Entretien

India Donaldson pour Good One : “J’espère que le cinéma indépendant américain a encore de beaux jours devant lui et va continuer de s’affirmer“

24 juin 2024
Par Lisa Muratore
Lily Collias interprète Sam dans “Good One”.
Lily Collias interprète Sam dans “Good One”. ©International Pigeon Production

Good One, présenté au Festival de Cannes avant un détour par le Champs-Élysées Film Festival, suit la relation d’un père et sa fille alors qu’ils sont partis camper quelques jours dans la forêt. Avant sa sortie en France le 13 novembre prochain, L’Éclaireur a rencontré l’équipe du film : la cinéaste, India Donaldson, ainsi que son actrice principale, Lily Collias.

Après Cannes, direction le Champs-Élysées Film Festival pour Good One. Présenté à la Quinzaine des cinéastes en mai, le long-métrage d’India Donaldson est également au cœur de la sélection du festival parisien ce mois de juin. À l’occasion de sa présentation sur la plus grande avenue du monde, L’Éclaireur a souhaité s’entretenir avec sa réalisatrice, India Donaldson, et son actrice principale, Lily Collias, afin de revenir sur la genèse du projet, les personnages et leur vision du cinéma américain indépendant aujourd’hui.

Comment est née l’idée de Good One

India Donaldson : Je vivais chez ma famille pendant la pandémie de Covid-19 et j’ai été inspirée par la manière dont un environnement confiné et isolé permet de faire ressortir les difficultés familiales, ainsi que des choses qui sont profondément enfouies. J’ai grandi en faisant de la randonnée et du camping avec mon père. D’une certaine façon, ces sorties en plein air peuvent sembler oppressantes. C’est assez contre-intuitif finalement. J’ai donc réfléchi à la famille et à l’environnement. C’est ainsi que j’ai écrit la première version du scénario.

Peut-on dire que votre long-métrage est autobiographique ? 

I. D. : Je le qualifierais de personnel plutôt que d’autobiographique. Le personnage que joue Lily est très inspiré de mes souvenirs et de la jeune fille que j’étais durant mon adolescence.

Good One.©International Pigeon Production

Cependant, les événements précis du film ne sont pas autobiographiques, c’est plutôt le parcours émotionnel du projet qui est personnel, selon moi.

Lily, en vous basant sur les souvenirs personnels d’India, comment avez-vous réussi à trouver le personnage de Sam ?

Lily Collias : Je pense qu’il existe un langage universel autour de l’adolescence. Il s’agit simplement de communiquer et de s’ouvrir à ce sujet. C’est une réalité très intime et parfois triste à aborder, mais je pense que c’est ce langage autour de l’adolescence et des enjeux qui entourent une jeune fille que nous avons réussi à cerner pour vraiment comprendre Sam. 

I. D. : Lorsque nous nous sommes rencontrées avec Lily, ça faisait longtemps que je cherchais ma comédienne principale et j’avais beaucoup de mal à trouver la bonne personne. Lors de notre première rencontre, j’ai ressenti une connexion instantanée avec Lily. Nous avons à peine parlé. C’était un sentiment intuitif, car même si la personnalité de Lily n’était pas la mienne au moment de ma propre adolescence, j’ai ressenti une connexion avec elle. Nous avons appris à nous connaître. Dès que le rôle lui a été attribué, elle se l’est approprié. Ce n’était plus moi, c’était son interprétation du personnage. Lily en a fait quelque chose de très personnel, de manière nuancée.

Lily, que préférez-vous chez Sam

L. C. : Il y a tellement de choses que j’aime chez elle ! Je le dis souvent, mais elle est très introspective et très intelligente. Je pense que l’on peut beaucoup apprendre à son contact. C’est aussi un personnage qui agit d’une manière à laquelle je n’aurais jamais pensé.

Lily Collias dans Good One.©International Pigeon Production

Elle est si ingénieuse, et cela vient du fait qu’elle n’a pas une once de méchanceté en elle. Ceci étant dit, elle souhaite tout de même s’affirmer, et, à travers le film, elle découvre comment le faire et ce que cela signifie pour elle. 

Sam et son père semblent avoir un lien très fort, bien qu’ils aient du mal à se comprendre. Comment décririez-vous leur relation ? 

I. D. : Je pense que cette connexion, à la fois forte et complexe, entre Sam et son père est précisément ce que j’essayais de retranscrire, car c’est quelque chose que j’ai vécu avec mes propres parents, et maintenant que j’ai un fils de 3 ans, je réfléchis moi-même à cela. Votre famille et vos parents représentent les personnes qui sont les plus proches de vous. Ils vous connaissent parfaitement et vous influencent de nombreuses manières. Pourtant, je pense qu’il y a des aspects de nous-mêmes qui ne sont pas compris par nos parents. La proximité trop importante crée une distance qui se construit, en quelque sorte.

« À travers le film, je voulais élever l’acte d’écoute, en faire quelque chose de digne qui soit à la hauteur d’une histoire cinématographique. »

India Donaldson

Lily et James Legros, qui joue son père, avaient une alchimie naturelle à l’écran, mais aussi en dehors. Je pense que c’est cela qui a vraiment construit l’intimité que l’on voit entre les personnages dans le film. Elle existait même dans des moments de déconnexion, en dehors des scènes. Sam est un personnage très doué, elle sait faire beaucoup de choses : se préparer pour le voyage, monter la tente, faire tout le sac à dos… C’est quelque chose dont elle a hérité de son père. C’est dans cet espace qu’ils font quelque chose ensemble, qu’ils se connectent, et pourtant c’est aussi dans cet espace, extrêmement intime, qu’ils réalisent qu’ils ont aussi du mal à se comprendre.

