Décryptage

C’est quoi le mockumentaire, ce genre centenaire qui ne cesse de se réinventer ?

22 mars 2023
Par Héloïse Decarre
Dans “Planète Cunk”, une journaliste d’investigation tente de percer les mystères de l’humanité à l’aide de grands universitaires et experts… ou pas.
Dans “Planète Cunk”, une journaliste d’investigation tente de percer les mystères de l’humanité à l’aide de grands universitaires et experts… ou pas. ©Netflix

Programme culturel ou parodie ? Sur Netflix, la série Planète Cunk brouille les pistes. Une chose est certaine : la production signe le retour du mockumentaire. Un genre qui s’est adapté aux évolutions des formats, sans jamais perdre de sa popularité.

« Pourquoi la construction des pyramides est-elle un mystère, alors que ce ne sont que des briques dans un triangle ? » C’est ainsi que la journaliste Philomena Cunk interroge de grands universitaires et experts dans Planète Cunk, un programme destiné à percer les mystères de l’humanité… ou pas. Car ces éminents spécialistes n’en sont pas vraiment, et la jeune femme est loin d’être reporter.

La série est en fait une comédie qualifiée par ses créateurs, Diane Morgan et Charlie Brooker, de mockumentaire. « Il s’agit de reprendre les codes du documentaire pour proposer un programme fictionnel, la plupart du temps parodique », définit Matthieu Letourneux, professeur de littérature à l’université Paris Nanterre et spécialiste des cultures sérielles et médiatiques. 

Populaire depuis l’apparition des médias 

Ce genre ne date pas d’hier. Bien avant l’invention des séries, il serait apparu en 1938, lorsqu’Orson Welles raconte sur les ondes radiophoniques une terrible invasion extraterrestre… que certains auditeurs croient réelle. Mais le légendaire réalisateur se contente en fait de lire une adaptation du roman de H. G. Wells, La Guerre des mondes. La confusion avec un bulletin d’information n’est pas volontaire, mais l’événement est tout de même considéré comme l’ancêtre du mockumentaire.

À moins que ce ne soit le film Terre sans pain, réalisé par Luis Buñuel en 1933, un documentaire dont certaines séquences ont été adaptées et mises en scène pour coller aux volontés du cinéaste. « On pourrait même remonter à des formats antérieurs, ajoute Matthieu Letourneux, notamment dans le monde de la presse. Au XIXe siècle, on écrivait beaucoup de faux articles, de fausses enquêtes et de faux reportages, souvent parodiques. Il existait même des journaux entiers qui étaient faux », s’amuse-t-il. 

En 1938, Orson Welles écrit et raconte une adaptation de La Guerre des mondes d’H.G. Wells sur les ondes de CBS. Une diffusion considérée par certains comme l’ancêtre du mockumentaire.©Acme Telephoto / The Gastonia Daily Gazette (North Carolina)

Mais c’est sur le petit écran que le mockumentaire gagne vraiment ses lettres de noblesse. Le 1er avril 1957, la BBC diffuse un reportage sur la récolte des spaghettis, poussant, comme chacun le sait, sur les arbres suisses. Des humoristes, à l’image des Monty Python, s’emparent ensuite du genre, précédant de grands réalisateurs. Woody Allen propose par exemple de revenir sur la vie d’un gangster dans Prends l’oseille et tire-toi en 1969, et réitère en 1983 avec Zelig, un faux documentaire à propos d’un homme-caméléon. 

Mockumentaire et parodie, des genres indissociables  

Les codes sont posés : une voix off, un certain grain de l’image collant à l’époque voulue, un hyperréalisme du jeu d’acteur à rebours des conventions habituelles, et, surtout, la mise en scène du dispositif de tournage. « Dans une fiction, la caméra et les éléments narratifs disparaissent systématiquement. Mais dans le mockumentaire, le dispositif est bien présent, et ces éléments sont visibles », explique Matthieu Letourneux.

La série The Office met en scène le tournage d’un pseudo-documentaire sur l’entreprise Dunder Mifflin. Très souvent, les personnages, des employés, regardent la caméra et discutent avec les cameramen.©NBC

L’exemple type est celui de la série britannique The Office, et de son adaptation américaine. Les personnages s’adressent directement à la caméra et même au caméraman qui l’utilise : la – fausse – équipe de tournage est constamment mise en scène.

