Alors qu’elle a récemment refait surface en Europe, la guerre constitue un motif littéraire naturellement abondant au sortir des grands conflits de la première moitié du XXe siècle. Celui-ci continuera à être distingué par l’Académie Goncourt chez des écrivain·e·s contemporains comme Pierre Lemaitre, Éric Vuillard ou Lydie Salvayre. Voici quelques lauréat·e·s qui ont marqué les esprits.
Henri Barbusse, Le Feu (1916)
De 1914 à 1918, le prix Goncourt a été systématiquement décerné à des écrivains revenus du front (en 1919, il a été remis à Marcel Proust pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs). Dans Le Feu, Henri Barbusse, écrivain pacifiste qui s’engagea de son propre chef dans le 231e régiment d’infanterie malgré ses problèmes de santé, relate l’horreur quotidienne des tranchées après son hospitalisation en 1916. Barbusse est le narrateur de ce livre dans lequel se croisent les portraits de nombre de ses camarades de tranchées. Un récit toujours aussi glaçant plus d’un siècle après la fin de la Grande Guerre.
Le Feu (journal d’une escouade), de Henri Barbusse, GF, 528 p., 6,40 €.
André Malraux, La Condition humaine (1933)
Ce chef-d’œuvre intemporel d’André Malraux a marqué un tournant dans la littérature de l’entre-deux-guerres. Si ce monument de la littérature existentialiste ne se déroule pas pendant la guerre à proprement parler, son intrigue s’enroule en revanche autour d’un élément déclencheur, la guerre civile civile chinoise, en 1927 : le massacre de Shanghaï par les troupes de Tchang Kaï-chek, épisode sanglant – plus de 5 000 victimes – qui a marqué le début du conflit entre le parti nationaliste du Kuomintang (KMT) et le Parti communiste chinois (PCC). La Condition humaine reste l’un des Goncourt les plus vendus de tous les temps (plus de cinq millions d’exemplaires, selon les dires de certains).
La Condition humaine, d’André Malraux, Folio, 352 p., 9,20 €.
Elsa Triolet, Le Premier Accroc coûte deux cents francs (1944)
Grande figure de la Résistance, aux côtés de son compagnon d’armes et de lettres Louis Aragon, Elsa Triolet écrit pendant la guerre des nouvelles publiées secrètement aux Éditions de Minuit sous le pseudonyme de Laurent Daniel. Après la Libération, quatre d’entre elles – Les Amants d’Avignon, La Vie privée ou Alexis Slavsky, Cahiers enterrés sous un pêcher et la nouvelle qui donne son nom au présent ouvrage – sont réunies en un seul livre dont le titre renvoie à l’un des messages cryptés diffusés par Radio Londres pour annoncer le débarquement de Provence du 15 août 1944. Il s’agit du premier prix Goncourt à avoir été remis à une écrivaine.
Le Premier Accroc coûte deux cents francs, d’Elsa Triolet, Folio, 448 p., 10,20 €.
Jean-Louis Bory, Mon village à l’heure allemande (1945)
Le palmarès du Goncourt a été profondément marqué par les événements de la Seconde Guerre mondiale (on y trouve aussi bien, au fil des années, des romans sur l’Occupation, la Résistance ou encore le traumatisme de la déportation). Jean-Louis Bory, romancier et futur grand critique de cinéma, rédige à l’été 1944 son premier roman et y dépeint avec acuité la vie des habitants de son village natal de Méréville (rebaptisé Jumainville dans le livre) durant l’occupation allemande. Le Goncourt lui a été décerné en 1945 en même temps qu’Elsa Triolet – récompensée rétroactivement pour l’année 1944 –, avec notamment le soutien de Colette, alors membre de l’Académie Goncourt.
Mon village à l’heure allemande, de Jean-Louis Bory, J’ai lu, 352 p., 7,10 €
Robert Merle, Week-end à Zuydcoote (1949)
Le premier roman de Robert Merle est un huis clos tragique à ciel ouvert inspiré de son propre vécu, centré sur un groupe de soldats français qui, après le débâcle de Dunkerque en 1940 – épisode entre autres relayé dans Dunkerque (2017) de Christopher Nolan – se retrouve sans issue sur les plages pilonnées par l’aviation allemande. Dans l’attente de pouvoir éventuellement rejoindre l’Angleterre, le personnage principal, le sergent Julien Maillat, se prend de passion pour Jeanne, une jeune femme refusant de quitter sa maison en ruines. Le livre a droit en 1964 à une adaptation fidèle signée Henri Verneuil – plus de trois millions d’entrées – avec un tout jeune Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre.
