Entretien

Olivia Merilahti (The Dø, Prudence) : “Dans Aspergirl, la question de la normalité me parlait, car je me suis souvent sentie inadaptée et en marge”

04 avril 2023
Par Agathe Renac
Olivia Merilahti était présente à Series Mania pour la série “Aspergil”.
Olivia Merilahti était présente à Series Mania pour la série “Aspergil”. ©Marie Rouge/Series Mania

Depuis 2021, Series Mania et la Sacem récompensent la meilleure musique originale du festival. L’Éclaireur a profité de l’événement pour rencontrer Olivia Merilahti, qui a composé la BO électrique et punk de la série Aspergirl. Diffusée le 6 avril sur OCS, elle raconte l’histoire d’une mère de famille découvrant à 38 ans qu’elle présente un trouble du spectre autistique.

Vous vous êtes fait connaître du grand public avec The Dø. Vos musiques ont cartonné dans le monde entier, et Billie Eilish a déclaré que vous étiez son groupe préféré…

La manière dont notre musique touche cette génération nous semble démesurée, mais c’est extrêmement flatteur. Ça nous donne de l’espoir pour ces chansons qui nous semblaient très intimes. On les avait imaginées à deux, dans notre chambre, un peu comme Billie Eillish et son frère. Il y a une sorte de familiarité dans notre manière de créer de la musique.

Avant le titre Offenses, qui est écrit en français, vous chantiez uniquement en anglais. Vous sentez-vous plus à l’aise avec cette langue pour parler de vos émotions ?

C’est une vaste question. L’anglais est ma langue de l’imaginaire et de l’inconscient. J’ai grandi dans une double culture ; ma mère m’a parlé finnois toute ma vie (je parle cette langue avec ma fille aujourd’hui) et j’ai grandi en France. Je navigue entre plusieurs dialectes, et l’anglais est le plus spontané. J’essaye de chanter en français, j’écris un petit peu en finnois, mais c’est plus naturel en anglais. J’éprouve trop de plaisir à composer dans cette langue.

Le processus d’écriture est-il différent quand vous rédigez en français ?

Le cerveau ne marche pas de la même façon en fonction de la langue utilisée. Pour moi, le français est très cérébral. Si je devais écrire des poèmes ou des livres, je le ferais volontiers dans cette langue, mais il y a une souplesse qui me plaît dans l’anglais pour écrire des chansons.

En 2004, la composition de bandes originales vous intéressait déjà et vous aviez travaillé sur L’Empire des loups. Entre-temps, vous avez réalisé trois albums studio avec The Dø, un en solo, reçu une Victoire de la musique, réalisé plusieurs tournées internationales… Pourquoi revenir à l’écriture de BO aujourd’hui, avec Aspergirl ?

J’avais composé la bande originale de plusieurs films avec The Dø, mais j’avais envie de retenter l’expérience. J’ai la chance de pouvoir vivre de ma musique et de créer des chansons dans la plus grande liberté, mais, par moments, j’ai besoin d’un cadre. J’ai besoin qu’on me dise quoi faire et de suivre des directions artistiques qui ne sont pas les miennes.

J’adore l’idée que mes chansons puissent servir une histoire, d’autant plus que je n’avais jamais composé pour une série. Au début, le fait de travailler sur dix épisodes de 26 minutes peut donner le vertige, car ça fait beaucoup de boulot. Il y a tellement de thèmes de cinq secondes, ça devient des centaines de pistes musicales qui peuvent terminer en sac de nœuds.

Comment avez-vous écrit cette bande originale ? Par exemple, certains compositeurs travaillent sur les images, mais d’autres refusent de les voir et préfèrent se baser sur des mots-clés ou un script.

Je ne voulais pas travailler à partir du scénario, j’avais besoin de voir des images. Dans un premier temps, j’ai commencé à travailler sur des rushs pour m’imprégner de l’ambiance et composer les premières chansons. Lola, la réalisatrice, m’a beaucoup aidée en me partageant une playlist de références musicales qu’elle imaginait pour la série. Je n’ai jamais eu de page blanche ! En revanche, c’était plus délicat quand j’ai reçu les épisodes montés. Il y avait plus de détails, plus de besoin d’intensité émotionnelle, et Lola m’a un peu plus guidée à ce moment-là.

Vous êtes-vous inspirée de BO de séries pour cette composition ?

Non, je me basais uniquement sur ce qu’il se passait à l’écran ; je voulais entrer en empathie avec ce que vivaient les personnages principaux. En tant que musicienne, cette question de la normalité me parlait beaucoup, car je me suis souvent sentie inadaptée et en marge. Je suis hyper timide et je me reconnais dans certaines situations cocasses de la série.

Évidemment, c’est différent, car on parle d’autisme, qui est un sujet très sérieux. Mais la thématique de la norme était fascinante à travailler. Par exemple, dans ma chanson Weirdo, je dis qu’on est tous la “personne bizarre” d’un autre. C’est un projet qui me collait à la peau à plein de niveaux ; il y avait tellement de sentiments et de situations à explorer. J’ai l’impression d’être devenue une spécialiste de l’émotion.

Justement, comment retranscrit-on ces émotions à travers une musique ?

Je pense que la mémoire d’une émotion est très importante. C’est un peu abstrait ce que je dis, mais il y avait une partie très cathartique dans cette expérience. Les personnages ne s’apitoient pas sur leur sort. Louison est une guerrière, elle se bat pour son fils, pour elle-même, pour avoir l’air normale, pour essayer d’entrer dans les codes sociaux…

Il fallait composer une musique électrique, maladroite, mais en même temps fonceuse. Cette énergie punk était indispensable. Il y a des moments sentimentaux, mais la musique ne devait pas être plombante. Je pense que cette BO donne une forme de légèreté alors que les personnages traversent des émotions dramatiques. Ce décalage est hyper important pour révéler leur combat.

C’est ce qui fait une bonne BO, selon vous ?

Oui, mais pas que. Une bonne BO, c’est une BO que j’ai envie d’écouter chez moi. C’est comme un personnage qu’on emmène à la maison. Quand on aime une œuvre, la musique est ce qu’on peut garder de plus concret après avoir visionné la série ou le film. C’est ce que je ressens avec celle de Blade Runner, Ghost in the Shell, Interstellar ou White Lotus, plus récemment…

Cette série est géniale ! Vous avez préféré la première ou la deuxième saison ?

Eh bien finalement… les deux. Dans la première, la musique m’a bouleversée. Dans la deuxième, j’ai adoré l’histoire. C’est très surprenant et je ne pensais pas m’attacher autant aux personnages.

Series Mania a dédié une exposition aux génériques de séries. Quel est celui que vous regardez en entier à chaque fois, et que vous ne parvenez pas à passer au début des épisodes ?

Je suis assez terrible avec ça… Le fait de trop écouter une musique m’enlève le plaisir de me replonger dedans. Je ne suis pas hyper fan des génériques. Après, je pense que je n’ai pas trop skippé Stranger Things. C’est un des seuls que j’écoute avec plaisir.

Donc vous ne tapez pas dans vos mains en écoutant celui de Friends ?!

Ah non, je ne peux pas ! Je pense que cette répétition d’images et de musique n’est pas forcément favorable à la série. Après, le générique d’Aspergirl dure quatre secondes donc on ne peut pas s’en lasser et on n’a pas le temps de le skipper !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste