Critique

Foundation, ou la difficile adaptation d’un monument de la science-fiction à l’écran

23 novembre 2021
Par Héloïse Decarre
Gardée par Salvor Hardin, la Fondation a pour but la sauvegarde des connaissances humaines pour bâtir un  nouvel Empire après la chute de la civilisation.
Gardée par Salvor Hardin, la Fondation a pour but la sauvegarde des connaissances humaines pour bâtir un nouvel Empire après la chute de la civilisation. ©Apple TV+

Un classique de la science-fiction, écrit en pas moins de 51 ans : c’est ce qu’ambitionne d’adapter Apple TV+ avec la série Foundation. Une mise en images remarquable, mais alourdie par l’ampleur du récit.

Se heurter à une communauté de fans experts et intraitables, jongler entre transcription fidèle et nouvelle interprétation… Porter un roman de science-fiction sur écran représente toujours un risque. En s’attaquant à un mastodonte, Le Cycle de Fondation d’Isaac Asimov, le scénariste et réalisateur David S. Goyer ambitionne de retranscrire le premier volume d’une œuvre qui a marqué plusieurs générations. Un sacré pari, quand on sait que l’œuvre a été récompensée par l’unique prix Hugo de la meilleure série de science-fiction de tous les temps.

Dans cette création majeure, le maître du genre détaille les rouages d’une société dystopique s’étalant sur plusieurs centaines d’années. 22 000 ans dans le futur, la Voie lactée est peuplée par des trilliards d’êtres humains. Après la perte de la Terre, ils se sont répandus et ont prospéré à travers l’espace. Un Empire galactique – dirigé par une dynastie génétique, faite des clones de l’empereur originel, Cléon Ier – gouverne désormais l’univers. Mais, lorsqu’un scientifique révolutionnaire, Hari Seldon (joué par Jared Harris), prédit qu’un effondrement suivi de 30 000 années de ténèbres menace la civilisation, le pouvoir des Cléon commence à vaciller. Par le biais d’une pseudoscience qu’il a inventée, la psychohistoire, le fauteur de trouble remet en question la stabilité de l’Empire. Mais il apporte une solution : il existerait un moyen de réduire la durée de cette ère des ténèbres à 1 000 ans en créant une Fondation ayant pour but la sauvegarde des connaissances humaines. À terme, elle pourrait permettre de rebâtir un nouvel Empire.

Des thèmes contemporains au service de l’intrigue

La perspective d’être détrôné alors même qu’on est tout-puissant n’est pas vraiment pour plaire au pouvoir en place. En réaction aux prédictions de la psychohistoire, le despote, Frère au Grand Jour (Lee Pace), accompagné de ses deux clones – l’un plus jeune, Frère à l’Aurore (Cassion Bilton), et l’autre plus âgé, Frère au Soir (Terrence Mann) –, sévit. Face à ce gouvernement tyrannique, on ne peut qu’être pris dans l’histoire et ses intrigues politiques. Les leaders se suivent et se ressemblent (ici, ce sont des clones), sont déconnectés de la réalité (ils ne sortent jamais de leur palais), sont mégalomanes et littéralement intouchables (car protégés par un bracelet générant un champ de force). Les écarts sont criants entre les plus puissants, seuls à pouvoir admirer le vrai ciel, et les plus pauvres, condamnés à vivre dans les étages les plus bas de la ville-planète Trantor.

L’Empire galactique est dirigé par une dynastie génétique. Trois clones de l’empereur originel, Cléon 1er, se succèdent indéfiniment au pouvoir.©Apple TV+

Le scénario use de thèmes contemporains qui parlent aux spectateurs et tous les ingrédients sont réunis pour les mettre en valeur. L’histoire prend place dans des décors ultradétaillés et harmonieux, perfectionnés, par une photographie symétrique très esthétique. Sans parler de la qualité des effets spéciaux. La bande originale nous transporte dans un univers sonore épique, mystérieux et grave à la fois. Pas de surprise, car la musique est composée par un habitué des films et séries de SF et post-apocalyptiques, dont le CV parle de lui-même, Bear McCreary (Battlestar Galactica, Terminator : Les Chroniques de Sarah Connor, Defiance, The Walking Dead, Snowpiercer…).

La chute d’une civilisation en dix épisodes

Tous ces éléments conduisent Robyn Asimov, la fille de l’auteur de l’œuvre originale, qui compte parmi les producteurs exécutifs de la série, à saluer la direction prise par Apple TV+. Selon elle, « Foundation de David S. Goyer a surpassé toutes [ses] attentes : la série transpose à l’écran la philosophie et les idées de [son] père mieux qu’il n’aurait pu le faire, sans rien trahir de son œuvre ». Mais, si la vision est bien présente, la façon de la transcrire laisse à désirer.

Les efforts de mise en scène sont ici et là ternis par un jeu d’acteur parfois dénué de sincérité, souvent teinté de pathos. Le personnage de Salvor Hardin, gardienne de la Fondation, campé par Leah Harvey, peine en effet à convaincre. Tout comme celui de Gaal Dornick, mathématicienne surdouée et narratrice de la série. La protagoniste passe par des états émotionnels antagonistes en un claquement de doigts, jonglant entre envie de mettre fin à ses jours et furieuse volonté de survie. Malgré tout, certains acteurs parviennent à accrocher le spectateur en mettant plus subtilement en avant les failles de leur personnage. C’est le cas de Laura Birn, dans la peau du robot humanoïde Eto Demerzel, conseillère de l’empereur. L’actrice oscille parfaitement de l’apathie et la rigidité robotique à la sensibilité d’un être qui, on l’imagine, a beaucoup de choses à révéler. Lee Pace, dans le rôle de l’Empereur de la Galaxie, ramène, lui aussi, de la cohérence à l’intrigue. Sans concession, il mêle machiavélisme, manipulation et égocentrisme dans un même personnage, sans pour autant aboutir à une caricature du tyran cruel et irréfléchi.

Gaal Dornick est une mathématicienne surdouée. Aux côtés de Hari Seldon, elle tente de déchiffrer le code de la psychohistoire pour prédire les événements qui conduiront à la chute de l’Empire.©Apple TV+

La narration, étalée sur plusieurs espaces-temps, est ponctuée de flashbacks. Elle pourrait donner un rythme intéressant à l’histoire, mais c’est sans compter sur des tournures scénaristiques prévisibles qui rendent certains épisodes un peu (beaucoup) trop longs.

Cette première saison est imparfaite, mais, alors qu’une saison 2 est déjà en préparation, la curiosité l’emporte. On peut espérer que la richesse de l’œuvre d’Asimov y sera encore plus développée. De nouvelles intrigues et d’autres personnages devraient faire leur apparition. Ce n’est en tout cas que le début pour ce challenge que promet de relever Apple TV+, car David S. Goyer a confié vouloir réaliser sept à huit saisons en tout, transposant l’œuvre entière du Cycle de Fondation.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste
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