
« Louise, quoi qu’il arrive, je suis contente d’être partie avec toi ». Trente ans après, le road-movie féministe de Ridley Scott continue de perdurer dans la mémoire des spectateurs. Résonnant comme un cri de liberté, « Thelma et Louise » symbolise la révolte, l’amitié et la fatalité. On vous explique pourquoi c’est culte.
Un duo féminin iconique
Thelma et Louise s’ouvre sur ces deux figures féminines radicalement différentes, mais intrinsèquement proches. Thelma (Genna Davis), jeune femme douce et naïve, évolue sous le joug de son mari autoritaire : Daryl (Christopher McDonald). Louise (Susan Sarandon) quant à elle, possède un caractère affirmé, incarnant l’indépendance et la maturité. Cette dualité installée d’entrée de jeu jette les bases d’une entraide féminine unissant les deux protagonistes.
Au fil du long-métrage – et après la tentative de viol qu’elle a subie – Thelma abandonne la jeune femme fragile qu’elle était et s’émancipe, comme libérée. Défiant les hommes et le patriarcat, elle tient tête à son mari et à tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Thelma révèlera ainsi la femme forte sommeillant au fond d’elle en s’affranchissant de son passé, en explorant sa sexualité – avec le personnage de JD (Brad Pitt) – et en se réappropriant son corps. Louise, quant à elle, conservera son assurance dûment acquise tout en laissant apparaître une certaine fragilité. Son passé douloureux resurgira, révélant le traumatisme d’un viol antérieur. Une révélation qui confère à son personnage une dimension plus profonde, appuyant le courage et la force de la jeune femme. Ainsi, les deux héroïnes puisent leur force dans leur complémentarité, surmontant ensemble chaque obstacle au cours de leur cavale. Cette sororité les pousse à persévérer, à se reconstruire et à se débarrasser de ce qui entrave leur liberté.
En plaçant ce duo entièrement féminin au premier plan, Ridley Scott ouvre la voie. Thelma et Louise deviendra une référence en termes de représentation de figures féminines, influençant le cinéma de 1991 à nos jours.
Un road trip féministe
Le viol auquel échappe Thelma, secourue de peu par Louise marque un tournant décisif dans le long-métrage. Jusqu’ici empreint de légèreté, celui-ci devient subitement plus sombre et engagé. Le revolver, arme du crime, deviendra un étendard, vecteur d’autonomie et de défense, aidant à l’affirmation des deux héroïnes.
C’est donc à compter de ce moment que la prise de pouvoir des deux femmes commence. Ridley Scott marque d’autant plus ce changement scénaristique par l’inversion des codes de représentation genrés, une démarche des plus audacieuse pour le cinéma de l’époque. Le duo se « masculiniserait » comme certains aiment le dire. Or, c’est une tout autre chose. Le cinéaste anglais révolutionne la représentation féminine à l’écran en adoptant un point de vue centré sur leur expérience. Ainsi, la mythique scène érotique avec Brad Pitt (ici au début de sa carrière) est présentée d’un point de vue féminin (le fameux « female gaze »). L’homme se mue en objet et son corps est perçu au travers du désir de Thelma. Ce changement de perspective émancipe ainsi notre héroïne du regard masculin et ce, jusque dans la captation filmique. Une variation audacieuse qui se place en marge des attentes traditionnelles classiques et qui révolutionne, pour son époque, le septième art.
L’émancipation des deux jeunes femmes évolue ensuite vers une quête de liberté. Le choix du road-movie, loin d’être annodin, permet une captation des paysages américains et de leurs espaces infinis – reprenant les codes des westerns de John Wayne. Le film d’errance cristallise la quête des héroïnes tout en leur insufflant un sentiment de liberté illusoire. Bien que Thelma et Louise pensent être débarrassée de leurs fantômes, il n’en est rien. Scott vient dès lors rappeler le piège dans lequel nos héroïnes sont prises. Un piège ayant commencé dès leur prise de pouvoir – indésirée par les fondements patriarcaux – et qui laisse entrevoir un semblant d’espoir pour ensuite le réduire à néant. Car les deux jeunes femmes restent coincées, tendant vers leur fin.
En traitant du viol, de l’émancipation et de la justice fondée sur le patriarcat, Thelma et Louise initie un débat générationnel sur le féminisme. En réalisant ce long-métrage, Scott met en exergue les failles d’un système archaïque construit par les hommes, pour les hommes.
Une fin inoubliable
La fin de Thelma et Louise en fait immanquablement un film culte et inoubliable. Et fera l’objet de très nombreux hommages et clins d’œil dans diverses productions cinématographiques, de Léon aux Simpson en passant par Wayne’s World 2 et d’autres encore. Prises dans un engrenage implacable, les deux jeunes femmes foncent inévitablement vers la mort. Leur émancipation presque pleinement accomplie, Thelma et Louise contemplent le Grand Canyon. L’immensité du paysage, baigné dans le calme, se voit ébranlé par l’arrivée des forces de l’ordre. Piégées, les deux femmes n’ont plus d’échappatoire. La mythique Thunderbird verte s’élance donc vers la falaise, laissant dans son sillage le Polaroïd qu’elles avaient pris avant leur périple. Véritable témoin de leur transformation, ce vestige symbolique de leur passé souligne la fin d’une ère, celle de la soumission, pour le début d’une nouvelle : celle de la liberté. Émane alors une lecture féministe du choix conscient et de l’ultime prise de contrôle des deux protagonistes, préférant la délivrance par la mort plutôt que la soumission au patriarcat. Un acte ultime de rébellion loin d’être désespéré, revendiquant l’émancipation totale de nos héroïnes.
Scott scinde définitivement les parties féminines et masculines de son long-métrage. Dans une alternance de plans, il filme Hal (le policier à leur recherche incarné par Harvey Keitel) courant au ralenti après la voiture, un acte qui contraste avec la vitesse des deux amies. Ainsi, il souligne pleinement l’affranchissement du duo de la domination masculine. Jusqu’à la dernière seconde de son film, Scott recentre encore sa caméra sur les deux héroïnes et non sur le regard que les hommes portent sur elles. En ce sens, le cinéaste assume son parti pris et son regard féministe. La dernière image du long-métrage, celle de la voiture dans les airs, se conclut par un fondu au blanc. Tragique, mais rêveuse, la fin de ce film dessine une touche d’espoir, un envol vers la liberté.
Alors, on l’a bien compris, ici pas de happy end hollywoodien classique. À la place, un baiser puissant, un accélérateur enfoncé, des mains qui se nouent, une voiture qu’on n’arrête plus et une scène qui reste à jamais dans nos mémoires.