Après Hérédité et Midsommar, Ari Aster est de retour sur grand écran avec Beau is Afraid, ce mercredi 26 avril. L’Éclaireur a profité de la sortie de ce troisième long-métrage pour revenir sur ce qui fonde l’univers de ce réalisateur incontournable du cinéma de genre.
Depuis quelques années, le cinéma de genre connaît un second souffle. Traditionnellement associé à l’horreur de série B, cet univers a su se réinventer en se débarrassant des codes nanaresques pour offrir des divertissements à la fois scénaristiquement profonds et visuellement bluffants.
À l’origine marginalisé, il tend à se démocratiser de plus en plus de nos jours, impulsé notamment par la reconnaissance de ses ambassadeurs dans les plus grandes cérémonies de récompenses. On se souvient de l’Oscar attribué à Jordan Peele pour Get Out (2018), du sacre de Julia Ducourneau pour Titane en 2021, ou encore la prévalence des studios A24, société de production indépendante américaine, à qui l’on doit le multirécompensé Everything Everywhere all at Once des Daniels.
Le père du cinéma de genre
Depuis dix ans, le genre peut également compter sur plusieurs fers de lance comme David Robert Mitchell (It Follows, Under the Silver Lake…), Alex Garland (Annihilation, Men…) et Robert Eggers (The Lighthouse, The Northman…), trois talents passés par le Festival de Cannes. Or, parmi tous ces représentants, il est un chef de file dont l’irréprochabilité cinématographique a su conquérir le public autant que la critique. Un leader dont le talent visuel et émotionnel n’a de cesse de gagner en puissance : Ari Aster.
À peine âgé de 36 ans et avec seulement trois longs-métrages au compteur, le cinéaste américain a su s’imposer comme la figure de proue du cinéma de genre. Ce titre, il le doit notamment à ses années vidéoclubs dans lesquels le jeune new-yorkais a passé toute son adolescence. Roman Polanski, Federico Fellini, Michael Powell, Emeric Pressburger, Ingmar Bergman… Leurs œuvres nourriront les références du cinéaste en herbe, ainsi que les courts-métrages qu’il scénarise et réalise durant ses études à l’American Film Institut.
Son travail acharné et sa dévorante passion pour cinéma de genre sont tels qu’il ne tarde pas à se faire remarquer en 2011 avec The Strange Thing about the Johnsons, court-métrage qui raconte la relation incestueuse menée par un fils sur son père. Projeté au Slamdance, puis diffusé sur Internet, le film ne manque pas de remuer le public qui comprend que derrière cette gueule d’ange se cache un esprit créatif prêt à provoquer l’inconfort le plus extrême. Par ailleurs, si à l’époque de sa sortie le film a suscité des réactions démesurées, de par son traitement tabou et l’aspect horrifique, The Strange Thing about the Johnsons représente aujourd’hui les fondements du cinéma astérien développés par la suite dans les longs-métrages du réalisateur.
Culte, malaise et famille : le triplé d’Ari Aster
Le premier, Hérédité, sort en 2018, porté par Toni Collette et le jeune Alex Wolf. Véritable succès critique et commercial – il deviendra le film le plus rentable d’A24 – le long-métrage raconte le destin tragique des Graham. Alors que la matriarche, Ellen, décède, sa famille va découvrir un terrifiant secret à propos d’une étrange lignée à laquelle aucun membre ne pourra échapper.
Au moment de sa sortie, la presse française n’hésite pas à comparer son impact à celui de L’Exorciste (1973). Les experts du cinéma de genre et d’horreur tiennent alors leur nouveau chef de file. Après William Friedkin, c’est donc au tour d’Ari Aster d’offrir sa vision de l’enfer, des démons et des cultes païens, un traitement qu’il paracheva dans son deuxième long-métrage, Midsommar (2019).
Après Paimon, le Dieu de l’Enfer dépeint dans Hérédité, Ari Aster filme ici les péripéties d’un groupe d’amis pris au piège par une secte suédoise. Avec ce long-métrage, le réalisateur prend une nouvelle fois le contre-pied des codes cinématographiques de l’horreur, en choisissant de placer ses personnages au cœur d’un thriller psychologique baigné de lumière. Cette atmosphère contraste avec le délire ambiant et la folie qui s’empare peu à peu des héros.