Sacha Baron Cohen va encore plus loin, notamment avec Brüno. Dans ce faux documentaire sur un journaliste de mode autrichien homosexuel et admirateur d’Adolf Hitler, le réalisateur piège même les personnes interviewées, convaincues de participer à un authentique reportage.

Sacha Baron Cohen repousse les limites du mockumentaire dans son film Brüno, dans lequel les personnes interviewées sont convaincues de participer à un authentique documentaire.©Sony pictures / Media Rights Capital

Ces productions ont toutes le point commun d’être des comédies. « Même s’il ne faut pas généraliser, car certains films d’horreur comme Cannibal Holocaust ou Rec sont des mockumentaires, le genre est tout de même la plupart du temps comique », assure Matthieu Letourneux. D’où son nom, qui contracte au mot documentaire le verbe moquer. « Le faux documentaire est d’ailleurs devenu l’un des formats essentiels de la télévision comique », complète le professeur. 

Parodie – voire satire – des pratiques télévisuelles dans les faux reportages des Inconnus en France, le mockumentaire se paie aussi l’émission culte Strip-tease et les true-crime à travers le film belge C’est arrivé près de chez vous, dans lequel des documentaristes découvrent la vie d’un homme qui tue pour gagner sa vie.

« Si on rit, précise Matthieu Letourneux, c’est parce que la dimension parodique du mockumentaire touche à la réalité. Dans This is Spinal Tap [réalisé en 1984 par Rob Reiner, ndlr], tout un imaginaire issu de la pop culture vient parodier le monde du heavy metal, mais on réalise bien que, dans le fond, il y a une part de vérité. »

Des subterfuges pour éviter la fake news 

En effet, la frontière entre parodie et réalité est parfois fine. Si fine qu’on peut légitimement se demander si le mockumentaire ne risque pas de propager des contre-vérités ou des fake news.  Matthieu Letourneux l’admet, « il existe une possibilité d’introduire le trouble ».

En 2006, la RTBF diffuse Bye Bye Belgium, ou Tout ça ne nous rendra pas la Belgique, une émission spéciale pendant laquelle un véritable présentateur belge annonce la division de la Belgique, suite à la sécession de la Flandre. Problème : de nombreux téléspectateurs et téléspectatrices prennent l’information pour argent comptant, et une petite vague de panique s’empare du plat pays.  

« Le mockumentaire donne toujours des indices, argue pourtant Matthieu Letourneux. Dans Bye Bye Belgium, un bandeau affichait à l’écran le message “Ceci est une fiction”, après la première demi-heure de diffusion », rappelle-t-il.

Selon l’expert, le mockumentaire est toujours identifiable grâce à un système de « cadrages pragmatiques » : bandeaux au bas de l’écran, messages de prévention avant le début du film, utilisation d’un humour potache indiquant une dimension parodique… Nombreux sont les moyens de faire comprendre au public que ce qu’il regarde n’est pas crédible.  

Les supposées scènes de paniques et émeutes massives après la diffusion radiophonique de La Guerre des mondes, précédemment mentionnée, ne sont d’ailleurs que pure légende. « Orson Welles avait très clairement précisé que tout cela était une fiction, mais certaines personnes ont entendu l’émission en cours, et ont effectivement paniqué. Ceci dit, cela reste anecdotique », confirme Matthieu Letourneux.  

En 2006, la RTBF diffuse une émission spéciale annonçant la division de la Belgique en deux entités distinctes.©Bye Bye Belgium / La Une

Même si les réseaux sociaux s’approprient et diffusent désormais le format, la diffusion de fake news et la propagation de théories du complot ne peut donc aucunement lui être imputée. « Si le mockumentaire trompe, c’est qu’il n’en est pas un », résume Matthieu Letourneux. Car la principale caractéristique du genre, c’est bien qu’il parvient à faire comprendre au public que ce qu’il voit n’est pas la réalité.

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Article rédigé par
Héloïse Decarre
Héloïse Decarre
Journaliste