Entretien

Magnum génération(s) : la BD de Jean-David Morvan redonne vie aux reporters iconiques

18 février 2023
Par Costanza Spina
“Magnum Générations(s)” a été écrite par Jean-David Morvan.
“Magnum Générations(s)” a été écrite par Jean-David Morvan. ©Caurette

Le scénariste de bande dessinée Jean-David Morvan publie chez Caurette Magnum génération(s), un album qui revient sur les origines de l’agence photographique Magnum et ses fondateur·ice·s. Une aventure haletante à la découverte de ces photographes qui ont forgé notre mémoire collective par la puissance de leurs images et de leur courage.

Magnum génération(s) (Caurette) est la nouvelle bande dessinée de Jean-David Morvan, illustrée par Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet. Un album passionnant qui revient sur l’histoire de l’agence photographique Magnum à l’occasion de ses 75 ans. Dans ce récit haletant, nous découvrons la genèse de cette institution culte à travers les péripéties de ses fondateurs : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger, David Seymour et Gerda Taro.

Pousser les limites de la photographie

Les 185 pages de la BD sont une plongée dans ces amitiés aventureuses, dans ces vies courageuses et dans le quotidien de celles et ceux qui ont mis leur existence en danger pour raconter la guerre dans la première moitié du XXe siècle. Ce sont en effet ces mêmes photographes qui ont contribué à l’essor de la figure du reporter, poussé·e·s par un sens de la justice et une profonde foi en la démocratie. En s’élevant contre un vieux monde arc-bouté sur des régimes violents, autoritaires, totalitaires et génocidaires, les fondateur·ice·s de l’agence Magnum ont poussé plus loin les limites de la photographie, jusqu’à ce que leurs clichés deviennent une partie de notre mémoire collective.

Jean-David Morvan, Magnum génération(s). ©Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet / Editions Caurette

C’est par leur regard que nous avons tous·tes connu les principaux événements du siècle dernier, et c’est à travers l’objectif des nouvelles générations Magnum que nous voyons le monde contemporain. Le portfolio de 73 photos qui suit la bande dessinée montre bien que de 1936 – quand l’objectif de Robert Capa fige pour l’éternité la dignité d’un Républicain mortellement touché par une balle dans l’Espagne en révolution – à 2022 – quand Emin Özmen photographie des enfants turcs jouant sur le toit d’une mosquée presque immergée –, une complicité secrète lie les corps de tous les pays et de tous les peuples lorsqu’ils se battent pour leurs droits, jouent, s’aiment et s’approprient leur destin.

Un album précieux

Une note de l’autrice Clara Bouveresse, qui a notamment publié Femmes photographes, clôture l’ouvrage en reparcourant l’histoire de l’agence. Elle raconte avec poésie la tentative permanente de ces reporters de dépasser les limites et d’aborder sans peur les contradictions, les discussions et même les conflits. Un document précieux jetant une lumière nouvelle sur Magnum, son évolution et ses principes d’organisation. Pour réaliser cet album, le scénariste Jean-David Morvan a bénéficié du soutien inconditionnel de l’agence, qui a eu un rôle actif dans la mise à disposition d’archives d’images et de textes… La BD alterne illustrations et photographies originelles, incrustées dans l’histoire, qui la rendent encore plus tangible. Alors qu’il était au Festival de la bande-dessinée d’Angoulême pour présenter son dernier ouvrage, Madeleine, résistante (Dupuis, 2021) consacré à l’histoire de son amie Madeleine Riffaud, qui a reçu le prix du meilleur scénario 2022, l’auteur a accepté de répondre à nos questions. 

Jean-David Morvan, Magnum génération(s).©Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet/ Editions Caurette

Vous êtes scénariste de BD. Dans Magnum génération(s), vous abordez un thème très particulier : la naissance de l’agence photographique Magnum. Comment l’idée vous est-elle venue ?

Il y a quelques années j’étais chez moi, sur mon canapé. Il était très tard et je regardais ma collection de livres de BD et de photo. Je me suis dit que les deux médiums me passionnaient beaucoup et qu’il aurait été intéressant de les faire se rencontrer, de raconter la photographie à travers la BD. Je me suis alors rendu sur le site de Magnum et, comme un client lambda, je leur ai écrit.

Il se trouve que deux jours plus tard on m’avait répondu en me proposant une rencontre à Paris. Je m’y suis rendu et, à l’issue de nos entretiens, nous avons mis en place une collection de BD autour des photographes de l’agence. Avant même d’avoir une maison d’édition, nous nous sommes demandé comment faire et comment raconter toutes ces histoires. C’est ainsi que tout a commencé. 

Comment s’est passé le travail avec l’agence Magnum ?

La collaboration a été totale. On m’a ouvert les archives de la maison, mais pas que. Dès le départ, nous voulions travailler sur l’histoire des fondateur·ice·s avec cette idée de Magnum génération(s), qui était d’abord censée sortir pour les 70 ans. Mais c’était un travail titanesque, cela a pris plusieurs années, raison pour laquelle nous le sortons pour les 75 ans. Entre-temps, nous avons réalisé quatre autres albums : l’un sur le Débarquement raconté par Robert Capa ; l’un sur l’Allemagne en 1945 racontée par Cartier-Bresson ; le troisième sur le 11 septembre vu par Steve McCurry ; le quatrième sur Abbas photographe de boxe. Notre travail s’est toujours très bien passé. Pour les deux derniers albums, j’ai pu rencontrer les photographes et pour les premiers, j’ai eu accès aux fonds exceptionnels de la fondation Magnum à New York et de la fondation Henri Cartier-Bresson à Paris. 

