Avec Le Silence et la Colère, Pierre Lemaitre poursuit son exploration des Trente Glorieuses

Après sa trilogie des Enfants du désastre (2013-2020), qui mettait en lumière l’entre-deux-guerres, Pierre Lemaitre nous propose une plongée dans le XX^e siècle, qu’il approfondit avec ce deuxième volet des Années glorieuses (2022-2023). Le récit du Silence et la Colère se déplie au cœur de l’année 1952, période où tout semble couler, mais où le monde ne se sent pas toujours à sa place la plus confortable. La France telle qu’on la connaît aujourd’hui est dans cette période où elle se construit. Et du droit de la presse aux libertés individuelles, les tensions sont nombreuses. C’est ce qu’incarnent les personnages de ce nouveau roman au coeur de la rentrée littéraire. Leurs récits sont colorés par ces mutations, toutes plus romanesques les unes que les autres, donnant à ce livre des airs de feuilleton. Un feuilleton qui peut pourtant se lire indépendamment du précédent.

Un roman social

Le Silence et La Colère est aussi une fresque familiale, où l’on retrouve le clan Pelletier à un moment précis de son histoire. On se réjouit alors de croiser Jean, qui s’acharne à ouvrir son grand magasin, François et Nine, qui vivent une passion orageuse, ou encore Hélène, véritable pivot du roman. Cette dernière est journaliste et vit un moment clé de sa carrière, mais aussi de la vie de la presse et de la vision que l’on en a aujourd’hui, marquée par les médias de masse. 

En cela, Le Silence et la Colère déploie une palette éclairante de thèmes, dont chacun fait écho à quelque chose de notre société et des révolutions à venir. La question de l’avortement y est, par exemple, capitale, mettant certains personnages à rude épreuve, mais nous faisant également prendre conscience de la difficulté des femmes de l’époque à disposer de leur corps.

Un monde nouveau

Sous couverts de ces aspects zoliens, Le Silence et la Colère est aussi la photographie d’une période, d’un monde construit entre le passé et les promesses. Ce point est notamment incarné par des lieux comme le village de Chevrigny, qui catalyse des espoirs et des doutes quant à la construction d’un barrage hydroélectrique. Une construction qui pourrait bien menacer le village, directement inspiré par celui de Tignes et son histoire. 

Et si Hélène est la témoin privilégiée de ce moment, de son côté, Jean Pelletier marque l’avènement des nouveaux moyens pour faire vivre la société de consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui. Avec l’ouverture de son grand magasin, il nous fait réaliser que la notion de progrès n’avait, de toute évidence, pas la même couleur hier qu’aujourd’hui. Pas la même couleur, pas le même impact.

Un vrai plaisir de lecture

C’est un fait, Pierre Lemaitre s’est imposé comme un auteur à succès, couronné par le prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut. Sa recette semble à la fois très simple et incomparable : un art profond du rebondissement, une maîtrise des liens humains, mais pas que. 

On retrouve, en effet, des vignettes de sujets passionnants et divertissants, à l’instar de la boxe avec le personnage de Louis, ou cette enquête sur la « propreté des Françaises » qui permet à Hélène d’obtenir un poste dans un journal populaire. Mention spéciale au titre du roman, Le Silence et la Colère, qui nous permet de mieux comprendre de quoi sont bâtis les personnages, du début à la fin.

En bref, avec ce nouveau récit, Pierre Lemaitre s’impose comme le vrai grand romancier du XX^e siècle, dont la fin du travail devrait être marquée par une dernière trilogie consacrée aux années 1970 à 1990.

Le Silence et la Colère, de Pierre Lemaitre, Calmann-Levy, 592 p., 23,90 €. En librairie depuis le 10 janvier 2023.