Le super-héros imaginé par Christopher Cantwell doit défendre l’espèce humaine dans un procès mené par des aliens bien trop conscients de nos défauts. Mais mérite-t-on vraiment le salut ?
En novembre 2022, Nicolas Beaujouan, responsable éditorial de 404 Comics, nous promettait un récit de super-héros pour cette année. Sa jeune maison d’édition ne s’était effectivement pas essayée à cet exercice jusqu’alors, détrompant ceux pour qui bande dessinée américaine rime exclusivement avec hurluberlus en costumes moulants. Pour autant, l’éditeur ne s’interdisait pas de publier les aventures de justiciers encapés, il lui fallait « juste trouver la bonne histoire ». C’est chose faite avec The Blue Flame, qui sort ce 17 mai. Une histoire de super-héros (vraiment) pas comme les autres.
Le blues du surhomme
Excusons-nous d’abord pour cette petite imprécision : il ne s’agit pas d’une histoire, mais de deux histoires. La première, c’est celle de The Blue Flame, un aventurier interstellaire, digne des Adam Strange, Green Lantern et autres Flash Gordon habitués à sauver des planètes entières. Un hommage assumé à des récits de science-fiction super-héroïque qui ont fait vivre au genre ses âges d’or et d’argent.
La seconde histoire suit Sam Brausam, réparateur de chaudières le jour et « real life super hero » la nuit. Comme le font certains de ces justiciers, bien présents dans notre monde tout en chair et en 3D, il parcourt les rues de sa ville, Milwaukee, en se déguisant pour aider son prochain et faire régner l’ordre, sous l’identité de… The Blue Flame.
Dès le début, une question s’impose : quelle est la véritable histoire dans tout ça ? Celle de l’ouvrier Sam Brausam semble plus réaliste, mais elle n’est, elle aussi, qu’une aventure d’encre et de papier. Que doit-on croire alors ? Cette quête de vérité va sous-tendre tout cet album, axé notamment autour d’un procès durant lequel la question d’une vision unique et véridique de l’humanité apparaît de plus en plus problématique au fil des chapitres. Car ce procès, c’est bien celui de notre espèce, et notre avocat n’est autre que The Blue Flame.
Ce postulat de départ accrocheur promet de beaux rebondissements sous la plume du scénariste Christopher Cantwell, maître en la matière. Le public francophone a déjà pu s’en apercevoir l’an dernier, avec Everything, paru chez le même éditeur, qui avait créé la surprise en librairie. L’auteur est cette fois accompagné d’Adam Gorham au dessin ; son précédent acolyte, I.N.J. Cullbard ayant fait cavalier seul sur un autre titre récent de 404 Comics : Salamandre.
Enfin, et c’est assez rare pour être précisé, l’équipe artistique autour de ce projet est renforcée par Aaron Fischer en tant que… compositeur. Le musicien a en effet créé une bande originale destinée à accompagner les lecteurs dans leur découverte de l’intrigue. Un autre choix surprenant de prime abord, mais pas tant que ça quand on y réfléchit un peu.
Du thème mythique de Superman aux cassettes vintages des Gardiens de la galaxie, de nombreuses musiques ont renforcé le ton des récits de surhommes. En l’occurrence, celles d’Aaron Fischer sont plus mélancoliques qu’épiques, de quoi mettre en garde les lecteurs. Ici, pas de grandes batailles contre des vilains machiavéliques, juste un héros face à sa propre humanité.
Héros commis d’office
La version cosmique de The Blue Flame est confrontée à une organisation alien, le Consensus, qui menace de détruire l’humanité – lui compris – s’il ne trouve pas les bons arguments pour la défendre. De son côté, la version plus terre-à-terre de Sam Brausman affronte les mêmes problèmes que monsieur tout le monde : le travail, les histoires de familles, les soucis du quotidien… À quoi s’ajoute une vie de justicier nocturne qui n’a rien de si extraordinaire.
Bien sûr qu’avec sa petite Justice League de quartier, il a réussi à démanteler un trafic de drogues, mais, la plupart du temps, lui et ses acolytes se demandent comment payer les réparations de leur camion. Cela ne les empêche pas d’être les petites stars de leur ville et de vivre un véritable rêve digne des comic books, jusqu’au jour où une fusillade éclate lors d’une séance de dédicaces.
Sam se réveille handicapé et seul survivant de la troupe héroïque. Faible, impuissant, il n’est plus qu’un simple humain. Quel que soit l’arc narratif, que l’action se passe sur Terre où dans l’espace, c’est bien là le cœur de tout le récit : qu’est-ce qu’être humain ? Comment faire les choses bien, ou simplement mieux, compte tenu de nos faiblesses physiques et morales ?
C’est ce que The Blue Flame tente de faire comprendre au Consensus en même temps qu’il tente de l’assimiler lui-même, en admettant sa part d’ombre et celle de ses défunts amis. Ce processus personnel permet à Cantwell et Gorham de livrer un plaidoyer en faveur d’une humanité qui, soyons honnêtes, ne mérite pas tous les jours d’être sauvée.
Mais les deux artistes ne jouent pas aux juges et endossent tantôt le rôle de procureur, tantôt celui d’avocat de la défense en se servant de la thématique des super-héros comme prétexte. Car que sont les justiciers masqué,s si ce n’est des hommes et des femmes qui se voilent littéralement la face pour se donner une allure de créatures invincibles alors qu’ils sont on ne peut plus faillibles ?
C’est ce qui a fait le sel des meilleures aventures du genre, de Watchmen à Batman – The Dark Knight Returns. C’est aussi ce qui rend ces personnages hauts en couleur si passionnants. Éprouverait-on autant de sympathie pour Spider-Man si le masque de l’Homme-Araignée ne cachait pas un Peter Parker un brin loser ?
Véritable hommage à tout un genre, The Blue Flame en extirpe la quintessence pour produire un récit sur l’humanité elle-même, cette espèce qui tente de faire les choses bien, malgré ses trop nombreuses imperfections. L’histoire de Sam et le procès mené par le Consensus mènent tous deux à cette même conclusion : qu’importe que l’on soit fort ou faible, innocent ou coupable, masqué ou pas, nous faisons simplement notre possible. Cela suffira-t-il à nous sauver ? Réponse dans ce nouveau comics.