Entretien

Pour Lou Doillon, dans les séries, « il y a de la place pour tout le monde et ça fait du bien »

30 mars 2023
Par Agathe Renac
Lou Doillon était jury pour le festival Séries Mania.
Lou Doillon était jury pour le festival Séries Mania. ©Marie Rouge pour Séries Mania

C’est à la sortie de leur délibération pour décerner le prix de la meilleure série internationale que nous avons rencontré Lou Doillon et Emmanuelle Béart. Bouleversées par leur expérience à Series Mania, elles nous ont parlé de leur rôle de jurées, de l’explosion du petit écran et de leur collaboration rêvée avec Visconti et Proust.

Vous êtes à Series Mania en tant que jurées pour la compétition internationale, notamment aux côtés de Lisa Joy (Westworld). Comment avez-vous vécu cette expérience ? 

Emmanuelle Béart : Comme un très beau voyage. On a fait un tour du monde en regardant des séries qui venaient des quatre coins de la planète. Il y avait un échange informel, drôle, vivant et profondément libre avec les autres jurés, qui venaient de différents pays. Je sortais d’une projection avec une émotion particulière, et les points de vue de mes camarades m’éclairaient. Ça agrandissait mon spectre d’émotions. Ce voyage était magnifique, mais je n’aime pas l’arrivée. Je ressens déjà une forme de nostalgie.

Lou Doillon : Ils ont vraiment très bien choisi les jurés. Dans le groupe, chacun avait une singularité absolue et, en même temps, on avait des fréquences d’entente proches de l’évidence. On venait tous de lieux, de cultures cinématographiques et de métiers différents, mais on était très connectés. Ce groupe avait une grande générosité de partage…

Emmanuelle Béart : Et d’écoute ! 

Le jury de la compétition internationale du festival Series Mania.©Series Mania/Gael Leitao

Lou Doillon : Et d’écoute. On passait notre temps à être grandi par les réflexions des autres. C’est une très belle expérience. Le statut de départ est atroce : on devait juger d’autres personnes, et c’est la chose la plus désagréable au monde. Heureusement, Lisa Joy a réussi à la rendre agréable. C’était une présidente très joyeuse, diplomatique, exaltée, très curieuse d’une culture européenne, très américaine et franche du collier…

Emmanuelle Béart : Elle avait aussi une forme de naïveté.

Lou Doillon : Exactement. Ça restera une expérience très belle, et là, j’ai un gros blues à l’idée de me dire que c’est terminé.

Emmanuelle Béart : Moi aussi, je suis complètement dans le blues !

Vous deviez donc départager neuf productions qui venaient du monde entier ; selon vous, qu’est-ce qui fait une bonne série ? 

Emmanuelle Béart : Je n’en sais fichtre rien, et aujourd’hui encore moins qu’il y a une semaine. En arrivant au festival, j’avais plein de préjugés sur les séries, comme le fait qu’elles devaient être très rythmées, avec des cliffhangers et une sorte d’efficacité artificielle.

Finalement, j’ai découvert ces productions venues du monde entier et j’ai réalisé que cette industrie n’était pas comme je l’imaginais. Au départ, ça m’a déstabilisée. Je ne savais plus du tout ce qu’était une bonne série. Au final, c’est sûrement une œuvre qui me fait battre le cœur et la tête, qui m’éveille sur une thématique, qui correspond à mes inquiétudes et à des thématiques qui me touchent profondément.

Lou Doillon : C’est très abstrait, et notre travail a été de trouver le point de jonction de nos six abstractions. Cette question est aussi intéressante que dérangeante. En mathématiques, c’est facile : il y a un bon et un mauvais résultat. Là, on touche à notre sensibilité. Évidemment, on a donné la même intensité d’écoute, la même chance et le même amour à chaque projet qu’on a vu. Cependant, on a dû se mettre d’accord en se demandant ce qu’était un prix d’interprétation, un prix d’écriture… Le gagnant serait certainement différent avec six autres jurés.

Emmanuelle Béart : Mais il y a eu un accord entre nous…

Lou Doillon : Oui, même si on ne nous a pas rendu le job facile, parce que les séries étaient géniales ! 

Emmanuelle Béart : La sélection était d’un très haut niveau.

Lou Doillon : Et dans des genres différents. C’était très compliqué de mettre au même niveau une comédie, un drame, un drame social… Donc on est revenus aux bases et à ce qui fait de nous des êtres humains : l’amour, le rire, la peur, l’empathie, le désir de savoir plus… 

Aujourd’hui, les séries attirent de nombreuses personnalités du grand écran. Est-ce que vous aimeriez aussi tenter l’expérience ? 

