Fascinée par l’esthétique des univers post-apocalyptiques, l’industrie vidéoludique se prête au jeu des prévisions, imaginant le futur qui pourrait nous attendre.
Dans les jeux vidéo, les fins du monde ont longtemps été l’œuvre de virus, de zombies, de catastrophes nucléaires ou encore d’invasions extraterrestres. Depuis quelques années, un nouveau « grand méchant » a fait son apparition : le changement climatique. Une thématique qui raisonne avec l’écoanxiété actuelle, et que l’on retrouvait notamment dans Frostpunk, en 2018, qui a marqué les joueurs grâce à ses qualités, son solide gameplay et sa représentation sombre et dure de l’humanité. La sortie du deuxième opus, ce 20 septembre, est donc l’occasion de faire un tour d’horizon des futurs possibles envisagés par les titres du genre.
Le temps de la survie
Bienvenue dans Frostpunk. En pleine révolution industrielle, le monde fait face à un changement climatique sans précédent. Le gouvernement britannique envoie des missions vers le Grand Nord, plus à même de permettre la survie du pays grâce à ses nombreuses ressources sous la glace. Dans ce jeu, la réponse à la catastrophe est apportée par l’État et toute la société est mise à contribution, même s’il est évident que tous ne seront pas choisis pour aller construire cet après polaire.
Malgré cet aspect fédérateur, sa vision ne peut pas vraiment être qualifiée d’optimiste. Cet avenir se construit sur les bases d’une société profondément violente et inégalitaire. La nécessité de survivre à tout prix engendre les pires excès et ne laisse guère de temps à la réflexion. Dans l’immédiat, l’œuvre vidéoludique envisage « l’après » comme la continuation de « l’avant », un avant dont les parts sombres seraient exacerbées et où il ne reste plus beaucoup de place pour l’humanité.
Une idée que l’on retrouve dans Floodland, qui se situe lui aussi immédiatement après la catastrophe climatique. Le monde est submergé et les survivants, qui forment des clans sur des bases idéologiques, doivent tout reconstruire. Dans ce futur immédiat où les gouvernements ont visiblement échoué, il ne reste que les initiatives individuelles.
On fait table rase des institutions passées, mais les survivants restent attachés à leurs valeurs. Cette humanité survivante a conscience qu’il faut (re)créer des communautés et une civilisation, mais cette volonté entre souvent en conflit avec les valeurs fondamentales des uns et des autres. Le jeu propose donc une vision d’un futur morcelé, mais aussi d’un creuset pour réinventer l’humanité.
L’échec
Dans End of Lines, le réchauffement climatique a fait disparaître les oiseaux, les poissons et les insectes, l’eau est montée, les feux et les pénuries se sont multipliés. Les gestes individuels se sont heurtés à l’inaction des gouvernements et des industries. Camille et sa famille doivent alors quitter leur campement en quête d’un endroit habitable.
Dans cet après, différentes communautés, de la plus autoritaire à la plus autogérée, se sont constituées. L’œuvre fait le constat d’un échec, celui du monde d’avant, qui se répercute sur le monde d’après. En l’absence de réponse collective, certains s’en tireront mieux que d’autres, perpétuant un système inégalitaire qui avait déjà cours avant.
Vivre avec
Lézards, castors, harpies, grenouilles et humains doivent lutter contre le climat toujours plus hostile pour établir des villes à la périphérie de la capitale et fournir celle-ci en marchandises. À la fin du cycle, tout est balayé par la tempête et tout recommence. Dans Against the Storm, après la catastrophe climatique, il y a… toujours la catastrophe climatique.
Sans solution pour lutter, à part tenter de prolonger la durée des cycles, la décision a été de faire avec. C’est un monde qui a opté pour la résignation et le sacrifice implicite d’une partie des habitants qui risque sa vie pour obtenir les ressources nécessaires et ainsi permettre à la citadelle centrale de survivre, dans un cycle sans fin.
De son côté, Diluvian Winds s’intéresse à un gardien de phare qui tente de recréer une communauté dans un monde balayé par les tempêtes. Aucun visiteur ne reste éternellement, mais tout le monde est prêt à aider. Avec son climat épouvantable et sa nécessité à rebâtir sans cesse, le jeu partage avec Against the Storm cette tendance du « faire avec ».
Cependant, cette catastrophe a aussi soudé les rescapés qui sont prêts à s’entraider et à faire une pause dans leur voyage pour améliorer la situation pour les suivants. Il ne s’agit pas de lutter pour améliorer le climat, mais c’est un futur qui mise sur la communauté et l’entraide et dépeint une humanité dont la catastrophe n’aura révélé que le meilleur.
