Le réalisateur et scénariste à qui l’on doit notamment Boîte noire et Un homme idéal est de retour avec Visions, un thriller psychologique qui sort en salles ce mercredi 6 septembre, avec Diane Kruger et Mathieu Kassovitz en tête d’affiche. Rencontre.
Quelle histoire se cache derrière Visions ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure, en tant que scénariste et réalisateur ?
Je voulais explorer le thème du contrôle et du dérèglement. Ce paradoxe entre le désir de maîtriser les choses et l’envie de s’abandonner. Je crois que cette ambivalence est en chacun de nous. Dans notre vie, on aspire tous à une forme de sécurité, de répétition et d’ordre qui nous rassure. Mais, en même temps, il y a une part de nous qui veut sortir de ce carcan et qui peut être autodestructrice. Cette dualité entre passion et raison m’intéressait beaucoup, et c’était le point de départ de ce film.
J’ai longtemps cherché l’univers dans lequel il pouvait se dérouler, son personnage principal et son métier. Finalement, cette femme pilote de ligne qui est dans la maîtrise était une figure parfaite pour initier la mécanique du dérèglement que je voulais développer.
Pour comprendre son environnement, j’ai été amené à rencontrer des commandants de bord et j’ai découvert un milieu fascinant. C’est un secteur dans lequel vous êtes constamment contrôlé. Vous subissez des tests d’aptitude en permanence, des QCM, des tests en simulateur, des examens médicaux et psychologiques…
Quand j’écrivais, je ne pouvais pas m’empêcher de penser au drame de Germanwings, avec ce pilote de ligne qui a précipité son avion contre les Alpes, provoquant la mort de centaines de passagers. Ce fait divers m’a nourri, d’une certaine manière. Je voulais aussi parler des faux-semblants, de la manipulation et du sentiment de prémonition dans les rêves. C’est un sujet qui me fascine depuis longtemps. J’ai donc fusionné toutes ces idées pour créer Visions.
Croyez-vous à ces rêves prémonitoires ?
C’est étrange, car je suis quelqu’un de très rationnel dans la vie, mais quand il s’agit de films, je crois à tout – mêmes aux fantômes. Je suis fasciné par les rêves, et je pense qu’ils ont une mécanique commune avec le cinéma. Dans ce dernier, vous êtes plongé dans une salle obscure, dans un état presque somnambulique où vous regardez des images qui vous paraissent être vraies, mais qui ne sont pas réelles.
« Dans Visions, j’ai essayé de faire en sorte que les cartes soient constamment rebattues pour créer un vrai film sensoriel. »
Yann Gozlan
C’est un peu le même principe quand vous dormez : vous êtes persuadé d’être dans la réalité et de vivre quelque chose de vrai. Au réveil, vous mettez un petit temps avant de réaliser que ce n’est pas le cas – comme quand vous sortez d’une salle de cinéma : vous êtes encore dans le film, vous êtes aveuglé par la lumière du jour et vous mettez du temps à réaliser où vous vous trouvez. Je trouve ce parallèle assez fascinant. Pour répondre à votre question, je crois aux prémonitions, car des proches ont connu ce sentiment-là. Je pense qu’il y a une part un peu irrationnelle dans l’humain.
Vous le disiez, le quotidien d’Estelle est très rangé et millimétré. Cependant, ses visions ont chamboulé sa petite vie parfaite. Ce sentiment de perte de contrôle vous fait-il peur ?
Absolument. Je crois que j’ai mis quelque chose de très personnel dans chacun de mes films. D’ailleurs, je parlais déjà de ce sentiment dans Boîte noire, mon précédent long-métrage. Le personnage incarné par Pierre Niney était aussi un control freak.
C’était un très grand professionnel, mais il était un peu obsessionnel et il a perdu pied. Je trouve qu’il y a des parentés avec Visions. Donc oui, la perte de contrôle me fait peur. Quand vous réalisez un film, vous êtes obligé de contrôler les choses, d’être dans le détail et aussi précis que méticuleux.
J’ai remarqué un autre lien avec Boîte noire : la paranoïa. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette thématique ?
J’aime le fait de questionner la vérité. A-t-on raison ? Est-on parano ? Quand vous le devenez, le monde extérieur se révèle hostile. Je suis peut-être attiré par des personnages obsessionnels qui ont un rapport au monde complexe.
Visions pose plein de questions : Ana, qui resurgit du passé, est-elle toxique ? Le mari, incarné par Mathieu Kassovitz, est-il manipulateur ? Finalement, je crois que la plus grande ennemie d’Estelle, c’est elle-même. La paranoïa, c’est aussi ça : des personnes qui se débattent avec elles-mêmes.
Ce personnage d’Ana raconte aussi le retour d’un amour dont on n’a jamais vraiment guéri. Est-ce une thématique qui vous parle ?
Pas particulièrement. Je pense néanmoins qu’un amour très fort vécu à l’adolescence ou durant notre vie de jeune adulte nous marque à vie. Le retour d’Ana permet de montrer la complexité d’Estelle. Cette femme qui nous semblait être dans le contrôle total nous dévoile ses fêlures. Cette thématique est universelle et permet au spectateur de s’identifier. C’est ce qui fait de nous des humains.
La fin de Visions est particulièrement marquante et nous reste en tête pendant un long moment. Quels sont les films qui vont ont retourné le cerveau ?
Certains films m’ont énormément marqué et même choqué. Je pense au Locataire de Roman Polanski, qui parle de la psychose et de la folie. Cette fin en spirale m’a complètement déboussolé. Ça a été un vrai choc. Je pense aussi à la révélation du Sixième sens, qui est remarquable. Lorsqu’il prononce ces paroles, vous vous refaites tout le film dans votre tête en le voyant différemment. C’est brillant.
Dans une interview accordée à Télérama en septembre 2021, vous affirmiez que vous aimez filmer ce qui vous angoisse. Quelle peur se cache derrière Visions, mis à part la perte de contrôle ?
Il y a aussi l’aviation, qui est quelque chose qui me fascine et qui me terrifie à la fois. J’ai très peur en avion – sans doute parce que je n’ai pas le contrôle. Je suis aussi angoissé par cette idée de dérèglement, quand la machine commence à se gripper et devient folle. Estelle plonge dans une spirale de la même manière qu’un avion ferait une chute dans une sorte de looping.
Mais, au-delà de ces peurs, je voulais surtout créer un film ludique pour le public. J’aime bien quand une œuvre entretient un dialogue avec le spectateur et qu’il y a un jeu entre les deux parties. Quand je suis au cinéma, j’aime être actif et me poser des questions, me demander où est la vérité. Dans Visions, j’ai essayé de faire en sorte que les cartes soient constamment rebattues pour créer un vrai film sensoriel. Je pense qu’il faut le voir dans une salle, car il y a un vrai travail sur l’image et le son qui nous permet d’entrer dans la psyché du personnage principal.