D’ailleurs, si dans ses films la violence est certes graphique, elle est surtout psychologique. La noirceur de son cinéma ne réside pas tant dans les éclats de sang et les jump-scare, malgré sa redoutable maîtrise, mais plutôt dans une torture psychique des protagonistes et l’exposition des traumatismes familiaux.
Le rapport à la famille est aussi très fort chez le cinéaste. Que ce soit la maternité corrompue dans Hérédité, et dans Beau is Afraid, la perte soudaine de ses proches dans Midsommar, ou encore dans Munchausen (2014) – court-métrage d’horreur muet dans lequel Bonnie, une mère surprotectrice tente d’empêcher son fils d’aller à l’université – tous les films d’Ari Aster abordent la famille, souvent dans ce qu’elle a de plus problématique et de plus pervers.
Cette thématique récurrente offre des films d’horreur étrangement intimistes qui sondent l’âme humaine entre noirceur et fragilité. Une vulnérabilité que l’on doit à Ari Aster lui-même qui insuffle dans ces œuvres ses propres obsessions et apprivoise grâce à eux ses démons. Par exemple, Hérédité est basé sur un cauchemar persistant du réalisateur dans lequel il perd un membre de sa famille. L’histoire de Dani (Florence Pugh) et de Christian (Jack Reynor) dans Midsommar est inspirée d’une rupture amoureuse vécue par le cinéaste, tandis que Beau is Afraid a un lien très fort avec la judaïcité, religion dans laquelle il a été élevé.
Le réalisateur semble ainsi utiliser ses films comme une thérapie, le malaise servant de catharsis, ainsi qu’un tempo horrifique dont lui seul a le secret. Le principal ingrédient de la recette Ari Aster réside en effet dans le mal-être que ses films provoquent chez le spectateur. Les plans-séquences, signature que l’on retrouve dans la plupart de ses œuvres, servent d’ailleurs techniquement la tension de ses longs-métrages, tout comme la position à 180 degrés de la caméra au-dessus des personnages, symbole d’un mal qui gronde, auquel ils ne pourront pas échapper. Ainsi, et à la manière d’un Stanley Kubrick, ou bien d’un Gaspard Noé, Ari Aster fait primer le malaise sur la peur.
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Son génie réside dans l’aspect viscéral et paranoïaque de son cinéma dont Beau is Afraid est peut-être l’œuvre la plus aboutie. Avec ce nouveau long-métrage, il semble vouloir embarquer son public dans un voyage psychédélique à la fois dérangeant et virtuose. Ce cauchemar obsessionnel, initialement baptisé Disapointment Boulevard, porté par Joaquin Phoenix, est basé sur un premier court-métrage du réalisateur. Attendu ce mercredi 26 avril dans les salles obscures françaises, ce troisième film, décrit comme le plus audacieux et le plus absurde de sa carrière, devrait cependant s’inscrire dans la continuité de sa filmographie.
Le petit favori d’A24 est désormais un réalisateur accompli. À travers le mal-être de ses personnages, leurs traumatismes familiaux, ainsi que la maîtrise de sa mise en scène, Ari Aster est parvenu à nous offrir de véritables claques cinématographiques, nourries de références et d’obsessions personnelles.
L’affirmation de son style et de propositions cinématographiques uniques, à la fois portées par des acteurs reconnus à Hollywood (Toni Colette, Gabriel Byrne, Joaquin Phoenix, Amy Ryan…) et la nouvelle génération du septième art (Alex Wolf, Florence Pugh, Michael Gandolfini, Will Poulter…), favorisent aujourd’hui le rayonnement du cinéma de genre dont il est le chef de file. Dans cette optique, il troquera d’ailleurs sa casquette de réalisateur pour s’essayer à la production de Dream Scenario, long-métrage porté par Nicolas Cage, et réalisé par Kristoffer Borgli (Sick of Myself), l’un des fidèles – comme nous – du génie d’Ari Aster.
Beau is Afraid d’Ari Aster avec Joaquin Phoenix, Nathan Lane et Amy Ryan – 2h59 – le 26 avril 2023 au cinéma.