côtés sans jamais entraver sa liberté. Mais cette dévotion frôle l’irréalisme, tant son abnégation paraît sans limites, au point de faire d’Ae-soon une héroïne ingrate.

La vie portera ses fruits©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

L’histoire d’amour, loin des clichés du slow burn classique des k-dramas, oscille entre proximité et éloignement incessants. Ils s’aiment, se perdent, se retrouvent. « Un premier amour est invincible », lance un personnage dans le troisième épisode. Une phrase qui encapsule parfaitement leur relation : inévitable, mais par moments douloureusement incertaine.

Une toile de fond historique

Si la romance demeure au cœur du récit, La vie portera ses fruits puise aussi sa force dans son ancrage historique. En toile de fond, la série dépeint une Corée du Sud en pleine mutation après la guerre, marquée par le coup d’État du 16 mai 1961 qui propulse Park Chung-hee au pouvoir, amorçant à la fois une modernisation économique et une répression politique.

La vie portera ses fruits©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

Dans un pays ravagé par la pauvreté et les tensions sociales, chaque choix devient une question de survie. Le combat d’Ae-soon pour s’extraire de sa condition résonne ainsi avec celui d’une nation cherchant à se reconstruire.

Un titre évocateur, mais une traduction trompeuse

Le titre original, 폭싹 속았수다, peut se traduire par « Merci pour votre travail acharné », une expression locale de Jeju. En choisissant La vie portera ses fruits, la traduction française s’oriente vers une vision plus poétique, mais perd une part de la dure réalité du propos. Car la série ne traite pas uniquement de l’espoir, mais surtout du prix à payer pour s’extraire d’une condition imposée.

La vie portera ses fruits©Yoo Eun-mi/Netflix 2025

Netflix signe ici une belle production, portée par une réalisation soignée et une profondeur dramatique bien au-delà des romances habituelles de son catalogue. Le show explore la douleur du renoncement et la façon dont elle se transmet de génération en génération, comme un héritage inévitable. Reste à voir si elle saura maintenir cette intensité sur la durée, sans s’enliser dans la redondance de ses enjeux amoureux.

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