Actu

Le tatoueur d’Auschwitz : entre devoir de mémoire et mise en fiction de l’horreur

20 janvier 2025
Par Sarah Dupont
“Le tatoueur d'Auschwitz”, le 22 janvier sur M6.
“Le tatoueur d'Auschwitz”, le 22 janvier sur M6. ©Martin Mlaka / Sky UK

Adaptation du livre d’Heather Morris, la mini-série Le tatoueur d’Auschwitz, diffusée mercredi 22 janvier sur M6, nous conte l’histoire d’amour de deux prisonniers dans un camp. Une œuvre qui divise la critique, rejoignant les historiens sur les limites de la fiction face à la représentation de l’Holocauste.

Inspirée d’une histoire vraie, cette mini-série en six épisodes s’appuie sur le témoignage du survivant Lale Sokolov. Portée par Jonah Hauer-King (La petite sirène), Anna Próchniak (Yellowjackets) et Harvey Keitel (Reservoir Dogs), la production allie ambition artistique et devoir de mémoire en relatant une histoire d’amour au cœur de l’horreur. Mais en reconstituant le quotidien d’Auschwitz-Birkenau, elle ravive aussi le débat sur la représentation de la Shoah en fiction.

Une histoire d’amour née dans l’horreur

En 1942, Lale Sokolov, un Juif slovaque, est déporté à Auschwitz-Birkenau. Assigné au poste de tatoueur, il grave les numéros matricules sur les bras des déportés. C’est ainsi qu’il rencontre Gita, dont il tombe immédiatement amoureux. Malgré les atrocités et les dangers, un lien se tisse, Lale trouvant dans cet amour une raison d’espérer et de survivre.

©Martin Mlaka / Sky UK

Des décennies plus tard, Lale, désormais octogénaire, raconte son histoire à Heather Morris, une jeune écrivaine. Ces entretiens, débutés en 2003 à Melbourne, ont donné naissance à un roman vendu à plus de 13 millions d’exemplaires. Si les grandes lignes du récit sont véridiques, l’œuvre de Morris, comme la série, prend des libertés narratives, un choix qui a divisé critiques et historiens.

Une fiction controversée

Certains, comme CNN, ont apprécié la manière dont cette œuvre parvenait à capturer « l’horreur de cette expérience tout en dévoilant des éclats de grâce à travers la survie de son narrateur ». Le média salue aussi la performance d’Harvey Keitel pour le rôle de Lale Sokolov âgé.

©Martin Mlaka / Sky UK

Mais derrière ces éloges se dessinent des réflexions plus profondes, soulevant la question de la représentation de la Shoah à l’écran. The Guardian s’interroge : peut-on véritablement « dramatiser l’indicible » ? Le quotidien estime que réduire l’Holocauste à une fiction qui mêle héroïsme, suspense et coïncidences revient à trahir la singularité de cette horreur historique.

« Auschwitz ne saurait divertir », souligne-t-il, pointant la difficulté de restituer cette réalité sans en atténuer la gravité. Les éléments romanesques, tels que le coup de foudre entre Lale et Gita, sont jugés déplacés, voire problématiques.

Télérama, plus sévère, dénonce une approche « racoleuse indécente » qui instrumentalise le contexte concentrationnaire comme toile de fond d’une grande histoire d’amour. L’évocation frontale des tortures et des exécutions sommaires, dépourvue de nuance, alimente selon le magazine une réflexion sur la légitimité même de représenter l’Holocauste en fiction. Cette critique s’inscrit dans le prolongement des questionnements de Claude Lanzmann, réalisateur de Shoah, pour qui la représentation de l’indicible par la fiction frôle nécessairement l’obscénité.

Participer au devoir de mémoire ?

De son côté, Ouest-France adopte une position plus nuancée. Tout en partageant les interrogations de ses confrères sur la représentation fictionnelle des camps de la mort, le quotidien reconnaît à la série une sincérité portée par un véritable devoir de mémoire, malgré une intensité émotionnelle difficile à soutenir.

Les scènes se déroulant à Auschwitz, aussi éprouvantes soient-elles, interrogent sur les choix moraux imposés par l’instinct de survie. La critique souligne que la production parvient, malgré ses limites, à refléter la dualité de la condition humaine : aimer au cœur de l’horreur.

©Martin Mlaka / Sky UK

Entre émotion et controverse, Le tatoueur d’Auschwitz illustre les défis que rencontre la fiction lorsqu’elle s’empare de l’Histoire. Peut-on reconstituer l’indicible sans risquer de le dénaturer ? Et jusqu’où la fiction peut-elle prendre des libertés sans trahir la mémoire ? Des questions qui rappellent que transmettre l’Histoire demeure un exercice essentiel, toujours périlleux.

À partir de
7,90€
Voir sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par