Entretien

Juliette-Andréa Élie : “La photographie est le truchement par lequel entrevoir la poésie”

25 septembre 2023
Par Apolline Coëffet
Fire)(scapes
Fire)(scapes ©Juliette-Andréa Élie

En 2023, Fisheye fête ses 10 ans. À cette occasion, la rédaction de L’Éclaireur, en partenariat avec le bimestriel dédié à la photographie contemporaine, a décidé de mettre un coup de projecteur sur les projets d’artistes publiés dans les pages du magazine. Pour ce troisième portrait, lumière sur Juliette-Andréa Élie.

Fortes de leur devise « raconter, inspirer, révéler », les équipes du magazine Fisheye ont à cœur de partager avec leurs lecteurs et lectrices des séries de clichés aux histoires singulières, et ce, depuis maintenant une décennie. Pour fêter l’événement, la rédaction de L’Éclaireur a décidé de faire le portrait des photographes mis en avant dans le magazine. Coup de projecteur aujourd’hui sur Juliette-Andréa Élie et sa série Fire)(scapes, à découvrir dans les pages du Fisheye n° 60.

Après l’obtention de son master à l’école supérieure des Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire, Juliette-Andréa Élie entame une carrière de photographe et plasticienne. Portant un intérêt particulier à l’anthropocène, ses compositions gravitent toujours autour de la représentation du paysage et des relations que les individus entretiennent avec les autres membres du vivant. Tour à tour, chacune de ses séries interroge ainsi les conséquences de l’activité humaine et propose, en creux, de faire l’état des lieux de la planète.

Renouer des liens avec la faune et la flore

En 2019, tandis que les mégafeux embrasent l’Australie, Juliette-Andréa Élie s’émeut de constater que les animaux et les lieux qu’elle a immortalisés quelques années auparavant sont profondément affectés par la situation. C’est alors que lui vient l’idée de concevoir Fire)(scapes, une série qui soulève les manières de s’échapper de cette mécanique de feux dévastateurs. À cet effet, l’artiste réemploie ses photographies passées auxquelles elle appose divers graphiques et données scientifiques, mettant deux visions en regard, l’une météorologique et l’autre artistique. 

Fire)(scapes©Juliette-Andréa Élie

Au fil des images, le drame, encore latent, se devine. Oscillant du rose pâle au sépia, ses compositions cristallisent une végétation et ses habitants qui ne cesseront de s’amenuiser à mesure que les dérèglements climatiques prendront de l’ampleur. À travers ce projet, soucieuse de renouer des liens avec la faune et la flore, la photographe souhaite mettre en lumière toute l’importance des mémoires individuelles et collectives, en s’inspirant notamment des traditions du passé. « Cette série s’intéresse aussi à la culture des aborigènes d’Australie, et plus spécifiquement à leur rapport intime et sociologique aux arbres, aux animaux et à leur environnement. J’ai voulu imprégner mes objets photographiques de ce que je comprenais de leur manière de faire monde autrement », explique-t-elle.

Récemment décorée du prix Une Autre Empreinte – Prix Photo Dahinden 2023 pour Mysterious Mist, Juliette-Andréa Élie participera à l’exposition que la BnF consacre aux Épreuves de la matière. Celle-ci aura lieu du 10 octobre au 4 février 2024.

Comment définiriez-vous votre univers ?

Je me nourris de recherches philosophiques, sociales et scientifiques (avec une grande passion pour le langage météorologique) en regard des préoccupations écologiques actuelles. Et, en même temps, ma manière spontanée de créer est plutôt du côté du poétique, de l’intuition. C’est au croisement de ces regards que naissent mes photographies. Avec toujours en filigrane, l’inépuisable question de la représentation du “paysage”, qui renvoie aussi à notre place d’humain dans le monde. 

Mysterious Mist©Juliette-Andréa Élie

Quel est votre rapport à l’image ? 

Dans la société actuelle, on consomme rapidement les images plus qu’on ne s’en délecte. Je me sens plutôt proche des artistes qui font de la résistance et travaillent à rebours de cette course.

J’aime rendre l’image tangible, la faire apparaître dans la matière, lui faire rencontrer un support cohérent, parfois des éléments (comme la pluie), travailler son aspect sensuel, sa peau. C’est pourquoi je crée souvent des reliefs, je retravaille le tirage au crayon ou à l’aquarelle ; j’aime ses accidents, j’envisage son recto et son verso, sa transparence, ses couches, sa profondeur… J’ai besoin d’avoir ce contact charnel qui peut aller jusqu’à un déploiement des images dans l’espace. C’est d’ailleurs pareil avec mon travail vidéo, que j’accompagne souvent d’une performance vocale que j’envisage comme une matière sonore. J’espère alors qu’il se passe une sorte de relation physique entre les spectateurs et les spectatrices et la présence particulière de l’image. 

Mysterious Mist©Juliette-Andréa Élie

À quoi sert la photographie selon vous ?

Il y a plein de photographies différentes. Elle peut servir d’outil à fabriquer des souvenirs, à documenter, à militer. 

Pour moi, elle ne s’arrête pas à la technique, elle est le truchement par lequel entrevoir la poésie, faire lumière ou regarder l’obscur, le trouble. Révéler quand les mots manquent. La photographie, c’est la possibilité de ce mouvement-là, d’un chemin qui dévoile l’essence des choses et des êtres.

Mysterious Mist©Juliette-Andréa Élie

Qu’avez-vous appris grâce à la photographie ?

La photographie m’apprend littéralement à travailler (avec persévérance !) mon regard, dans le sens où elle transforme ma vision, par les contraintes et les possibilités de l’outil. Elle me rappelle que ce que je vois et ce que je suis sont une combinaison incroyable de matières, formes, mouvements et lumières. Enfin, elle m’a certainement appris comment saisir des fragments d’éternité dans notre monde si flottant.

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Article rédigé par
Apolline Coëffet
Apolline Coëffet
Journaliste