À l’ombre du passé
Dans Saltsea Chronicles, la capitaine du De Kelpie a disparu et son équipage hétéroclite se lance à sa recherche dans un monde pratiquement submergé par les eaux, dans lequel subsistent des reliques d’un passé lointain oublié de tous. On ne sait pas précisément ce qui a amené la catastrophe climatique, ni même quand exactement elle a eu lieu, si ce n’est il y a très longtemps. Contrairement aux autres jeux, celui-ci propose une vision douce et sereine du futur.
On ne sait pas combien de temps ça a pris, mais les différentes communautés formées sont quasi symbiotiques, diverses et inclusives. C’est un monde plein d’espoir, doux et apaisé. La seule ombre au tableau ? Ces vestiges, dont l’usage a été perdu dans le temps, et qui risquent un jour de pousser cette nouvelle humanité à réitérer les erreurs du passé.
Cette ombre plane également au-dessus d’Horizon Zero Dawn qui suit Aloy, une jeune femme rejetée par sa tribu et en quête de ses origines. Malgré l’aspect préhistorique de son environnement, l’intrigue se déroule dans un futur lointain dans lequel la civilisation, préservée du cataclysme par la technologie, n’a plus accès aux connaissances du passé, mais vit entourée de ses vestiges.
Dans Horizon Zero Dawn, l’humanité a dû repartir de zéro. Elle a formé des clans et des peuplades nomades de chasseurs-cueilleurs vénérant différents panthéons. Le futur n’est qu’un gigantesque retour en arrière qui dessine la possibilité d’un futur encore plus dévastateur que le précédent. Ici, la technologie est à la fois un outil de rédemption et, sans accès aux connaissances du passé, la clé d’une destruction sans cesse renouvelée.
En 2070, l’Antarctique a fondu, ne laissant que quelques îles immergées. L’humanité s’est regroupée sous un même gouvernement et se divise en trois factions : les écologistes, les industriels et les scientifiques. Dans cette version du futur, l’humanité s’est reconstruite en s’adaptant à son nouvel environnement sans changer fondamentalement.
Dans Anno 2070, le monde d’après s’articule quant à lui autour de l’idée qu’un équilibre entre écologie et croissance suffira à assurer la continuité de l’humanité et à fournir à chacun le confort auquel il aspire. Il est intéressant de noter que ce jeu précède d’une décennie environ la plupart des autres œuvres citées dans cette liste, et de quelques années les Accords de Paris qui ont entériné dans l’esprit collectif une réelle urgence à agir pour le climat.
Un “après” loin de la Terre
Après une catastrophe écologique, les 1 % des plus riches de Golf Club Wasteland ont quitté la Terre dans des fusées pour aller s’installer sur Mars. Ces privilégiés reviennent sporadiquement pour jouer au mini-golf et s’amuser dans les décombres d’une planète dévastée. Au son de Radio Nostalgia from Mars se dessine une société qui ne semble guère avoir appris de ses erreurs et vit dans la nostalgie du passé.
Le jeu propose alors une vision cynique du monde d’après la catastrophe, les ultrariches étant partis sans se soucier du reste du monde, pour recréer leur bulle ailleurs, sans vraiment de considération pour les dégâts causés par leur mode de vie.
De l’événement qui a laissé la Terre dans ce triste état, on ne sait absolument rien, mais on suppose une catastrophe écologique d’une ampleur sans précédent. On sait aussi que, d’une façon ou d’une autre, l’humanité ou une version d’elle a survécu ailleurs, puisqu’elle revient armée d’une multitude de technologies pour restaurer l’écosystème.
Terra Nil propose quant à lui une vision solarpunk et technosolutionniste du monde d’après. Un regard optimiste qui offre un espoir : malgré une trajectoire inquiétante, l’humanité peut s’en sortir grâce à la technologie et réparer ses erreurs. On ne peut cependant s’empêcher de constater que l’œuvre ne nous dit pas comment l’humanité a survécu.
S’ils ne sont pas particulièrement optimistes quant au destin de l’humanité après une catastrophe climatique, reflétant l’écoanxiété actuelle, les jeux vidéo qui s’emparent de ce sujet proposent, on a pu le voir, différents scénarios et visions de « l’après ». À mesure que la réflexion sur le sujet avance, d’autres représentations riches et complexes verront sans doute le jour, servies par la grande polyvalence du médium.