Jean-David Morvan, Magnum génération(s). ©Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet/ Editions Caurette

Comment cela se passe avec les photographes quand vous les interviewez et travaillez ensemble ? Qu’est-ce que vous essayez de cerner dans leur personnage pour les retranscrire au plus près ? 

J’essaie de saisir vraiment qui ils sont. Quand j’écris les BD, je le fais à la première personne du singulier, donc je dois m’approprier le personnage totalement pour capter comme il parlerait et se comporterait dans la réalité. Je ne veux pas écrire des récits chronologiques ennuyeux, mais plutôt sentir le personnage en moi. Par exemple, Steve McCurry m’a ouvert sans résistance sa personnalité, tant et si bien qu’à la fin de l’album il m’a dit qu’il se sentait plus intelligent dans la BD que ce qu’il était réellement. Je pense qu’il a juste voulu être très gentil [rires] !

Lequel de ces photographes vous a le plus touché, s’il y en a un ? 

C’est difficile à dire, car en plus, en devenant un peu eux, je les aime tous pareillement. Mais j’ai un rapport particulier avec Robert Capa, et je pense que cela se ressent dans Magnum génération(s). Capa, c’est le plus fun, c’était un personnage extrêmement intelligent, mais aussi goguenard, un peu menteur, rusé… Un vrai personnage de bande dessinée !

Quel est le processus quand on commence à créer une bande dessinée ?

Il faut d’abord trouver une trame narrative. L’histoire, je la connais déjà à peu près. Pour Magnum génération(s), j’ai dû lire entre 30 et 50 bouquins sur l’histoire de l’agence. Il faut trouver des anecdotes, des événements clés que l’on veut absolument raconter. Et puis, trouver la première scène. Le bout par lequel on veut commencer. Chez Magnum, à cette époque-là, il y a quatre morts importantes : Capa, puis Werner Bischof, Gerda Taro et Chim. Je me suis dit alors que je ne voulais pas que toutes ces morts se passent à la fin, mais qu’il y en ait deux au début, une au milieu et une à la fin. Cela rythme l’histoire. Je voulais éviter l’effet catalogue de morts à la fin du livre, qui aurait donné un sentiment de ridicule à la fin du récit. 

Jean-David Morvan, Magnum génération(s).©Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet/Editions Caurette

Tous·tes ces photographes sont donc mort·e·s sur le terrain, dans l’exercice de leur travail ? 

Bien sûr. Capa meurt en Indochine avec l’armée française, Werner Bischof tombe avec sa voiture dans les Andes du Pérou, Gerda Taro est écrasée par un char pendant la guerre d’Espagne et Chim se prend 23 balles de mitraillette dans sa voiture alors qu’il fait un reportage au Canal de Suez. Ils et elles sont des vrai·e·s photoreporters et ont donné leur vie pour ça. 

Quel est votre rapport avec les photoreporters ? Pourquoi cet intérêt particulier pour cette profession ? 

Parce que ce sont des gens qui risquent leur vie pour nous raconter le monde. Ils et elles nous montrent ce qu’on ne veut pas voir et que pourtant nous devons regarder. Nous connaissons le monde à travers leur objectif. Moi aussi j’ai l’impression de faire partie de la génération Magnum, puisque l’imaginaire que j’ai du monde qui m’entoure me vient en grande partie de leurs images. Je trouve que leur travail est magnifique. Là, on prépare un livre avec Jérôme Sessini sur l’Ukraine : il m’a proposé d’y aller avec lui. Je vais voir ! 

Est-ce qu’on peut dire que la photo et la BD se complètent, finalement ? 

Je ne sais pas si la BD apporte quelque chose à la photo, mais je sais que la photo apporte quelque chose à la BD. La photo est une image rapide, instantanée, qui raconte une situation en seulement quelques secondes. La BD s’inscrit dans le temps long. Il existe donc deux temporalités différentes entre ces deux disciplines. La BD permet peut-être de mettre un contexte autour d’une image, d’élargir le récit de l’instant présent à quelque chose de plus vaste. 

Jean-David Morvan, Magnum génération(s). ©Rafaël Ortiz, Scie Tronc et Arnaud Locquet/ Editions Caurette

Aujourd’hui, vous présentez à Angoulême l’exposition Elle résiste, Elles résistent, tirée de la BD Madeleine, résistante, qui a remporté le Prix René Goscinny du meilleur scénario 2022. Dans cet album, vous racontez l’histoire de la résistante Madeleine Riffaud. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Bien sûr. Madeleine Riffaud est une amie qui a été résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et qui, à mon sens, est toujours une résistante. Nous avons travaillé ensemble, avec Dominique Bertail, le dessinateur, et Madeleine, pour faire ressortir un témoignage vibrant. Nous voulions le rendre fort et faire de Madeleine un personnage de BD, avec une histoire aventureuse et captivante. Ça a l’air de bien marcher !

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Article rédigé par
Costanza Spina
Costanza Spina
Journaliste