Week-end à Zuydcoote, de Robert Merle, Folio, 256 p., 7,50 €.
Michel Tournier, Le Roi des Aulnes (1970)
En 1967, Michel Tournier, philosophe de formation, publie son premier roman, Vendredi ou les Limbes du Pacifique et obtient le Grand prix du roman de l’Académie française. Fort de son succès, il remporte trois ans plus tard le prix Goncourt pour Le Roi des Aulnes (titre emprunté à un poème de Goethe). Avec un recul historique que ne pouvait avoir les écrivains des années 1939-1945, Michel Tournier narre le destin particulier d’un certain Abel Tiffauges, personnage équivoque, anti-héros tantôt monstrueux tantôt innocent, que l’on suit de sa jeunesse à Paris jusqu’à la Prusse-Orientale où, prisonnier du régime nazi, celui que l’on prénomme bientôt « l’ogre de Kaltenborn » s’enivre de mythologie germanique. Un roman philosophique complexe qui sera d’ailleurs adapté au cinéma en 1996 avec John Malkovich dans le rôle principal.
Le Roi des Aulnes, de Michel Tournier, Folio, 608 p., 10,20 €.
Patrick Rambaud, La Bataille (1997)
Patrick Rambaud a remporté à la fois le prix Goncourt et le Grand prix de l’Académie française pour ce livre répondant à un projet inachevé de Balzac : écrire un roman sur une grande bataille napoléonienne. Patrick Rimbaud réalise ce souhait cher à l’auteur de La Comédie humaine en se focalisant sur la bataille d’Essling (21-22 mai 1809), véritable charnier – plus de 40 000 morts – qui préfigure les conflits meurtriers du XXe siècle. Un récit méticuleux et documenté où se croisent personnages fictifs et historiques (Stendhal, Larrey, les maréchaux Lannes et Masséna, etc.) gravitant autour de la figure trouble de l’empereur…
La Bataille, de Patrick Rambaud, Le Livre de poche, 284 p., 7,40 €.
Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut (2013)
Albert Maillard, comptable, et Édouard Péricourt, jeune artiste et « gueule cassée ». deux hommes meurtris par la Grande Guerre qui se révoltent contre les plus hautes sphères de l’État en montant sur pied une grande escroquerie aux monuments aux morts. Avec Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre, récemment revenu sur le devant de la scène avec un nouveau volume de la saga familiale Les Années glorieuses, pose le premier jalon d’une grande trilogie romanesque – Les Enfants du désastre – courant de la Première Guerre mondiale jusqu’au début de la Seconde. Au revoir là-haut a été adapté au cinéma par Albert Dupontel en 2017 et le deuxième tome, Couleurs de l’incendie, a récemment fait l’objet d’un film signé Clovis Cornillac.
Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre, Le Livre de poche, 624 p., 8,90 €.
Lydie Salvayre, Pas pleurer (2014)
La romancière et psychiatre de formation Lydie Salvayre a décroché le Goncourt en 2014 pour ce récit poignant revenant sur l’expérience de la guerre civile espagnole et qui tient notamment son originalité du croisement inattendu entre les voix de Georges Bernanos (l’auteur de Sous le soleil de Satan et Journal d’un curé de campagne), témoin direct de la violence du régime franquiste, et de Montse, la mère de l’autrice, laquelle cultive encore le doux souvenir de l’été 1936 dans un petit village de Catalogne gagné par l’élan révolutionnaire, obstruant de sa mémoire les événements dramatiques – et l’exil en France – qui ont suivi.
Pas pleurer, de Lydie Salvayre, Points, 240 p., 7,80 €.
Éric Vuillard, L’Ordre du jour (2017)
Grand amateur de récits historiques (de l’arrivée des Conquistadors en Amérique à la Révolution française, en passant par la guerre de 1914-1918), l’écrivain et réalisateur Éric Vuillard s’est vu remettre le Goncourt en 2017 pour ce roman incisif revenant sur l’ascension progressive du Troisième Reich dès le lendemain de l’incendie du Reichstag le 20 février 1933. Le livre revient notamment sur la tenue d’un conseil secret entre les dirigeants du parti nazi et une vingtaine d’industriels allemands en vue de lever des fonds pour les élections décisives de mars 1933, lesquelles voient définitivement Hitler accéder au pouvoir. Évoquant l’annexion calamiteuse de l’Autriche (l’Anschluss), Vuillard lève le voile sur les compromissions politiques qui ont tragiquement ouvert la voie à une nouvelle guerre mondiale. Un récit court – 160 pages –, mais limpide.
L’Ordre du jour, d’Éric Vuillard, Actes Sud, 160 p., 7,30 €.