Le film est silencieux et choque en seulement une phrase. Selon vous, le cinéma doit-il privilégier la subtilité visuelle et les non-dits pour exprimer les émotions et les relations entre les personnages ? Au contraire, doit-il s’appuyer sur des dialogues explicites pour communiquer avec le spectateur ?

I. D. : Je pense que chaque film doit avoir son propre traitement des émotions et des relations. Je m’intéresse beaucoup à l’écriture et j’adore écrire des dialogues. J’aime écrire des conversations entre plusieurs personnes et trouver des rythmes naturels entre elles. Cependant, parler et communiquer sont deux choses distinctes. Je m’en suis rendu compte en composant le scénario. Parfois, les hommes parlent et sont mal à l’aise avec leurs propres pensées, comme les longs silences qui peuvent exister lors d’un voyage en voiture ou d’une longue randonnée.

Bande-annonce VO de Good One.

Ainsi, lorsqu’on a tourné et monté le film, on a eu tendance à minimiser cette parole. Souvent, elle se passe hors écran. C’est quelque chose que le personnage de Lily a très bien su faire. Elle est là, elle parle, mais elle écoute aussi. On ne pense pas à l’écoute comme étant quelque chose de très actif, mais je voulais que ça le soit. À travers le film, je voulais élever l’acte d’écoute, en faire quelque chose de digne qui soit à la hauteur d’une histoire cinématographique. 

Lily, qu’est-ce que Good One vous a apporté en tant qu’actrice ? Qu’avez-vous appris grâce à ce projet ?

L. C. : Cela m’a ouvert tellement de portes. Avant Good One, je n’avais jamais eu de rôle comme celui-ci, qui soit, qui plus est, un rôle principal. Aux côtés d’India, j’ai aussi beaucoup appris sur la réalité du métier, ainsi que les enjeux de la performance. Elle comprenait quand j’avais un moment de doute ou quand j’avais besoin d’orientation. La façon dont elle a choisi de me diriger, le langage particulier qu’elle a utilisé et la manière dont elle a exprimé les choses étaient très intuitifs. Sur le tournage, grâce à ses mots, j’ai rapidement compris où elle voulait en venir. Elle m’a toujours guidée dans la bonne direction.

Lily Collias et Jacques Legros dans Good One.©International Pigeon Production

Cette aide a eu un impact sur ma performance d’actrice. Pour jouer, il faut arriver sur un plateau en connaissant ses répliques, se préparer à agir, être capable de suivre la direction donnée, comprendre pourquoi on nous donne de telles indications, et rejouer à nouveau. Je me suis tellement amusée à le faire. C’était une véritable bénédiction.

Les décors naturels et le fait de tourner en forêt ont-ils favorisé l’improvisation durant la production ?

I. D. : Le script était écrit de manière très spécifique dans l’ensemble. Cependant, je voulais quand même aborder le tournage avec une ouverture pour les acteurs, qu’ils puissent ajuster et rendre les dialogues plus authentiques lorsque cela était nécessaire. Il y a très peu de moments où je trouvais important que les répliques soient dites précisément. Je pense que ces moments sont probablement évidents lorsque vous regardez le film, mais, à part ça, je voulais leur permettre d’être flexibles.

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Nous avions trois acteurs très différents. Danny McCarthy, qui joue Matt, est un acteur de théâtre chevronné ; il est donc resté très fidèle au script. James LeGros, avec son expérience dans le cinéma indépendant, avait une flexibilité et une aisance incroyable pour l’improvisation. Lily et James, parce qu’ils étaient tous deux immergés dans leurs personnages, sont ainsi parvenus à improviser toute une scène très facilement.

Mais, dans l’ensemble, je voulais simplement aborder le tournage et les acteurs avec une forme de curiosité, pour voir ce qu’ils allaient apporter, parce que je pense que lorsque vous choisissez les bonnes personnes, elles vous montrent et vous révèlent des choses que vous n’auriez jamais pu écrire dans le script.

India, vous appartenez au cinéma indépendant américain. Quel regard portez-vous sur le genre aujourd’hui après le succès de Greta Gerwig et l’ascension de Sean Baker ?

I. D. : J’espère vraiment que ça va continuer dans ce sens. Chez nous, le gouvernement américain ne soutient pas les arts comme le cinéma. Il y a des films qui sont réalisés avec beaucoup d’argent ; d’autres qui sont réalisés de manière plus intime et indépendante. Je pense, en revanche, que cette seconde catégorie peut être un terreau fertile pour une créativité incroyable.

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C’est difficile d’avoir une perspective plus large lorsque vous êtes à l’intérieur et que vous essayez simplement de finir votre film. En tout cas, j’espère que le cinéma indépendant américain a encore de beaux jours devant lui et va continuer de s’affirmer, que ce soit avec Greta Gerwig, Sean Baker, ou d’autres cinéastes !

Good One, d’India Donaldson, avec Lily Collias, James LeGros et Danny McCarthy, 1h30, le 13 novembre 2024 au cinéma.

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Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste