Article

Regarder la ville autrement : les livres photographiques qui changent notre regard sur l’espace urbain

15 août 2022
Par Costanza Spina
Regarder la ville autrement : les livres photographiques qui changent notre regard sur l'espace urbain
©Jean-Christophe Béchet/Loco

Effervescentes, passionnantes, délabrées, meurtries, en pleine transformation ou bien abandonnées : les villes ne cessent d’interroger l’œil des photographes. Sélection.

1 Macadam Color Street Photo, de Jean-Christophe Béchet

Jean-Christophe Béchet est l’un des grands noms de la photographie de rue française. Dans ses images, les villes du monde apparaissent sous un angle original, bouleversantes de vérité. La ville, dans sa brutalité et dans son ironie, est ainsi au cœur de ce travail qui met l’accent sur les enjeux de l’habitation, de la coexistence et de la réinvention des espaces urbains.

Pour Jean-Christophe Béchet, la photographie de rue a longtemps été associée au reportage, mais est bel et bien devenue aujourd’hui un genre autonome et spécifique à la culture photographique. Le portrait, le paysage, le nu, la nature morte… viennent tous de la peinture. Quant au reportage, il existe aussi en vidéo, au cinéma ou à la radio. Mais l’exploration de la rue, elle, n’existe réellement qu’en photographie.

Trois entretiens approfondis avec Michel Poivert, Jean-Luc Monterosso et Sylvie Hugues accompagnent, dans Macadam Color Street Photo, le parcours du photographe à la découverte de la ville. Ils sont l’occasion de réfléchir sur la spécificité de cette pratique, de questionner sa nature même, de voir ce qu’elle peut mettre en jeu, et de tenter d’en définir certains contours. Ce qui émerge, c’est qu’à la différence des grands reporters et des photographes de mode, le photographe de rue n’est pas aidé par la puissance de son sujet. Tout l’intérêt de sa photographie vient alors de son art du cadrage, de sa rapidité d’action, de son impertinence, de sa lecture de la lumière. Et aussi, bien sûr, de sa vision du monde. Mais, par-dessus tout, un bon photographe de rue sait regarder la ville, saisir les enjeux politiques et sociaux qui la traversent, ainsi que son esthétique propre. Jean-Christophe Béchet illustre ainsi les villes sans fioritures, alors que le mode de vie urbain est fortement questionné.

©Loco

Dans le livre, la ville que Béchet sublime au plus haut point et sans aucun doute sa Marseille natale ; puissante, effervescente, tragique et comique à la fois, la cité phocéenne est magnifiée dans des clichés remplis d’amour. Parce qu’à bien des égards, Marseille est une ville d’avenir, où nature et urbanisme se rencontrent et dialoguent, où l’humain est placé au centre et où les différences qui cohabitent constituent la beauté des rues de la ville.

Macadam Color Street Photo, de Jean-Christophe Béchet, Loco, 192 p., 45 €.

2 Regards du Grand Paris

Le livre photographique Regards du Grand Paris est le fruit d’une commande portée par les Ateliers Médicis et le Centre national des arts plastiques qui, depuis 2016, mettent en avant des talents artistiques qui racontent les évolutions de la région parisienne. La commande visait à susciter des regards sensibles, multiples et décalés sur un territoire en pleine transformation, à inviter les artistes à livrer leur récit et leur perception des mutations du Grand Paris.

À mi-parcours de cette commande, Regards du Grand Paris rassemble, dans un premier volume, 35 projets réalisés en cinq ans, qu’il expose selon des modalités variées et élaborées en collaboration avec les artistes. Aurore Bagarry suit ainsi les trajets de l’eau du bassin parisien et recense les traces laissées par les anciens océans ; Raphaël Dallaporta survole le Grand Paris du haut des tours de contrôle et de télécommunication ; Karim Kal photographie de nuit les paysages délaissés le long du RER D ; Lucie Jean partage les derniers moments de loisirs des baigneurs d’un lac destiné à devenir un site des Jeux Olympiques ; Marion Poussier va à la rencontre des personnes qui « habitent » les quais du Canal Saint-Denis ; et Anne-Lise Seusse, quant à elle, suit le mouvement des objets dans le sillage des biffins.

©Textuel

Le livre est accompagné des écrits de Magali Nachtergael, qui porte sur chaque projet un regard singulier. D’autres auteurs et autrices sont invités dans les pages de cet ouvrage : Romain Bertrand, Meriem Chabani, Emanuele Coccia, Kaoutar Harchi, Frédérique Aît-Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire.

L’ouvrage fait la part belle à la diversité d’identités et de regards qui composent le Grand Paris, un territoire dont les photographes mettent en avant ombres et lumières. Un grand projet photographique qui s’intéresse à celles et ceux qui habitent cet espace en pleine mutation et s’adresse à celles et ceux qui en observent les fascinants changements, les identités multiples, les évolutions urbaines et culturelles.

Regards du Grand Paris, Collectif, Textuel, 272 p. 45 €.

3 Urbex monde, de Jonk

Dans ce livre paru en mars 2022, le photographe anonyme Jonk propose un périple urbain hors du commun au sein de lieux à la beauté industrielle délabrée. Le photographe explore ainsi, sans autorisation, des bâtiments urbains laissés à l’abandon et en immortalise l’étrange et déroutante beauté. D’anciennes prisons spectrales, des châteaux et hôtels particuliers à l’abandon, des usines et même l’ancienne ville interdite de Tchernobyl : Jonk a exploré l’urbanité autrement en se demandant ce qu’il se passe quand les hommes désertent leur environnement.

©Arthaud

Une réflexion à la fois brute et poétique sur les ruines urbaines, ces restes qui raconteront peut-être notre histoire aux générations futures. La pratique de l’urbex, l’exploration des zones fantômes de nos villes, est largement abordée dans cet ouvrage qui en est une parfaite illustration.

Dans ce livre voyageur, le photographe se penche ainsi sur le processus d’abandon et de regénérescence, de vie après la mort, alors que la nature s’empare de ces vestiges et reprend ses droits sur l’urbanité.

Urbex monde, de Jonk, Arthaud, 167 p., 21 €.

4 Faux bourgs, de Yohanne Lamoulère

Dans ce livre, la photographe urbaine Yohanne Lamoulère explore et rend hommage à sa ville, Marseille. Désormais destination privilégiée d’un exode de la capitale, considérée comme une ville où démarrer un style de vie nouveau, plus humain et près de la nature, Marseille fait l’objet de milliers de fantasmes.

Pourtant, la ville qui change de visage est aussi victime de cette gentrification incontrôlable qui invisibilise les enjeux sociaux qui la traversent. Comme si, pour échapper aux stéréotypes promus par les médias durant des décennies, les nouveaux arrivants devaient faire fi de la réalité urbaine dans laquelle ils s’insèrent.

Depuis 2009, Yohanne Lamoulère traque les soubresauts de la ville, en campe les désastres et brise ses représentations pour mieux les réinventer en compagnie de ceux qui l’habitent. De cette décennie d’observations résulte Faux Bourgs, un livre sensible et intuitif, qui décrit à la fois les évolutions de Marseille et de ses habitants, qui en sont l’âme et le cœur.

©Yohanne Lamoulère/Le Bec en l'air

La photographe explore alors les quartiers périphériques – qui sont pour elle le cœur vibrant de la cité –, la jeunesse, l’image de soi et le lien identitaire qu’on entretient avec son territoire. « Tout ici est montré de la réalité de quartiers relégués, avec la précision teintée de poésie de ceux qui savent ce qu’ils photographient », explique la maison d’édition Le Bec en l’air.

Avec les textes de Nicolas Dutent et Alèssi Dell’Umbria, l’ouvrage capte l’énergie si particulière de la ville, à la découverte de ces « mondes intranquilles » d’où naissent rêves et nouvelles possibilités.

Faux bourgs, de Yohanne Lamoulère, Le Bec en l’air, 128 p., 35 €.

5 Le grand livre de la photo urbaine, de Tim Cornbill

Pour terminer cette sélection, voici un guide pratique et complet pour apprendre à photographier les villes. Dans Le Grand Livre de la photo urbaine, Tim Cornbill partage en effet sa passion pour les villes du monde. Le photographe y dévoile son savoir-faire et des techniques utilisées par certains des plus grands photographes pour capturer les environnements urbains : Brassaï, Martin Parr et Henri Cartier-Bresson.

Les pratiques photographiques possibles sont nombreuses : photo de rue, portraits, paysages urbains ou encore paysages nocturnes. Sujet photographique inépuisable, source d’inspiration infinie et terrain de jeu, la ville offre ainsi des milliers de possibilités de lumière, de couleurs, de cadrages et de lieux – que chacun pourra interpréter selon le regard qu’il pose sur le monde.

Avec cet ouvrage, les éditions Dunod offrent donc à tout le monde la possibilité de photographier la ville autrement. Dans cette pérégrination, l’auteur nous emmène à Barcelone, Berlin, Birmingham, Dubaï, New York, Paris et nous propose de les arpenter l’appareil photo à la main, prêt à en saisir les évolutions et les spécificités.

Le Grand Livre de la photo urbaine, de Tim Cornbill, Dunod, 192 p. 29 €.

À lire aussi

Article rédigé par
Costanza Spina
Costanza Spina
Journaliste
Pour aller plus loin