Critique

Remina de Junji Ito : quand le maître de l’horreur s’essaie à la science-fiction

23 septembre 2023
Par Sofian Nouira
Remina de Junji Ito  : quand le maître de l’horreur s’essaie à la science-fiction
©2005 Jl Inc./Shogakukan

Dans Remina, une découverte astronomique bouleverse le destin de la Terre et de ses habitants. Au-delà de la menace cosmique, c’est la réaction de l’humanité face à l’inconnu qui est mise en lumière. Une critique de la société, où la peur et l’ignorance peuvent mener à la folie collective. Mais est-ce suffisant pour en faire un manga intéressant ?

Remina n’est pas à proprement parler un nouveau manga, puisqu’il a été édité pour la première fois en 2008. Avouons humblement que nous étions passés à côté, tant l’œuvre de Junji Ito, le maître incontesté du manga d’horreur, est pléthorique. Néanmoins, la récente sortie de Remina en édition prestige chez Delcourt-Tonkam nous offre une belle occasion de nous rattraper.

L’histoire débute alors que le professeur Oguro fait une découverte astronomique sans précédent : une planète inconnue surgissant d’un trou de ver, qu’il baptise Remina en l’honneur de sa fille. Cette révélation propulse la jeune femme sous les feux des projecteurs, faisant d’elle une idole célébrée. Cependant, la joie est de courte durée. En effet, la planète avance à une vitesse fulgurante, en engloutit d’autres sur son passage et menace bientôt la Terre elle-même.

Le prétexte de la SF

Remina de Junji Ito est une œuvre qui, sous ses airs de science-fiction, offre une réflexion profonde sur la nature humaine. Le manga débute sur une note d’espoir et de célébration, mais bascule rapidement dans l’horreur et la folie collective. Si vous connaissez déjà un peu l’auteur, vous vous attendez sans doute à ce que la suite du manga ne soit qu’une longue descente aux enfers pour tous les protagonistes. Ce qui est certes le cas. Mais Remina se révèle dans son ensemble bien moins horrifique que les autres œuvres du mangaka.

Rémina de Junji Ito
©ITO JUNJI JIGOKUSEI REMINA 2005 Jl Inc./SHOGAKUKAN

Ici, il est plutôt question de l’horreur qui se tapit au fond du cœur de chaque être humain. Sans trop vous en dire, sachez qu’Ito livre plutôt une critique satyrique du star-system et de l’individualisme forcené de nos sociétés. Cette vision acerbe de la bêtise humaine est d’autant plus poignante que l’auteur parvient à dépeindre avec justesse la rapidité avec laquelle la civilisation peut s’effondrer. Il est d’ailleurs assez fascinant de se dire que l’ouvrage a été rédigé en 2008, mais il trouve un écho tout particulier au regard de la crise du Covid de 2020.

Une intrigue qui va trop vite

Ce n’est pas pour autant que le manga Remina est parfait. Certes, Junji Ito utilise ici son talent pour dépeindre non pas une terreur surnaturelle, mais la terreur bien réelle de l’homme lui-même. La violence, la brutalité et la bestialité dont font preuve les protagonistes sont glaçantes. Néanmoins, le scénario sonne aussi naïf que peu crédible. Voire parfois carrément grotesque.

©ITO JUNJI JIGOKUSEI REMINA 2005 Jl Inc./SHOGAKUKAN

Les situations paraissent continuellement tirées par les cheveux. L’auteur ne s’embarrasse pas de fioritures pour placer ses personnages dans des situations qui vont servir son propos. Au prix d’une construction bâclée et caricaturale pour lesdits protagonistes. C’est d’ailleurs Remina, le personnage principal, qui cristallise tous ces défauts.

La jeune fille est en effet d’une platitude confondante. Malgré les épreuves qu’elle endure, elle manque de profondeur et de charisme de bout en bout, et peine à susciter la moindre empathie chez le lecteur. Notez tout de même que Junji Ito a glané en 2021 deux Eisner Awards, des récompenses américaines prestigieuses, pour Remina et Venus in the Blind Spot. L’appréciation du scénario peut donc varier d’un lecteur à l’autre.

La patte du maître

Sur le plan graphique, Junji Ito démontre une fois de plus son talent. Les dessins parviennent bien à retranscrire l’atmosphère oppressante de l’histoire. La planète Remina est parfaitement représentée et ses cases sont toujours évocatrices et menaçantes. Les scènes de poursuite sont quant à elles dynamiques et les expressions des personnages traduisent parfaitement leur désespoir.

Rémina de Junji Ito
©ITO JUNJI JIGOKUSEI REMINA 2005 Jl Inc./SHOGAKUKAN

Toutefois, là encore, on trouve un peu à redire dans la mesure où l’auteur nous a habitués à mieux dans la plupart de ses œuvres. Beaucoup de cases sont saisissantes et sortent du lot, mais son coup de crayon manque parfois de détails. De ce point de vue, Remina se situe un petit cran en dessous des meilleures productions de l’auteur que sont les extraordinaires Spirale, Tomié ou encore Gyo. Si vous n’avez pas encore lu ces trois œuvres, arrêtez tout et courez vous les procurer.

Une édition prestige de belle facture

En revanche, nous ne pouvons que saluer la qualité de cette édition prestige. Elle est particulièrement soignée, avec un papier de bonne facture, une couverture rigide irréprochable et un ruban rouge pratique, qui tient lieu de marque-page. Un bien bel objet, donc, que les fans de Junji Ito ne manqueront sans doute pas, même si cette incursion du mangaka dans l’univers de la SF n’est pas toujours une réussite.

Rémina de Junji Ito
©ITO JUNJI JIGOKUSEI REMINA 2005 Jl Inc./SHOGAKUKAN

En guise de bonus, l’éditeur a inclus Des millions de solitaires du même auteur, à la fin du tome. Il s’agit d’un récit court, d’une quarantaine de pages, qui prend place dans un cadre plus classique : le Japon d’aujourd’hui (soit le terrain de jeu préféré de Junji Ito). Il est ici question d’un tueur en série dont les victimes sont retrouvées cousues ensemble. Un point de départ qui entraîne le lecteur dans un cauchemar dont seul l’esprit (un peu dérangé ?) du mangaka a le secret.

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Article rédigé par
Sofian Nouira
Sofian Nouira
Journaliste