Décryptage

Unpopular opinion : pourquoi Agatha Harkness est la sorcière la plus cool du petit écran

18 septembre 2024
Par Marion Olité
“Agatha All Along”, le 18 septembre sur Disney+.
“Agatha All Along”, le 18 septembre sur Disney+. ©Marvel Studios

À vos balais, witches ! Quelques semaines avant Halloween, Marvel lance la saison des sorcières avec Agatha All Along, savoureux spin-off de WandaVision à binger sur Disney+. Sorcière aussi méchante que charismatique du MCU, Agatha Harkness, incarnée par l’irrésistible Kathryn Hahn, méritait amplement sa série.

Avec son titre clin d’œil à la scène de comédie musicale de l’épisode 7 de WandaVision (2021), qui révélait l’identité de la véritable némésis de Wanda Maximoff, Agatha All Along annonce la couleur. Créée par Jac Schaeffer, cette nouvelle production prend place trois ans après les événements de la série mère (écrite par la même showrunneuse). Vaincue par la sorcière rouge, Agatha Harkness se retrouve piégée à son tour dans la ville de Westview, où elle se prend désormais pour une flic coriace en pleine enquête.

Dans son premier épisode, le show parodie avec bonheur True Detective, le polar culte de HBO. Réveillée grâce à Teen, un mystérieux adolescent gothique (joué par Joe Locke, révélé dans Heartstopper), Agatha se lance en quête de ses pouvoirs perdus sur la route des sorcières. Pour en affronter les dangers, elle doit créer un coven (un groupement de sorcières) qu’elle est évidemment prête à trahir à tout moment.

Dans la lignée des meilleures sorcières Disney

Apparue pour la première fois dans les comics des années 1970, Agatha Harkness a connu plusieurs vies. Âgée de plus de 10 000 ans, elle a d’abord été une super-nounou, puis une mentor pour Wanda, avant d’être brûlée par ses propres petits-enfants sur le bûcher de Salem (une longue histoire, qui ne sera pas racontée de la même façon dans la série), puis ressuscitée et rajeunie.

©Marvel Studios

Ses origines sont particulièrement mystérieuses, mais on sait qu’elle tire son pouvoir incommensurable de l’énergie ambiante et d’une déesse de la sorcellerie, mais aussi du Darkhold, une entité maléfique qu’elle a absorbée. Une chose est sûre : quand elle a ses pouvoirs, Agatha est capable de faire des choses extraordinaires, comme manipuler le temps ou se téléporter.

Aussi drôle et puissante que Madame Mim dans Merlin l’enchanteur, aussi sarcastique et bonne chanteuse qu’Ursula dans La Petite Sirène, aussi dramatique et impressionnante que Maléfique dans La Belle au bois dormant, le personnage d’Agatha Harkness a tout d’une sorcière Disney au sommet de sa forme.

©Marvel Studios

Car une bonne méchante peut (doit ?) aussi nous faire rire. Et son interprète, Kathryn Hahn, s’en donne à cœur joie. À l’aise quand il s’agit de pousser la chansonnette (Agatha All Along contient un hit en puissance, The Ballad of the Witches’ Road), de faire des clins d’œil face caméra ou d’exploser dans un rire maléfique dont elle a le secret, l’actrice possède un timing comique imparable. Elle est née pour incarner Agatha Harkness.

Sur le tapis rouge de l’avant-première de la série à Londres, la showrunneuse Jac Schaeffer expliquait que « contrairement à d’autres personnages du MCU, qui ont un rapport ambivalent à leurs désirs, Agatha n’est pas dans la confusion. Cette femme recherche le pouvoir, elle est prête à tout pour ça, quitte à vous blesser, et c’est très fun à écrire. » Finalement, Agatha All Along nous permet de retrouver cet aspect « méchant » du personnage, égoïste, drôle et sans foi ni loi.

Mais la minisérie donne aussi à Kathryn Hahn l’opportunité d’explorer une facette plus humaine et torturée de la sorcière, hantée par son passé. Dans l’obligation de recruter ses semblables pour former un coven, Agatha va se retrouver dans la position de la mentor. Derrière ses sourires narquois et son apparent détachement se cache une personnalité bien plus complexe, une anti-héroïne avec ses failles, qui pourrait bien nous surprendre.

La revanche des sorcières “vieilles et méchantes”

Les sorcières et le petit écran, c’est une histoire au long cours qui épouse celle des mouvements successifs d’émancipation des femmes. Sitcom des années 1960, Ma sorcière bien-aimée (à laquelle WandaVision rend hommage) nous présentait une sorcière « domestiquée », aux petits soins pour son mari. Plus tard, dans les années 1990, les sœurs Halliwell de Charmed faisaient appel au « Pouvoir des trois » pour combattre des démons souvent masculins, tout en cherchant désespérément l’amour et la validation masculine dans chaque épisode.

©Warner Bros.

À la même époque, les adolescentes grandissaient avec d’autres figures de gentilles sorcières comme Sabrina, l’apprentie sorcière, ou Willow et Tara dans Buffy contre les vampires. C’est l’époque du girl power : les personnages féminins ont le droit de tenir le haut de l’affiche, tant qu’elles sont douces et sexy.

Depuis 2017 et la dernière vague féministe, la figure de la sorcière a de nouveau muté, et Agatha Harkness a pu sortir de l’ombre, jusqu’à avoir sa propre série. Les « gentilles » sorcières des années 1990 ont laissé leur place à des représentantes plus mordantes. Puissante, intelligente, bisexuelle (son love interest, Rio Vidal, est joué par l’imprévisible Aubrey Plaza), Agatha a de quoi épouvanter le male gaze (le regard masculin) et le patriarcat.

©Marvel Studios

Si son âge reste un mystère bien gardé, Kathryn Hahn a soufflé ses 51 bougies. Alors, certes, elle en paraît dix de moins… Mais il y a encore quelques années, l’idée de créer une série Marvel portée par un personnage féminin « dans la force de l’âge » n’aurait sans doute pas dépassé le brainstorming en writer’s room.

La sorcière Agatha Harkness est aussi à rapprocher de la figure de la « childless cat lady« , ou la « femme à chat sans enfant » (dans les comics, elle a bien un fils, mais qui tente de la tuer), une représentation des femmes célibataires ayant dépassé la trentaine, honnie par la société et récemment vilipendée par le sénateur républicain JD Vance (colistier de Donald Trump pour l’élection présidentielle américaine).

©Marvel Studios

Comme le rappelle Mona Chollet dans son essai culte, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, la figure de la sorcière a été instrumentalisée par l’Église catholique pour justifier un féminicide de masse au Moyen-Âge. Des premiers contes aux dessins animés Disney, en passant par Hollywood, elle a longtemps fait figure de repoussoir dans la pop culture, avant que les féministes ne se la réapproprient dès les années 1970. Agatha All Along joue avec bonheur avec cet archétype ancré dans l’inconscient populaire.

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Dans le premier épisode, Lilia Calderu lance à Agatha : « C’est à cause de sorcières comme toi que les gens pensent que nous empoisonnons les pommes, que nous volons les enfants et que nous mangeons les bébés. » Ce à quoi Agatha, reine de l’humour noir, répond avec malice : « Les bébés sont délicieux » ! La version d’Agatha Harkness que nous livre la série a digéré tout ce long et douloureux passif. En résulte un personnage féminin jouissif et fascinant, qui ne s’excuse pas de rechercher le pouvoir et dont la morale reflète nos propres dissonances cognitives.

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