Adapté du manga le plus terrifiant de Junji Itō, Spirale est un anime en quatre épisodes qui nous a glacé le sang.
Dentiste de formation, Junji Itō a grandi en étant fasciné par les maîtres du manga d’horreur, Kazuo Umezu et Shin’ichi Koga, mais aussi par les dessins de monstres de ses deux grandes sœurs. Rapidement lassé de la pratique médicale, il entame dans les années 1980 une carrière de mangaka horrifique, enchaînant les histoires courtes mêlant gore, absurde et humour noir.
Après des débuts de carrière assez difficiles, il s’impose petit à petit comme une référence du genre, jusqu’à être régulièrement qualifié de « Stephen King de la bande dessinée ». Tomie, Gyo, Black Paradox… Autant d’histoires macabres adaptées un nombre incalculable de fois à l’écran et traduites dans des dizaines de langues. Cependant, aucun de ces mangas n’a jamais atteint la notoriété de son chef-d’œuvre, Uzumaki (Spirale), publié entre 1998 et 1999.
Une ville qui ne tourne pas rond
Spirale (réédité en 2021 dans une édition intégrale en France), c’est avant tout l’histoire d’une ville presque coupée du monde qui bascule lentement dans la folie. En effet, la bourgade de Kourouzu semble mystérieusement obsédée par le motif pourtant ordinaire de la spirale.
Dans un premier temps, ce sont des choses anodines : des brins d’herbe qui tournent sur eux-mêmes, des enfants ne pouvant s’empêcher de dessiner des spirales et des motifs circulaires apparaissant çà et là sur les murs. Mais bientôt, tout s’emballe et bascule dans une irréversible obsession destructrice.
L’auteur s’intéresse particulièrement à l’histoire de Kirie, une lycéenne tout à fait ordinaire qui va peu à peu réaliser que ses concitoyens sont victimes de cette « manie de la spirale ». Hélas, au moment où elle comprend que son père et son petit ami sont, eux aussi, menacés directement par cette crise, il est déjà trop tard pour fuir la ville. Spirale devient ainsi le récit d’une descente aux enfers où le moindre élément graphique se transforme peu à peu en épouvantable vortex destructeur, jusqu’à l’apothéose finale, franchement macabre et dérangeante.
Comment adapter l’inadaptable ?
Régulièrement cité dans le top des meilleurs mangas d’horreur de tous les temps (il a même manqué de recevoir un prestigieux Eisner Award en 2003), Spirale a été un immense succès critique et commercial. Il a été adapté en jeu vidéo et en prise de vue réelle, peu de temps après sa sortie. Des transpositions qui peinaient, cependant, à retrouver l’ambiance extrêmement perturbante et les moments de tension étouffants d’un manga n’hésitant pas à mettre le paquet sur le body horror le plus viscéral.
Le format anime semblait donc tout indiqué pour tenter de retranscrire cette ambiance. Mais le développement de l’adaptation de la bande dessinée s’est révélé un véritable casse-tête, qui a mis plus d’une décennie à aboutir. En cause ? Prendre le temps de trouver le ton juste, d’adapter l’ambiance désespérée de l’intrigue, d’animer un nombre croissant de spirales de toutes sortes et de toutes matières à l’écran, et de trouver des producteurs et un diffuseur pour ce produit pour le moins extrême.
C’est finalement un montage tripartite entre le studio japonais Drive (Konosuba, Yo Your Eternity…), Production I.G (FLCL, Kaiju N°8…) et Cartoon Network (via leur société Adult Swim) qui s’est réuni pour un projet nippo-américain, lancé en 2019. La réalisation a quant à elle été confiée au talentueux Hiroshi Nagahama (Mushishi), et la bande-son au Canadien Colin Stetson.
Prévu pour 2020, Spirale a néanmoins été lourdement impacté par la pandémie mondiale et a dû repousser sa sortie de plusieurs années. Les abonnés de la plateforme Max pourront finalement retrouver cette nouvelle adaptation à l’écran dès le 29 septembre, à raison d’un épisode par semaine.
Une réussite aussi terrifiante que perturbante
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette adaptation est à bien des égards aussi radicale que le manga d’origine. Aucun compromis n’a été fait sur la représentation de l’horreur, tout aussi violente et frontale que sous la plume de Junji Itō. Mais ce sont surtout les choix esthétiques très particuliers et les partis pris de réalisation audacieux qui retiennent ici l’attention. D’une part, le choix a été fait de réaliser cet anime en noir et blanc, et de remplacer la couleur par un travail extrêmement approfondi sur les ombres et les nuances de gris.
Une approche quasiment jamais vue depuis le passage des anime à la couleur au début des années 1970 et qui offre ici un rendu impressionnant, donnant l’impression de voir les pages d’Itō s’animer et se déformer sous nos yeux. Cette palette de couleurs (ou plutôt son absence) renforce ainsi à merveille l’impression de vivre un rêve fiévreux dont il est impossible de s’échapper.
D’autre part, le réalisateur a fait le choix de privilégier une animation au rendu s’approchant de la rotoscopie, donnant une impression de mouvement fluide et réaliste, à la frontière du film et de l’animation. Un détail que l’on remarque assez peu dans les scènes de quotidien banal, mais qui donne une impression de vérité criante quand l’horreur surgit à l’écran.
Il faut ajouter à ces belles intuitions techniques un travail de réécriture extrêmement solide pour arriver à condenser les 650 pages de la BD en seulement quatre épisodes. Cela passe en particulier par un travail assez audacieux sur le rythme et le découpage de l’intrigue. À cet égard, Spirale version animée est une plongée beaucoup plus soudaine et irrespirable dans la terreur pure, là où le manga tenait davantage du basculement progressif.
Les deux œuvres se répondent et se complètent ainsi à merveille, et c’est ce qui pouvait arriver de mieux à ce projet. Junji Itō n’a pas toujours été gâté par des adaptations animées parfois un peu loupées ou approximatives, mais Max lui offre cette fois-ci un coup de maître.