Emmanuelle Béart : Leur rapport au temps et les possibilités qu’elles offrent aux actrices sont fantastiques. Au cinéma, il y a cette histoire de personnalité bankable ou non. Dans les séries, ce n’est pas la même chose. On découvre de nouveaux visages et le choix des acteurs est complètement différent.

Lou Doillon : Les séries nous donnent aussi l’opportunité de développer des personnages en profondeur. Un acteur peut avoir 40 heures de dialogues, de situations, de temps exploités, de temps morts… J’adore cette élasticité du temps. Les séries ont explosé depuis quelques années et elles peuvent désormais se permettre des longueurs, des non-cliffhangers, des histoires et des silences qu’on ne voyait plus. 

C’est merveilleux d’avoir autant de place, aussi bien pour les acteurs, les réalisateurs, les écrivains que les musiciens. Cette immense fabrication et consommation implique le fait qu’ils ont besoin de plus d’acteurs et de genres d’acteurs différents. Ceux qu’on appelle les “minorités” au cinéma ne le sont presque plus dans les séries qu’on a vues. Il y a de la place pour tout le monde et ça fait du bien.

Fauda : je suis complètement raide dingue de tous ses personnages que j’ai profondément aimés.

Emmanuelle Béart

Si ne pouviez regarder qu’une seule série jusqu’à la fin de votre vie, ce serait laquelle ?

Emmanuelle Béart : J’ai répondu Ozark dans une précédente interview, parce que je la trouve chic, mais finalement, je dirais Fauda. Je suis complètement raide dingue de tous ses personnages que j’ai profondément aimés. Cette production m’a fait peur et m’a totalement rendue accro. Je l’ai regardée durant le confinement. J’étais dans le sud de la France et mes enfants me poussaient à regarder des séries. Je leur ai demandé de m’en conseiller une seule. Alors on a lancé Fauda, et j’ai adoré. Toute la journée, je n’attendais qu’une chose : être le soir pour la regarder. Ce genre est aussi addictif que dangereux !

Lou Doillon : Pour moi, c’est Twin Peaks. C’est la première série que j’ai vue et je me suis replongée dedans plusieurs fois ; je la conseille toujours à mes proches en leur disant : “Quoi ? Tu ne l’as pas vue ?!” et je me laisse embarquer à nouveau. J’ai dû la voir cinq ou six fois, et je pourrais la re-re-regarder encore ! J’ai un rapport particulier avec cette production, parce qu’elle me rend nostalgique. Elle me rappelle l’époque où je l’ai découverte, quand j’étais ado et qu’il fallait trouver des VHS – qui étaient plus ou moins foireuses, et il manquait toujours un épisode.

Aujourd’hui, cette œuvre fait partie de ma vie. Cette musique d’Angelo Badalamenti me retourne encore, et chaque personnage m’a touchée. C’est tellement dramatique, utopique, improbable… C’est comme un jeu de tarot. Elle est encore dans mon quotidien et j’en ressens les goûts et les odeurs. Quand je bois du café, je sens celui de l’agent Cooper et je veux toujours la cherry pie !

Imaginez : on vous donne un budget illimité pour écrire la série de vos rêves. Quelle histoire aimeriez-vous raconter ? 

Lou Doillon : Je pense que je me lancerais dans la reprise d’œuvres qui étaient inadaptables jusqu’à présent. Si je pouvais réveiller les morts, je demanderais même à Visconti de faire une série d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust.

Emmanuelle Béart : T’as raison, c’est génial ! 

Lou Doillon : Le problème jusqu’à maintenant, c’est que l’histoire ne tenait jamais dans un film d’une heure trente. Là, on peut faire 80 épisodes !

Emmanuelle Béart : Je me souviens avoir joué À la recherche du temps perdu… 

Lou Doillon : Oui, mais en condensé. Là, on pourra raconter toute l’histoire et mettre plein de temps morts !

Emmanuelle Béart : Je pars avec toi sur ce projet ! 

C’est un scoop : il y aura bientôt une série avec Lou Doillon et Emmanuelle Béart !

Lou Doillon : Ah mais on pourrait tellement s’amuser ! 

Emmanuelle Béart : Il y a plein de possibilités…

Lou Doillon : Ou sinon, on fait un truc encore plus bizarre : on va toutes les deux dans un hangar, on joue tous les personnages, et ça dure cinq saisons !

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste