Entretien

Drag : un art queer qui agite le monde

03 janvier 2024
Adhérent
Article réservé aux adhérents Fnac
Drag : un art queer qui agite le monde
©Monsieur Gac

Si nous devions recommander un beau livre en ce début d’année, ce serait sans doute Drag : un art queer qui agite le monde par la journaliste et autrice Apolline Bazin. Rédactrice culture et directrice de la rédaction du média queer et féministe Manifesto XXI, elle a arpenté le monde de la nuit pendant des années et y a côtoyé la culture drag.

Un univers d’extravagances, de perruques, de glamour, de création artistique et de lutte. « S’il se nomme en seulement quatre lettres, le drag est un monde complexe, riche d’esthétiques, de communautés et de diversité : drag queen, king, queer et créature sont autant de sujets de fascination » écrit-elle. C’est avec amour et beaucoup de joie, qu’elle a retranscrit ses riches rencontres avec certaines des queens les plus rayonnantes de la scène française (et pas que) en écrivant une archive foisonnante et explosive de cet art devenu si populaire.

À partir de
45€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Nous rencontrons au fil des pages des figures connues ou underground, « festives ou engagées, consensuelles ou radicales qui, toutes, ont fait évoluer les choses à leur manière entre résistance, sublimation, humour et férocité. » Alors que l’émission Drag Race a conquis la télé française en brisant bien des tabous, cet ouvrage monumental, avec des images rares et immersives, promet de devenir iconique. Nous avons posé quelques questions à l’autrice.

©Janai Trejo

Apolline, tu es journaliste et autrice et depuis quelques années, tu t’intéresses aux pratiques drag. Comment est née cette passion ?

Je suis journaliste culture, co-fondatrice de Manifesto XXI, média queer et féministe grâce auquel j’ai pu rencontrer le monde de la nuit. Je pense à deux soirées en particulier qui existaient jusqu’à il y a quelques années, la House of Moda et la Kindergarten. C’est là-bas que je suis rentrée en contact pour la première fois avec des drag queens et kings. En 2019-2020, je me suis intéressée de plus près à ce sujet et j’en ai fait un article dans Les Inrocks. C’est à partir de là que mon éditrice m’a contactée et a commencé l’aventure de ce livre.

C’est difficile de ne pas s’arrêter quand on est face à une personne qui fait du drag. Cela suscite, selon moi, de la fascination et de l’admiration. Il y a quelques années, c’était une pratique assez mystérieuse, dont on ne savait pas grand-chose et qui m’interpellait énormément. En effet, elle concentre toute une série de problématiques incontournables aujourd’hui, comme les questions de genre, d’identité, la mode, la manière de faire la fête, de la rendre accessible… Le drag catalyse des centres d’intérêts multiples qui me sont chers, comme l’histoire du costume et du vêtement. C’est une forme d’expression de soi très puissante, éminemment politique, qui, tout en ayant des règles, fuit le côté guindé et coincé de la haute-couture.

©Sarah Meunier

Comment s’explique l’engouement populaire autour du drag aujourd’hui, notamment de l’émission Drag Race ?

Je pense que le public français a du mal à réaliser l’ampleur du succès de Drag Race à l’international et de tout ce que cela a représenté en France d’avoir une émission LGBT + à la télévision. On a aussi du mal, peut-être, à réaliser à quel point le drag était florissant dans l’hexagone, bien avant que l’émission débarque sur nos écrans. Il faut savoir qu’en France, depuis des années, nous avons une scène drag extrêmement qualitative et variée. Tous ces talents de chanteur·ses, de costumier·ères, de maquilleur·ses, étaient prêts à exploser. Le secret de cette popularité réside peut-être dans le fait que cet art remplace une forme de théâtre d’antan avec des valeurs de maintenant. C’est un cabaret aux valeurs progressistes, d’acceptation de soi et des autres : tout le monde en a besoin !

©Janai Trejo

Comment s’est structuré le livre ?

Au tout début, j’ai commencé par regarder des TedTalks de personnes qui expliquaient leur parcours drag et ce que cela leur avait apporté. Je n’avais pas vraiment le choix, puisque la littérature d’essai autour de cette thématique est encore assez pauvre, même si des thèses sont en cours. Je suis donc tombée sur le Ted de Cheddar Gorgeous, une performeuse anglaise interviewée dans le livre. Elle expliquait pourquoi le drag est un art puissant qui permet de prendre conscience de sa propre force. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de faire quatre chapitres : comment le drag a permis de créer des communautés fortes autour des revendications pour les droits des personnes queers ; pourquoi le drag est devenu le phénomène pop culture que l’on connaît ; un troisième chapitre sur les actions politiques du drag et enfin, un dernier chapitre sur le drag au-delà de la performance de genre.

©Sarah Meunier

Est-ce que les personnes que tu as rencontrées t’ont aidée à écrire ou penser le livre ?

Oui, bien sûr. La rencontre la plus déterminante a sans doute été celle avec Babouchka Babouche, qui a été ma queen relectrice. Elle m’a aidée à construire le plan et à constituer le casting des interviews, qui a été une grande source de réflexions. Il fallait montrer beaucoup de profils et de pratiques différents en étant le plus possible exhaustive.

Une autre rencontre marquante, qui m’a aidée dans la conception de l’ouvrage, a été celle avec le king Jay des Adelphes. Jay anime plein d’ateliers et est très actif dans le milieu, c’était important de pouvoir demander des conseils et pouvoir exprimer mes insécurités. C’était fondamental de travailler directement avec les performeur·ses et de les inclure dans l’écriture.

Une rencontre en particulier que tu veux raconter ?

Sans hésitations, celle avec Marti Gould Cummings, rencontrée à New York. Elle s’était même présentée aux élections pour le Conseil Municipal de la ville. Cette rencontre m’a fait réaliser à quel point le drag permet de développer des « skills » (compétences) divers et entre autres, des vraies capacités de leaders politiques. Une autre belle rencontre a été celle avec Veida Shimmy, une artiste du Brésil. Elle explique très bien la culture de la compétition dans le drag, mais aussi l’importance du soutien entre les participant·es aux concours. Elle a commencé à faire du drag pour dépasser le traumatisme du harcèlement, en confirmant encore une fois à quel point cette pratique peut être émancipatrice.

©Monsieur Gac

Une question autour des merveilleuses images qui vont avec le livre : comment ont-elles été sélectionnées ?

Alors, il ne s’agit pas d’images exclusives : elles sont le fruit d’une curation attentive et puis, d’une série de demandes de droits. Nous avons porté une attention particulière à la diversité des photographes et des sujets, pour obtenir une certaine parité des profils. Chaque artiste a pu choisir sa photographie en tout cas.

©Sarah Meunier

Pourquoi acheter/offrir ce livre ?

Parce que c’est super beau et parce que si vous aimez le drag, c’est une bonne porte d’entrée à la fois historique et esthétique. Il illustre les luttes actuelles des communautés LGBT + et il est un soutien à cet activisme artistique. Si nous voulons profiter de superbes shows drag dans les années à venir, nous devons nous renseigner sur la culture politique qui va avec et la protéger !

À lire aussi

Pour aller plus loin
Retrouvez tous les articles Contact dans votre espace adhérent
Tout ce qui fait l'originalité de la Fnac et surtout, tout ce qui fait votre originalité.
Espace adhérent